LÀ-BAS, TOUT EST DIFFÉRENT
LE CHOC DE SAMEDI À LIMERICK A TOUT DU GRAND RENDEZ-VOUS EUROPÉEN, ENTRE DEUX CLYBS MYTHIQUES. ENCORE FAUDRA-T-IL QUE LES TALENTS DE TOULON RÉPONDENT AU DÉFI PROPOSÉ PAR LE COLLECTIF IRLANDAIS. L’OPPOSITION DE STYLES PROMET DES ÉTINCELLES.
Avant tout, commençons par remercier les pères fondateurs de la Coupe d’Europe, MM. Revol, Pedri, Rodor, Bouscatel et leurs confrères anglais, pour le cadeau. L’esprit d’initiative et l’imagination de ces dirigeants rendent possible, de temps à autres, l’émergence de grandes affiches, prestigieuses, indécises, excitantes, comme ce Munster-Toulon promet de l’être. Car tout est réuni pour vivre un vrai beau moment de rugby, ce samedi, du côté de Limerick.
Le cadre, tout d’abord, impose le respect et plante un décor majestueux : Thomond Park, lieu sacré et passionné, à la fois temple de la discipline pour les amateurs et cimetière pour ses visiteurs.Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir ou presque : en soixante-quinze bras de fer européens sur ses terres, la Red Army a rendu les armes à cinq reprises, seulement. À cette statistique terrifiante répond le bilan des Rouge et Noir face aux Irlandais : huit succès en neuf confrontations avec les représentants de l’île d’émeraude. Le poids de l’histoire, justement, confère de la sacralité à ce rendez-vous : les deux ténors cumulent cinq titres et, plus dramaturgique encore, incarnent deux visions opposées et deux époques différentes : au Munster, place forte des années 2000, armée engagée, forte de sa solidarité et chantre de l’humilité, va s’opposer Toulon, la référence de la décennie actuelle, son armada d’individualités avec ses éclats, ses paillettes ses fracas. La description affleure peut-être la caricature mais n’en correspond pas moins à l’image de marque de ces deux cadors, tous deux rassemblés sur un point : le désir de renouer avec leur glorieux passé, plus ou moins lointain. Le Munster attend un sacre depuis une décennie, une éternité, quand Toulon compte les jours depuis deux ans.
« ILS N’ONT DE SECRET POUR PERSONNE… »
Depuis le verdict des phases de poule, la bande-annonce de ce quart de finale augure de quatre-vingts minutes de plaisir à l’état pur. Pour tenir la belle promesse, les acteurs devront se hisser à la hauteur de l’événement, samedi. Les Toulonnais, avant tout, pour exister en terres hostiles et se donner le maximum de chances de prétendre à la victoire. Saison après saison, Mourad Boudjellal a bâti une équipe de très haut niveau pour, justement, relever des défis d’une telle envergure. Aux grands matchs les grands joueurs, paraît-il. Un collectif associant Duane Vermeulen, Facundo Isa, Guilhem Guirado, Chris Ashton, Mathieu Bastareaud ou encore Josua Tuisova se doit, par essence, de rivaliser en toutes circonstances. Même loin de Mayol, en déplacement, là où le RCT « a du mal, c’est un constat », reconnaît Fabien Galthié. Même face à « cette génération irlandaise bénie des Dieux », décrit le manager.
Car, sans chauvinisme aucun, sur l’addition de talents, les Rouge et Noir l’emportent de la tête et des épaules. Encore plus au regard du bulletin de santé de ce Munster, remanié, majoritairement composé d’une infanterie de soldats méconnus, Holland, Kilcoyne et autres Kleyn, encadré par une poignée de rescapés du XV du Trèfle, O’Mahony, Stander et Murray. Cette supériorité présumée ne vaudra plus rien une fois le coup d’envoi donné. Pour les Varois, la clé de l’exploit tiendra dès lors dans leur comportement collectif, dans leur capacité à garder un cap stratégique, sur la maîtrise des nerfs, au niveau de la gestion des temps forts et faibles. Ils devront, en somme, apporter une réponse positive à cette question lancinante entourant leur marche : la belle équipe sur papier glacé dispose-t-elle du caractère et de la trempe nécessaires pour se révéler grande dans le feu de l’action ? Ce déplacement donnera une sérieuse indication quant à la véritable progression des triples champions d’Europe d’hier, à la trajectoire insaisissable cette saison.
L’adversaire du jour possède ce après quoi la bande à Galthié, talentueuse mais irrégulière, court depuis des semaines et des mois : un système maîtrisé sur le bout des doigts, une osmose inébranlable et un investissement de tous les instants. « Ils n’ont de secret pour personne mais ils maîtrisent tellement bien ce qu’ils font qu’ils n’ont pas besoin d’en avoir, résume Fabien Galthié. Ils sont sur une maîtrise collective qui les rend performants. » Et le technicien d’établir le parallèle, tellement évident, avec sa formation : « La difficulté, de notre côté, c’est faire jouer tous les potentiels ensemble. C’est notre enjeu. » S’ils y parviennent sur les bords du Shannon, les Toulonnais pourraient écrire une belle page de leur histoire et devenir les acteurs principaux d’un possible grand moment de rugby européen.