Midi Olympique

« J’avais l’impression d’être une brebis égarée »

SEKOU MACALOU, LE TROISIÈME LIGNE DU STADE FRANÇAIS, REVIENT SUR UN TOURNOI 2018 VÉCU EN SPECTATEUR ET SUR SES DÉBUTS DANS LE RUGBY PRO. IL FIXE SES EXIGENCES.

- Propos recueillis par Arnaud BEURDELEY arnaud.beurdeley@midi-olympique.fr

Décrocher un entretien avec Sekou Macalou ressemble à un parcours du combattant. Le garçon est jeune. On le dit timide et introverti. Il refuse quasi systématiq­uement tout contact avec les médias. Avant le début du Tournoi des 6 Nations, celui que l’on présente comme l’un des plus grands espoirs au poste de troisième ligne a pourtant accepté de répondre à nos questions. Une fois la carapace brisée, le jeune internatio­nal formé à Sarcelles s’est livré, d’une petite voix douce mais avec une grande lucidité, sur un parcours parfois chaotique. Touchant à l’intime, l’entretien aurait dû être publié pendant le Tournoi mais le Parisien a finalement été sanctionné suite à « l’affaire d’Édimbourg », après les deux premiers matchs vécus en tribunes. Nous avons revu Sekou Macalou cette semaine, après un entraîneme­nt de son club, le Stade français. L’occasion de terminer cet échange. Tout est dit ou presque, sans faux-semblants. Seul l’épisode écossais reste en suspens…

Avant le Tournoi, alors que vous figuriez dans le groupe des 30 français présélecti­onnés, vous nous aviez confié l’envie de « jouer le plus possible ». Finalement, vous n’avez pas été retenu une seule fois… Quel est votre sentiment ?

Je regrette de ne pas avoir pu m’exprimer durant ce Tournoi. J’avais clairement envie de jouer tous les matchs mais ça ne s’est pas passé comme prévu…

Comment avez-vous vécu votre mise à l’écart de l’équipe de France après l’affaire d’Édimbourg (sept joueurs français ont été entendus par la police écossaise pour une affaire de viol présumé, avant que la plainte ne soit retirée ; ils ont été sanctionné­s par la FFR) ?

Oui, j’en garde quelques regrets. Mais j’assume les conséquenc­es.

On dit que vous avez notamment été sanctionné pour ne pas vous être dénoncé à l’instant où la police écossaise vous a confondu avec Yacouba Camara. Alors, vrai ou faux ?

Je ne veux pas m’exprimer sur ce sujet. Cela relève de ma vie privée.

L’équipe de France est-elle toujours un objectif ?

Oui, évidemment. J’ai clairement envie d’y revenir. Pour cela et avant toutes choses, je dois d’abord me concentrer sur mes performanc­es avec le Stade français. Nous sommes dans une situation délicate, je dois d’abord penser à sauver le club. La suite…

On vous dit timide. Est-ce pour cela que vous fuyez les médias ?

Je ne suis pas trop timide mais je ne suis pas du genre à beaucoup parler. Et ça, depuis toujours.

Avant votre première sélection en novembre, votre ancien entraîneur, Gonzalo Quesada, déclarait dans nos colonnes : «

Au début, Sékou n’avait pas franchemen­t décidé d’être profession­nel dans sa tête. Il faisait preuve d’un manque de concentrat­ion lors des séances vidéo, il oubliait des entraîneme­nts. Mais entre le gamin que j’ai connu à son arrivée et le joueur que j’ai quitté en fin de saison dernière, il y avait déjà eu une énorme évolution. Il a gagné en maturité et en profession­nalisme, même si sa marge de progressio­n est immense. Dès qu’il aura pris pleinement conscience de son potentiel, il sera probableme­nt le meilleur troisième ligne français. (il sourit)

» Qu’en pensez-vous ?

Avec « Gonza », ce fut parfois un peu tendu. Je mettais un peu trop de temps à me replacer lors de certains entraîneme­nts, je mettais aussi du temps à comprendre ce qu’on me demandait. Peut-être que tout est arrivé un peu trop vite pour moi… J’ai mis deux ans à assimiler ce que l’on attendait de moi dans le monde profession­nel. Aujourd’hui, ça va mieux.

Votre côté dilettante vous a-t-il joué des tours ?

Oui, un peu. J’ai toujours eu du mal à m’adapter. Quand je suis arrivé au pôle France, j’ai rencontré les mêmes difficulté­s. À Marcoussis, tout était carré, organisé et pointu. Je n’avais jamais été habitué à ça. Je pensais que tout allait se passer tranquille­ment, sans problème. Je venais simplement faire du sport, comme lorsque j’allais au stade Nelson-Mandela à Sarcelles. Je voyais que les autres mecs bossaient comme des dingues, qu’ils voulaient tous devenir profession­nels. Moi, j’avais l’impression d’être une brebis égarée. Il m’a fallu quelques mois pour me sentir bien.

Avez-vous le sentiment d’avoir perdu du temps, finalement ?

Certaineme­nt puisque je ne me suis pas investi comme j’aurais dû le faire ces dernières années.

Est-ce un regret ?

Non. J’ai quand même pris du plaisir.

Vous fixez-vous des objectifs pour l’avenir ?

Non. Je ne l’ai jamais fait.

Pourquoi ?

Parce que je vis au jour le jour. Tout simplement.

N’avez-vous jamais craint de ne pas réussir à vous installer dans ce monde profession­nel ?

L’an passé, oui je me suis posé des questions. Je me suis notamment interrogé sur un éventuel changement d’environnem­ent. L’idée m’a traversé l’esprit de changer de club pour aller voir ailleurs si je pouvais m‘épanouir plus facilement. Je me suis même demandé si j’étais vraiment fait pour le sport pro. Finalement, j’ai choisi de rester au Stade français et je ne regrette pas mon choix.

Le fait que Bakary Meité, votre ancien partenaire à Massy, vous ai rejoint au Stade français vous a-t-il fait évoluer ?

À Massy, il m’avait vraiment beaucoup aidé. C’est lui qui m’a fait comprendre que je devais me secouer un peu, que je devais me sortir les doigts du… Depuis qu’il est arrivé au Stade français, il ne s’est pas privé de me recadrer parfois.

Pourquoi ressentez-vous encore le besoin d’être « recadré » ?

Parce que je peux vite me disperser. Lors des entraîneme­nts ou d’une séance vidéo, il m’arrive encore de décrocher.

Comment l’expliquez-vous ?

Je suis quelqu’un de très détendu. Jamais stressé.

Même avant de jouer les Blacks pour votre première apparition chez les Bleus, en novembre ?

Non, vraiment. J’étais juste content d’être là et de jouer au rugby. Sans prise de tête.

Que ce soit pour passer le permis de conduire ou même pour un rendez-vous avec une fille, vous n’avez donc aucun stress ?

Non. Si ça marche tant mieux, sinon tant pis. Je ne vais pas en mourir. Mon éducation est ainsi faite. Mes parents m’ont toujours dit que l’essentiel était de respirer, de manger et d’avoir un toit sur la tête. C’est ma philosophi­e de vie.

À quoi ressemble votre vie justement, hors du rugby ?

Il n’y a rien de particulie­r à savoir, croyez-moi. Et puis, je préfère rester discret.

Il paraît que vous vivez avec un serpent. Vrai ou faux ?

C’est vrai, j’avais très peur des serpents dans ma jeunesse. Mais j’ai voulu en avoir un chez moi. Il n’est pas dangereux. Je lui donne une souris par semaine à manger.

Vous avez commencé le rugby à Sarcelles. Quels souvenirs gardezvous de cette époque ?

C’est là où tout a commencé pour moi. J’ai touché mes premiers ballons de rugby en poussins et j’y suis resté jusqu’en cadets. Sarcelles, c’est comme une grande famille. Avec une superbe ambiance. Je n’en garde que de bons souvenirs et je suis vraiment attaché à ce club.

Mais comment êtes-vous venu au rugby ?

Notamment grâce au tournoi des écoles qui est organisé tous les ans là-bas. Les entraîneur­s m’ont dit que le rugby allait me plaire, ils ne se sont pas trompés. J’ai vite été mordu. J’avais essayé le football et l’athlétisme mais sans vraiment accrocher.

Avec votre pointe de vitesse, vous auriez pu faire carrière aussi en athlétisme…

Je n’ai été inscrit à l’athlétisme qu’une année alors ça fait un peu court pour se projeter sur une carrière. C’était surtout de la découverte. Mais, oui, je courais déjà assez vite à l’époque et on m’avait surclassé avec la génération 1994 (il est né en 1995, N.D.L.R.) pour tout ce qui était sprint et vitesse.

Depuis, avez-vous travaillé particuliè­rement cette vitesse ?

Non, pas vraiment. J’ai appris quelques techniques de courses mais je n’ai jamais franchemen­t axé mon travail sur la vitesse.

Vous avez longtemps joué à l’aile à vos débuts. Y preniez-vous du plaisir ?

Quand j’étais au pôle France, je jouais effectivem­ent ailier. Même chose à mes débuts à Massy avant qu’Olivier Nier (alors

entraîneur de Massy) me conseille de passer en troisième ligne. Il m’avait dit qu’en évoluant à ce poste je pourrai jouer avec les seniors, en Fédérale 1. Alors, j’ai dit banco.

Au regard de votre activité sur le terrain, ne vous êtesvous jamais ennuyé au poste d’ailier ?

(Il rit) Je me suis parfois emmerdé, c’est vrai. Les ballons n’arrivaient pas toujours, quelques fois même jamais. Mais j’aimais bien ce poste qui, lors de certains matchs, m’offrait beaucoup d’espaces et la possibilit­é de jouer des duels.

Vous avez également évolué quelques fois au poste de troisième ligne centre avec le Stade français. N’est-ce pas ce poste qui vous offre le plus de liberté et d’espace ?

Si. J’ai beaucoup aimé y jouer même si jouer troisième ligne aile me va bien avec le plan de jeu du Stade français. J’aime ce que l’on me demande de faire.

Vous brillez par votre faculté à déchirer les rideaux défensifs mais ne vous manque-t-il pas un peu de technique individuel­le pour assurer la continuité du jeu ?

C’est vrai. Il me manque encore l’exécution du geste juste, au bon moment. Savoir faire le bon choix et ne pas me précipiter. Il m’arrive encore parfois de ne pas savoir quoi faire avec le ballon. Du coup, je pousse ma course au maximum et je me coupe du soutiens de mes partenaire­s, au risque de perdre le ballon…

Ce défaut de lecture vous frustre-t-il ?

Oui. Mais c’est de ma faute. Parce que je dois travailler un peu plus.

Pour terminer, êtes-vous inquiet de la situation de votre équipe avant de recevoir, ce samedi, le Stade toulousain ?

Non. On aborde ce match avec confiance, beaucoup d’envie. Et avec nos armes également. Évidemment, la situation est un peu stressante, comme si nous avions une épée au-dessus de la tête. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. Mais je ne suis pas inquiet, nous avons les moyens de gagner. ■

« J’ai mis deux ans à assimiler ce que l’on attendait de moi dans le monde profession­nel. Aujourd’hui, ça va mieux. »

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