LA SCIENCE DE L’INTERCEPTION
SI LES IRLANDAIS ONT REMPORTÉ LE TROISIÈME GRAND CHELEM DE LEUR HISTOIRE, C’EST D’ABORD EN S’APPUYANT SUR UN SYSTÈME BÂTI PAR ANDY FARRELL À REBOURS DES « RUSH DEFENSES » MODERNES, QUI LEUR A PERMIS DE RÉGULIÈREMENT SURPRENDRE LEURS ADVERSAIRES EN BOUT DE
Certes, c’est en premier lieu par leurs interminables séquences de possession de balle, le fantastique travail d’usure de leurs avants et leur extraordinaire efficacité près des lignes que les Irlandais ont d’abord marqué les esprits en 2018, au point de réaliser le troisième grand chelem de leur histoire. Mais à la vérité, c’est en premier lieu sur le socle de leur défense que les Verts ont bâti leur succès. Équipe la plus imperméable du Tournoi (16,4 points encaissés en moyenne), les Irlandais ont surtout su se nourrir des ballons de récupération provoqués par leur premier rideau pour faire basculer certaines rencontres. Ce fut surtout vrai face au pays de Galles ou à l’Écosse, deux rencontres qui ont définitivement basculé en faveur des hommes de Joe Schmidt à la grâce de deux interceptions de leur ailier Jacob Stockdale. Hasard ? Bien sûr que non…
LE LEURRE DES COULOIRS DÉLAISSÉS
En effet, tout au long de la compétition, les Irlandais ont su tirer le meilleur profit d’un premier rideau organisé à rebours des canons modernes (dont les Bleus se sont par ailleurs largement inspirés) organisé par l’Anglais Andy Farrell. Ainsi, alors que la plupart des formations de niveau international cherchent à imposer un maximum de pression sur les extérieurs par le biais de défenses inversées, les Irlandais ont pris le parti inverse, privilégiant la densité de joueurs sur le premier rideau, quitte à négliger la rapidité de la montée défensive. Les Irlandais misant sur une extraordinaire activité dans le jeu au sol (où le premier défenseur cherche systématiquement à ralentir le ballon) pour se replacer en permanence, offrant une densité de joueurs sans pareille en milieu de terrain.
DES AILIERS « CACHÉS » DANS LE DOS DE LEURS CENTRES
Ce qui ouvre des espaces sur les extérieurs, nous direz-vous ? Oui, et les quelques essais encaissés par les Verts l’ont montré. Sauf que cette faiblesse était au final toute relative, puisque compensée en bout de ligne par des ailiers placés systématiquement en profondeur par rapport à leurs partenaires, et passés maîtres dans l’art de lire les attaques adverses, et de temporiser leurs montées en « naviguant » pour permettre à leurs partenaires de combler les surnombres. Ou, le cas échéant, de tenter l’interception, lorsque l’adversaire se hasarde à de longues passes pour atteindre rapidement ces extérieurs qui semblent libres de prime abord, avec l’ailier caché quelques mètres derrière le deuxième centre. « En tant qu’ailiers, le rôle que nous attribue Andy Farrell dépend de la situation de surnombre, de la position où on se trouve sur le terrain, expliquait Stockdale dans les colonnes du site spécialisé the 42ie. En gros, le but, c’est de ne jamais se faire déborder. On sait que la pression qu’impose notre défense sur l’intérieure est bonne, qui stresse l’adversaire et chercher à provoquer des erreurs sur les extérieurs. C’est pourquoi notre position initiale doit toujours être derrière le deuxième centre, ce qui nous permet de rester cachés et, le cas échéant, de tenter l’interception si cela est possible. Andy nous laisse libre à ce sujet, sa seule consigne, c’est de ne tenter l’interception que lorsqu’on est sûr de soi à 100 %. À 99 % seulement de certitudes, il reste 1 % de doute, alors il ne faut pas y aller. »
STOCKDALE : « NE SE LANCER QUE SI ON EN EST SÛR À 100 % »
Moralité ? Tout comme dans le cadre de l’attaque, où le système global ne demeure jamais qu’un cadre susceptible de faciliter les inspirations individuelles (notamment celles de Johnny Sexton), le système défensif irlandais repose étroitement sur la capacité des joueurs à lire les situations et à prendre des initiatives. À se montrer intelligents, en somme, ce dont la sélection tout entière touche les fruits. « Contre le pays de Galles, Chris Farrell montait très vite sur Anscombe et quand j’ai vu qu’il s’apprêtait à allonger sa passe, je me suis lancé, se souvenait Stockdale. Contre l’Écosse, c’est un peu différent. Mon souci, c’était de rester connecté avec Gary Ringrose. Celui-ci a bien défendu sur Huw Jones donc il ne restait pas vraiment d’autre choix pour Horne que d’allonger la passe, ce qui m’a permis de monter. Au départ, je pensais qu’il allait donner en profondeur à Hogg, sur lequel j’ai anticipé ma montée. Mais Horne a finalement voulu jouer à hauteur, celui m’a permis de me trouver sur la ligne de passe. » Et de contribuer amplement au grand chelem des Verts.