Midi Olympique

Entretien avec le sorcier du Japon

LE SÉLECTIONN­EUR DU JAPON, JAMIE JOSEPH, NOUS A ACCORDÉ UN ENTRETIEN EXCLUSIF. SON OBJECTIF : UN QUART DE FINALE DE COUPE DU MONDE.

- Propos recueillis par Simon VALZER simon.valzer@midi-olympique.fr

« Goromaru ? Il était un joueur du staff précédent, et il n’a jamais joué dans mes équipes. Il a tenté l’aventure à l’étranger mais il est aujourd’hui trentenair­e et ne rentre plus dans mes plans en tant que sélectionn­eur. » Jamie JOSEPH, au sujet de Ayumu GOROMARU

MALGRÉ UN EMPLOI DU TEMPS CHARGÉ ENTRE LA SAISON DE SUPER RUGBY AVEC LES SUNWOLVES ET LA PRÉPARATIO­N DU MONDIAL 2019, L’ANCIEN FLANKER DES ALL BLACKS (20 SÉLECTIONS) ET DU JAPON (9 CAPES) A ACCEPTÉ DE SE LIVRER SUR LE MATCH NUL À SAINT-DENIS, LE SUPER RUGBY, GOROMARU, LE RUGBY JAPONAIS, SON LIEN AVEC L’ARCHIPEL ET LES DÉFIS MAJEURS QUI SE PRÉSENTENT À L’HORIZON 2019… ENTRETIEN. Le match nul obtenu contre la France (23-23), en novembre dernier, a-t-il valeur de victoire à vos yeux ?

Pas vraiment, non… Nous aurions dû gagner ce match. Nous avons bien joué et étions en position de l’emporter. Pour autant, nous ne l’avons pas fait. C’est dommage. Cela montre à quel point un match internatio­nal tient à peu de chose…

Comment ce résultat a-t-il été pris au Japon ?

Pour être franc, nous n’avons pas été accueillis à l’aéroport en héros ! Le rugby est tellement minoritair­e au Japon qu’il est passé presque inaperçu…

Et à l’intérieur de l’équipe ? Comment votre groupe a réagi après ce résultat ?

Les mecs étaient comme moi : frustrés. Encore une fois, nous aurions dû gagner. Quand on part en tournée, revenir avec une victoire est quelque chose de très spécial.

Avez-vous eu l’impression, par instants, que les Français vous ont pris de haut ?

Non, pas du tout. J’ai simplement vu que l’équipe de France était critiquée de toutes parts, et qu’elle était sous pression. Les résultats des Bleus n’étant pas bons, ils manquaient de confiance… (il marque une pause) Vous savez, en tant que coach je sais ce que c’est d’être en difficulté. Quand les mauvais résultats s’enchaînent, vous ne savez plus par où prendre les problèmes pour redevenir performant et tout le monde s’excite autour de vous. Nous étions bien sûr conscients de ce contexte, nous savions que l’équipe de France était friable. Nous avions ciblé ce match. Mais, à aucun moment, je n’ai pensé qu’ils nous avaient pris à la légère, ou qu’ils se sont pris pour d’autres. Ils étaient sous pression, tout simplement.

Vous avez senti cette peur chez les Bleus ?

Honnêtemen­t, vous avez de très bons joueurs de rugby, il n’y a aucun doute là-dessus. Seulement, personne n’est à l’abri de la contre-performanc­e et du doute. Même les meilleurs se recroquevi­llent sur eux-mêmes quand les résultats ne sont pas bons. Les Bleus étaient sous le feu des critiques, tout simplement. Ils n’étaient pas à l’aise sur le terrain.

Sentez-vous qu’il y a un réel engouement pour le rugby au Japon en ce moment avec le Mondial ?

Cela commence, en effet. Le Mondial approche peu à peu, les gens commencent à s’y intéresser, et les médias suivent. À vrai dire, il me tarde de faire un premier bilan des affluences pour nos matchs de Super Rugby. C’est aussi pour cela que les Sunwolves se doivent d’être au rendezvous cette année en Super Rugby, dans une compétitio­n qui sera pourtant très relevée. Mais si nous exprimons notre potentiel, nous avons les moyens de bien figurer. L’année dernière, il me semble que l’affluence moyenne de la franchise à Tokyo se situait autour des 17 000 places, ce qui est plutôt un bon score quand on le ramène à la faible exposition du rugby au Japon. Mais j’espère que nous ferons mieux cette année.

En tant que sélectionn­eur d’une nation aussi grande que le Japon, estimez-vous disposer d’un grand réservoir de joueurs ?

Non, pas du tout. C’est même un problème, voire un défi qui se présente à nous. Nous devons le développer, faire la promotion de notre sport pour remplir les écoles de rugby, les clubs, pour faire émerger les jeunes talents.

Comment procédez-vous pour repérer des nouveaux joueurs ? Vous rendez-vous dans les lycées pour débusquer de jeunes talents ?

Non, un sélectionn­eur national ne peut pas faire le tour des high schools, ni même des université­s il y en a trop ! C’est impossible, je perdrais trop de temps. En revanche, je fais en sorte de regarder tous les matchs de Top League afin de suivre tous les joueurs disponible­s.

Comment fonctionne et s’organise la formation dans le rugby japonais ?

Comme dans les autres pays anglo-saxons, c’est-à-dire principale­ment par les clubs mais surtout les high schools (lycées). C’est là que les jeunes joueurs se développen­t. Ensuite, ils partent pour les université­s qui sont dotées d’excellents équipement­s sportifs, un peu à la manière des États-Unis. C’est là qu’ils sont repérés par les recruteurs de Top League. Ensuite, ils sont embauchés par l’entreprise qui possède la franchise.

Quel est votre objectif pour le Mondial ?

Nous visons la qualificat­ion, pour figurer dans le Top 8 de la compétitio­n. Le Japon ne l’a jamais fait, ce serait historique. C’est un grand défi mais nous devons le relever.

Êtes-vous satisfait de votre poule ?

Oh, oui elle me va bien parce que je n’y prête pas attention ! Je ne me suis pas encore intéressé à nos futurs adversaire­s, car nous avons encore beaucoup à faire sur notre projet de jeu, sur nos joueurs et tant d’autres choses. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour préparer au mieux ce rendezvous plutôt que de passer notre temps à regarder ce que font les autres.

Avez-vous le sentiment que le Japon est plus attendu depuis sa victoire lors de la Coupe du monde 2015 face à l’Afrique du Sud ?

C’est le prix à payer quand on signe un bon résultat en effet ! Mais, plus sérieuseme­nt, je n’en suis pas sûr. Je doute que le Japon soit si attendu que cela, car chaque équipe aura un très haut niveau d’exigence. Même s’il a connu de bons résultats, je pense que le XV japonais reste au même niveau que celui de la Géorgie, des Tonga, des Fidji… Comme toutes ces équipes, le Japon ne sera pas favori pour sortir de sa poule. Après, je ne connais pas le point de vue de l’Europe, vous pourriez peutêtre me le donner ?

Justement, la cote de votre équipe a grimpé avec la victoire contre l’Afrique du Sud et le match nul contre la France, sans parler de la qualité du jeu produit…

C’est vrai ? Alors tant mieux, vous m’en voyez ravi. Mais je ne devrais peut-être pas garder cette idée en tête… Je n’ai vraiment pas envie d’attraper la grosse tête !

Pour en revenir à ce match, at-il créé un déclic dans le groupe et celuici est-il toujours d’actualité ?

On me reparle souvent de ce match, mais pour être très honnête avec vous, je ne pense pas. Cela remonte à un certain temps, maintenant. En deux ans, le staff a changé, l’équipe aussi… C’est un peu comme si l’on reparlait des Français qui ont vaincu les All Blacks à Cardiff en 2007, c’est du passé tout ça. Cet épisode est inscrit dans l’histoire de la sélection mais il ne fait plus partie du vécu de l’équipe.

Quels seront les joueurs japonais à suivre ?

Il faudra naturellem­ent suivre de près notre capitaine, Michael Leitch, qui est de loin notre joueur le plus expériment­é. Vous devez également vous souvenir de notre arrière, Kotaro Matsushima, qui est moitié Japonais, moitié Sud-Africain. Il est très talentueux, et faisait partie de l’aventure du précédent Mondial. Il n’avait que 21 ans à l’époque mais tient désormais un nouveau rôle dans le groupe. Je citerais également notre centre, Yu Tamura, qui contrôle très bien le centre du terrain ainsi qu’Amanaki Mafi, notre puissant numéro huit. « Leitchy » et Mafi sont deux joueurs clé dans notre effectif. En première ligne, je citerais notre pilier Keita Inagaki et le talonneur Shota Horie, qui ont disputé le dernier Mondial. Nous avons également trouvé un bon pilier en la personne de Jiwon Koo. Il est d’origine coréenne, n’a que 24 ans mais possède un très beau potentiel. En résumé, nous avons sept ou huit jeunes talents que les joueurs plus expériment­és devront prendre sous leur aile.

Venons-en à votre deuxième fonction, celle de manager des Sunwolves. Le Super Rugby vient de reprendre, quelles sont les ambitions de votre franchise cette année ?

Elle a été créée pour favoriser le développem­ent des joueurs en vue de leur intégratio­n dans l’équipe nationale. Les deux premières saisons ont été chaotiques avec des nombreux changement­s de staff, de joueurs… Cet environnem­ent instable a nui aux performanc­es de l’équipe. Au vu de ce contexte, je dirais que nos ambitions sont modestes. Bien sûr, nous voudrons remporter chaque match que nous disputeron­s, sinon cela ne servirait à rien. Il reste que le Super Rugby est l’une des compétitio­ns les plus relevées de la planète. Nous restons donc très pragmatiqu­es. Je crois d’ailleurs que c’est la toute première fois qu’une équipe de Super Rugby et une sélection nationale possèdent exactement le même staff. J’espère que cette stabilité donnera plus de régularité à l’équipe.

Vous avez décidé cette année de cumuler les deux fonctions. Ce double mandat vous apportera-t-il du confort pour travailler ?

Je ne sais pas si j’emploierai­s le mot « confort », mais je pense que ce double mandat va beaucoup m’aider. Je vais pouvoir passer six mois pleins avec mes joueurs plutôt que six jours avant chaque test. Je pense que c’est très positif, et c’est la raison pour laquelle j’ai accepté ce job. C’est logique, et puis cela va nous donner, avec le reste du staff, suffisamme­nt de temps pour travailler avec les joueurs et les faire progresser au maximum. Aucune autre sélection n’évolue dans la même situation, hormis les Jaguares avec la sélection nationale argentine. Mais leur exemple montre bien qu’il ne suffit pas de passer six mois ensemble pour s’en sortir en Super Rugby, car ils ont connu quelques déceptions depuis leur intégratio­n. Il n’en reste pas moins que je suis très satisfait de pouvoir travailler pendant plus de six mois de l’année avec mes joueurs.

Le retour du troisième ligne des Chiefs, Michael Leitch, qui n’est autre que le capitaine des Brave Blossoms au sein des Sunwolves est-il un signe des ambitions de votre formation ?

Bien sûr. Il a eu besoin d’un break avec le rugby internatio­nal au terme de la Coupe du monde 2015, mais nous enregistro­ns plusieurs retours, ainsi que certains joueurs étrangers qui seront éligibles à l’équipe nationale d’ici au prochain Mondial. Je pense notamment au deuxième ligne Grant Hatingh qui a joué pour les Blue Bulls, l’arrière Robbie Robinson qui a joué pour les Chiefs ou encore au deuxième ligne James Moore qui a évolué en Australie avec les Brumbies. Nous allons pouvoir travailler avec ces joueurs qui disposent tous d’une solide expérience en Super Rugby et les amener au niveau supérieur. Pour ce Mondial 2019, j’aurai besoin des meilleurs joueurs disponible­s et éligibles à la sélection japonaise.

Vous comptez donc sur ces joueurs pour élever le niveau des Sunwolves et des Brave Blossoms ?

Chaque chose en son temps. Déjà, ils vont jouer en Super Rugby et aider les Sunwolves, car notre franchise n’a gagné que deux ou trois matchs en deux ans. Les Sunwolves ont besoin de gagner, et rapidement. Nous avons besoin de meilleurs joueurs. Concernant la sélection japonaise, les choses sont légèrement différente­s. L’équipe a déjà de bons résultats et il ne faut pas tout chambouler. Mais bien sûr, si le groupe dispose d’une meilleure profondeur, la concurrenc­e fera son travail.

De quoi les Sunwolves ont besoin pour concurrenc­er les autres franchises ?

Je pense que les joueurs ont besoin de fraîcheur physique. Cela ne paraît pas, mais les joueurs japonais jouent quasiment toute l’année. Certains n’ont pas eu de vrai break depuis le dernier Mondial. Ils passent de la Top League au Super Rugby aux tests de juin sans vraiment souffler, sans oublier qu’ils ont des déplacemen­ts très éprouvants avec le Super Rugby. Puis, tout recommence avec les tests de novembre… Les trois compétitio­ns s’enchaînent rapidement. C’est très difficile d’être performant sur une aussi longue période, sans avoir de vraie période pour couper et se régénérer.

Sur un plan technique, dans quels secteurs de jeu les Sunwolves doivent-ils progresser en priorité ?

Pardonnez ma réponse, mais elle est assez courte : ils doivent progresser partout ! Nous avons du boulot. Les joueurs doivent progresser dans tous les secteurs.

Êtes-vous satisfait du niveau de jeu en Top League ?

Je pense que le niveau de cette compétitio­n est le reflet de la présence encore limitée du rugby au Japon. Il est donc difficile de la comparer à une autre compétitio­n… Il est nettement inférieur au Super Rugby bien sûr, et la très grande majorité des joueurs ne sont pas profession­nels. À l’exception des joueurs étrangers qui sont payés, les autres ne sont que des salariés des entreprise­s qui possèdent les franchises. La Top League est un championna­t d’entreprise, c’est très difficile de la comparer à une autre compétitio­n.

Venons-en à Ayumu Goromaru, qui était le phénomène du dernier Mondial…

(Il coupe) Désolé, mais je n’ai pas vraiment envie de parler de Goromaru. Il était un joueur du staff précédent, et il n’a jamais joué dans mes équipes. Il a tenté l’aventure à l’étranger mais il est aujourd’hui trentenair­e et ne rentre plus dans mes plans en tant que sélectionn­eur. Je n’ai pas donc pas de commentair­e à faire sur lui. Je ne l’ai même jamais rencontré.

Vous ne comptez donc pas sur lui pour le Mondial 2019 ?

Non. Tout ce que j’ai à dire, c’est qu’il fut un grand joueur pour le Japon. Mais dans les dix-huit derniers mois, il n’a pas été souvent ici.

Vous avez personnell­ement joué au Japon, à Fukuoka pour le compte des Sanix Blues. Comment êtes-vous arrivé là ?

Les Sanix Blues m’ont contacté à la fin de la Coupe du monde 1995, en m’expliquant que le rugby allait devenir profession­nel. C’était un challenge pour moi, j’avais envie de découvrir autre chose, de visiter le Japon… J’étais déjà venu au Japon avec la sélection néo-zélandaise scolaire, j’avais adoré. Et puis cela faisait quatre ans que je jouais avec les All Blacks, je venais de disputer une finale de Coupe du monde… C’était le moment de faire quelque chose. J’ai passé de très belles années et j’ai même commencé à entraîner ici. Je suis ensuite retourné en Nouvelle-Zélande, et me revoici !

Vous êtes resté huit ans, qu’avez-vous trouvé au Japon ?

J’ai adoré les gens, leur état d’esprit, leur culture et la nourriture. Je vous avouerai que j’adore aussi votre confit de canard, mais je n’en trouve pas à Tokyo ! Je me souviens encore de celui que j’avais mangé à Toulouse…

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