Midi Olympique

« Le nouveau système est pervers »

SERGE MORONVALLE - Président de l’Associatio­n de Massy IL TIRE LA SONNETTE D’ALARME SUR LA RÉFORME DES INDEMNITÉS DE FORMATION. POUR LUI, ELLE ÉPOUSE LES TRAVERS DU FOOTBALL.

- Propos recueillis par Guillaume CYPRIEN

Un club formateur comme le vôtre doit être enthousias­te sur la Réforme des indemnités de la formation (Rif) qui sera mise en place la saison prochaine. L’êtes-vous ?

Non. Nous avions applaudi des deux mains quand elle a été élaborée, mais nous sommes revenus en arrière en constatant immédiatem­ent ses dérives.

Lesquelles ?

Ce système prévoit une répartitio­n des indemnités de formations selon une logique pyramidale vers tous les clubs dans lesquels sont passés les joueurs sous contrat profession­nel. Jusque-là, tout va bien. Le joueur engrange des points selon son parcours, et les clubs sont indemnisés pendant ses sept premières années de contrat, au prorata du nombre de points qu’il a cumulés chez chacun d’eux. C’est parfait. Je prends un cas pratique, celui de Yacouba Camara. Lorsqu’il nous a quittés pour Toulouse, son club d’origine de Bobigny n’avait pratiqueme­nt pas été indemnisé, alors que son travail de détection a permis l’éclosion de Yacouba. Il était légitime de réfléchir à cette injustice. Et de notre côté, nous avions envisagé avec intérêt l’améliorati­on des indemnités qui nous revenaient. Ce système devait permettre à tous de mieux financer le travail de formation. C’est formidable. Mais ça, c’est dans le meilleur des mondes.

Qu’est-ce qui cloche ?

Que croyez-vous ? Que des clubs de Top 14 capables de monter des académies au Fidji pour former des Jiff venus des îles, ne sont pas capables de détourner la règle applicable sur le territoire ? Ils y ont pensé immédiatem­ent.

En quoi consiste ce contournem­ent ?

Les clubs « recruteurs » ont d’abord négocié une mise en place progressiv­e de la réforme sur trois ans. Les indemnités à verser seront payables à hauteur de seulement 25 % la première année, 50 % la deuxième, et 100 % dans trois ans. Et puis surtout, ils ont commencé à recruter beaucoup plus jeune pour ne pas les payer. À ce jour, douze joueurs de chez nous, des moins de 15 ans au moins de 18 ans, sont en négociatio­n avancée avec des clubs de Top 14 pour partir. Normalemen­t, chaque saison, dans cette fourchette d’âge, il n’y en a qu’un, parfois deux. Alors imaginez le résultat dans trois ans quand la réforme tournera à plein régime.

Si les douze joueurs que vous évoquez vous quittent, à quel niveau serez-vous indemnisés ?

Étant donné leur jeune âge, le montant de l’indemnité de formation par joueur se situe en dessous des 10 000 euros, soit un montant total d’environ 120 000 euros.

Si ces joueurs ne vous quittaient pas avant le terme habituel, à quel niveau se monteraien­t ces indemnités avec le nouveau système des Rif ?

L’indemnité par joueur serait comprise entre 70 000 euros, pour un joueur évoluant deux ans au sein de notre centre de formation, et 200 000 euros, si le joueur effectue plusieurs années en contrat espoirs. Pour ces douze joueurs, nous nous situons dans une fourchette comprise entre 500 000 euros et 1,2 million d’euros. Les clubs de Top 14 ont très vite compris leur intérêt à les recruter avant qu’il ne leur coûte autant. Ce qui crée un autre effet pervers.

Lequel ?

Je conçois l’indécence de cette discussion en assimilant nos joueurs à des indemnités. On ne parle pas de vache laitière. Nous évoquons de jeunes adolescent­s. Où vont-ils ? Dans tous les clubs de l’Hexagone. Un club de province a carrément proposé un logement à la famille de l’un d’entre eux. On déracine, sans savoir si ce joueur fera réellement une carrière ou pas. C’est très dangereux, et à plus d’un titre. Cela incitera les clubs de Top 14 à faire du chiffre, au risque de rejeter un grand nombre. Sur le plan sportif, cela nous affaiblit considérab­lement. Si nos meilleurs partent, la qualité de nos équipes baisse, et par là même la qualité de notre formation. Par ailleurs, nous perdons des joueurs qui auraient pu jouer chez nous en première, ce qui met en danger notre projet de club. Et cela nuira également à notre travail de proximité avec nos clubs amis et partenaire­s, qui nous envoient leurs meilleurs éléments. Quand un joueur ne joue pas en première à Massy, il redescend en fédérale dans les clubs alentour. Ce ne sera plus le cas. Le tissu de collaborat­ion que nous avons tissé est en danger. Tel qu’il est envisagé par les clubs pros, ce nouveau système, qui devait être vertueux, devient pervers.

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