Midi Olympique

En pensant à nos Bleus…

- Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr

Combien avez-vous compté de joueurs sélectionn­ables français titularisé­s en ce week-end de disette européenne ? Ils étaient trente-neuf sur soixante possibles en Champions Cup, avec une ligne de trois-quarts rochelaise 100 % made in France pour compenser le bilan toulonnais : six « Bleus », seulement, ont débuté face au Munster. S’il veut être champion de France avec « vingt-trois français sur la feuille de match », Mourad Boudjellal a encore du pain sur la planche… Mais, trêve de plaisanter­ie. Derrière les chiffres et le bilan plus ou moins glorieux se cachent une réalité moins glorieuse. Nos Bleus ne sont clairement pas assez nombreux à profiter de l’expérience européenne, antichambr­e du haut niveau internatio­nal. Pire, les joueurs français sélectionn­ables se font rares dès lors que les matchs couperets apparaisse­nt.

Combien pensez-vous qu’ils seront au mois de mai, à l’appel des phases finales qui sonneront la fin des Jiff ? Les paris sont ouverts mais les placards risquent de déborder, archicombl­es de joueurs français. Par la force de règlements à temps partiel qui légitimero­nt les choix de certains technicien­s libérés de toutes contrainte­s, ces candidats à la sélection nationale se retrouvero­nt précarisés par l’absence de compétitio­n domestique. C’est le monde à l’envers ! Et puis, combien d’entre eux seront titularisé­s l’an prochain en Top 14, quand Bordeaux-Bègles aura définitive­ment pris l’accent « british » de Rory Teague ? Quand Radradra, Tamanivalu, James, Nabuli, Amosa ou Tilsley débarquero­nt à Chaban-Delmas pour faire oublier Goujon, Maynadier et Rey ? Quand ces deux derniers auront été poussés dehors, ou enfermés dans le « loft » des rugbymen du début de semaine, payés pour ne surtout pas jouer parce qu’ils n’entrent plus dans les plans de l’entraîneur. Des prisons dorées…

Il est ici question de sport, évidemment. Et les choix des coachs ont toujours porté à discussion. L’histoire du championna­t de France, et tout autant de la sélection tricolore, regorgent d’innombrabl­es délits de sales de gueules. Avec des joueurs aux carrières sinon brisées, du moins sacrément ralenties parce qu’ils n’entraient pas dans les plans d’un entraîneur ou qu’ils avaient refusé la mutation vers un club cher au président de la Fédé. Jusqu’ici, il n’y a rien de plus choquant qu’hier. Mais au temps de l’amateurism­e marron, les effectifs n’avaient rien d’armées mexicaines qui nous sont offertes aujourd’hui, avec cinquante joueurs pour quinze places seulement. Quitte à ne pas jouer, certains préfèrent monnayer leur fort potentiel - ou une main-d’oeuvre raréfiée à leur poste - plutôt que de s’engager en faveur d’un club qui leur offrira le plaisir du jeu.Talès a ainsi fait banquette au Racing, derrière Carter, alors qu’il était internatio­nal. Avant, Wisniewski, Palisson et Mermoz ont ciré les places en tribune à Mayol où Clerc compte les minutes pour battre le record d’essais marqués en championna­t - on croise les doigts pour lui. Nous marchons clairement sur la tête, avec ces effectifs pléthoriqu­es et ces blessés de tous horizons, systématiq­uement remplacés par des jokers médicaux venus des quatre coins du monde. Résultat des courses, les jeunes espoirs français rongent leur frein en silence, privés de leurs belles années et dans l’incapacité de concrétise­r leur potentiel. Sans jouer, ils régressent mais leur cote ne cesse d’être gonflée artificiel­lement parce qu’ils sont Jiff.

Tout cela ne saurait durer et nos dirigeants devront se pencher sur ces statuts, toujours plus précaires. Comme ils devront prendre enfin des décisions radicales s’ils entendent réellement accompagne­r le développem­ent de nos jeunes : contrat fédéraux pour les espoirs, « draft », suppressio­n des jokers médicaux, primes aux joueurs issus de l’école de rugby locale… Au point où nous en sommes, il n’y a pas d’idées folles. Et pour Bernard Laporte, qui avait fait voeu de campagne de limiter le nombre de joueurs étrangers à cinq par feuille de match en Top 14, il est temps de s’engager à tenir ses promesses. Juré, craché, s’il ment, les Bleus risquent bien d’aller en enfer.

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