Midi Olympique

IMPACT IMMINENT

LE RACING 92 DE VAKATAWA RETROUVE LE MUNSTER EN DEMI-FINALE DE CHAMPIONS CUP. UNE « BELLE » ENTRE DEUX ÉQUIPES DONT LES PREMIÈRES CONFRONTAT­IONS FURENT TITANESQUE­S.

- Propos recueillis par Léo FAURE léo.faure@midi-olympique.fr

Étiez-vous prêts lorsque vous avez affronté les Saracens, en finale en 2016 ?

Laurent Travers : Oui, nous étions prêts. Mais ça ne suffit pas toujours. Parce qu’il y a un adversaire. À cette époque, les Saracens étaient encore plus prêts que nous. Ils avaient la maturité, le vécu de plusieurs demi-finales ou finales. Sur ces expérience­s, ils se sont stabilisés et ont décidé d’être patients. Cette politique leur a amené, ensuite, tous les résultats que l’on sait. C’est le chemin à suivre.

Laurent Labit : Les Saracens en sont l’exemple : on apprend toujours de ses échecs. Ils ont appris pour revenir meilleurs et, finalement, gagner. Nous avons aussi beaucoup appris de cette finale perdue. Dès le mois qui a suivi, notre titre de champion de France à Barcelone s’est nourri de cet échec en finale européenne, face aux Saracens.

Qu’aviez-vous appris ?

: Que ces matchs sont trop exigeants pour qu’on puisse mettre, sur le terrain, des joueurs qui ne sont pas à 100 %.

Si vous pouviez remonter le temps, vous ne feriez donc pas débuter Dan Carter ?

: Lui et d’autres. Pendant la préparatio­n, plusieurs joueurs étaient amoindris. Dan le premier. On perd aussi Max Machenaud rapidement, sur commotion. Après vingt minutes, nous avions déjà changé de charnière et le match était presque perdu. Dans des conditions climatique­s très difficiles, face à une équipe construite pour enchaîner les titres, le scénario s’est vite compliqué. Mais nous retenons les leçons de cette épopée. Elle doit nous servir cette fois-ci.

Qu’a changé l’entrée dans la U Arena dans votre façon de jouer et d’aborder les matchs ?

: C’est notre maison et quelque chose de révolution­naire, dans lequel les joueurs prennent énormément de plaisir. Les supporters aussi, puisqu’on est passé à plus de 20 000 personnes en moyenne, quand tout le monde nous prédisait un échec. Sur le terrain, on retrouve cela. Il y a énormément de vitesse. On a l’impression de jouer des phases finales à chaque match. Il n’y a plus le facteur climatique, les conditions sont idéales. Tout va plus vite.

: Cela peut parfois nous desservir, aussi. Nos joueurs sont dans une telle excitation de jouer dans cet environnem­ent que, parfois, ils se mettent seuls dans la difficulté. En jouant trop, avec des ballons perdus et des contres.

Cette évolution vers un rugby de vitesse, l’avez-vous planifiée ou est-ce le terrain qui l’impose ?

Il y a certaineme­nt un peu des deux. Franchemen­t, le terrain y est quand même pour beaucoup. Par les appuis, le rebond, il ajoute dans la vitesse dans tout ce que vous faites.

Heureuseme­nt qu’on réfléchit un peu, tout de même ! Avec l’arrivée de la U Arena, on savait quelle forme de jeu on allait pratiquer. Aussi, quels joueurs pouvaient y correspond­re, pour notre recrutemen­t.

Malgré ces évolutions, les clichés perdurent pourtant sur le jeu du Racing. Cela vous agace-t-il ?

: Non. On connaît le jeu, pour le pratiquer depuis longtemps. On lit, on écoute ce qui se dit sur nous mais sans y prêter trop d’attention. Nous avons une direction, un cap en termes de résultat. Le plus important, c’est de gagner des titres. Est-ce qu’il y a des jeux meilleurs que d’autres pour y parvenir ? On laisse les gens faire parler leur science.

: Le beau jeu, il n’y en a qu’un : celui qui gagne. On peut m’expliquer tout le reste, dans tous les sens, la seule finalité est celle-là. Bien jouer et perdre…

Les All Blacks de 2015 ne ressemblai­ent pas aux Springboks de 2007. Pourtant, les deux ont gagné…

Notre championna­t est long et plein de contrainte­s. C’est difficile de s’en tenir à une forme de jeu, tout au long de la compétitio­n, comme peuvent le faire des équipes nationales en contexte de Coupe du monde. Parce qu’en Top 14, il y a beaucoup d’autres paramètres que vous ne maîtrisez pas : la variété des adversaire­s, les états de forme, les blessés, les doublons. Votre idéal de jeu et votre équipe type sont sans cesse remis en question. Ce championna­t vous oblige à maîtriser plusieurs formes de jeu.

Question adaptabili­té, de ce qu’on peut en lire, le Munster souhaite vous attaquer sur les extérieurs, par de la vitesse. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

: Ils le disent ? Ils vont donc faire l’inverse… (il rigole) Mais c’est tellement difficile à dire en avance ! Ça dépendra de l’arbitrage, du temps, des blessés, des faits de match… Je ne sais pas où ils nous attaqueron­t, à Bordeaux. J’ai cependant une certitude : nous les avons joués deux fois en poule et, jusqu’à présent, ils nous ont plutôt attaqués au coeur.

On peut donc plus sûrement tabler sur du gros combat…

: Pour commencer. Mais pas seulement. Le système irlandais, c’est un jeu très cadré, précis. Ils savent exactement ce qu’ils doivent faire, quand et où ils doivent le faire. Et ils le font avec énormément de vitesse.

: Il faudra aussi voir quelle équipe ils alignent. On sait qu’ils sont très handicapés dans leurs lignes arrières. Est-ce que Keith Earls jouera ? Il est annoncé de retour et c’est un joueur très important pour eux. C’est aussi une équipe qui ne lâche jamais. En janvier, à la U Arena, à plusieurs reprises nous pensions avoir fait le plus dur pour s’assurer la victoire. À chaque fois, ils sont revenus au score, jusqu’à nous mettre en grosse difficulté en fin de match.

: On parle beaucoup du Munster et de ce qu’il va nous proposer. Je pense surtout que c’est à nous d’imposer notre jeu. C’est ce qui nous anime aujourd’hui.

: Ils ont des arguments, ils sont taillés pour cette compétitio­n. Mais on a déjà prouvé qu’on pouvait les

battre. Je préfère aussi qu’on se concentre sur nous.

C’est-à-dire ? Teddy Thomas a longtemps eu une réputation de joueur difficile à gérer. Comment êtes-vous parvenu à le cadrer ?

: Déjà, ses épreuves, ses blessures lui ont beaucoup appris. Il est devenu plus sérieux dans son approche de son métier. Ensuite, bien sûr qu’il y a eu un management particulie­r le concernant. Dès que ça allait mieux, Teddy avait tendance à s’égarer de nouveau. On a été vigilants avec lui. On a aussi été aidés par quelques joueurs cadres qui l’entourent, le suivent et ne le lâchent pas. Yannick Nyanga et Rémi Tales, notamment. Teddy les écoute et ils sont de bons conseils pour lui. Ils ont joué un rôle très important, sur la partie de sa vie qui est invisible pour nous, managers. Nous ne sommes pas 24 heures sur 24 avec les joueurs. Quand nous ne sommes pas là, d’autres prennent le relais et font le boulot à notre place. Avec cet entourage de qualité, Teddy a changé. Il est beaucoup moins difficile à gérer que lorsqu’il est arrivé chez nous.

: C’est aussi un joueur qui a un an de plus, tout simplement. Il a mûri, il a réfléchi. Il a travaillé sur lui-même pour prendre conscience de certaines exigences. Mais il a encore besoin d’avancer sur ce point. De poursuivre sa prise de conscience en écoutant les gens qui l’entourent et qui sont bienveilla­nts. Parce que Teddy est parfois entouré de personnes malveillan­tes, mais il peut aussi compter sur beaucoup de gens qui ne lui veulent que du bien. Il doit prendre conscience de tout cela.

: On est plutôt dans l’accompagne­ment le concernant. On discute beaucoup avec lui. Mais il faut lui dire la vérité, ne pas lui faire de cadeau quand son comporteme­nt n’est pas conforme aux attentes, sur ou en dehors du terrain. Teddy a tendance à se relâcher dès qu’il enchaîne quelques bonnes performanc­es. Il faut lui réclamer plus d’intensité dans son travail à l’entraîneme­nt, et ne pas seulement attendre les matchs. C’est un discours qu’on lui rabâche, un travail de tous les jours. Mais j’ai la sensation que cela prend. J’espère qu’on verra désormais le vrai Teddy Thomas. Et uniquement celui-là.

A-t-il été difficile d’annoncer à Daniel Carter qu’il serait remplaçant, lors du quart de finale ?

: Ça ne pouvait pas être difficile. Dan comprend les choses avant tout le monde. Il les comprend sur le terrain, aussi en dehors. Pour ce quart de finale, on s’est expliqué avec lui longuement sur notre choix. Mais Dan l’avait compris dès la préparatio­n du match. Parce qu’il est lucide sur tout.

: Dan avait du mal à retrouver sa confiance. Il a eu un blocage psy-

« Le beau jeu, il n’y en a qu’un : celui qui gagne. On peut m’expliquer tout le reste, dans tous les sens, la seule finalité est cellelà » Laurent Travers

chologique par rapport à sa blessure et la crainte d’une rechute. Il savait que, si ça arrivait, tout le monde lui tomberait dessus. Du coup, il n’arrivait pas à se libérer. Et ses prestation­s n’étaient pas bonnes. À l’inverse, Pat Lambie est performant depuis qu’il nous a rejoints, spécialeme­nt au poste d’ouvreur. La logique voulait que Pat débute et que Dan soit sur le banc, pour gérer la fin de match ou, si besoin, changer le cours du match. Il l’a très bien compris, bien avant qu’on lui annonce.

: Le comporteme­nt de Dan est exceptionn­el. C’est une star, un des meilleurs joueurs de l’histoire et ce n’est pas un hasard. Il sait tout avant. Chez lui, l’intérêt de l’équipe passe toujours avant les ambitions individuel­les. Un grand joueur, c’est cela. Dan en est un immense.

À vous écouter, un grand joueur est finalement plus facile à gérer…

: J’en suis convaincu.

: L’échange marche dans les deux sens. Quand il a décidé de nous rejoindre, nous savions que ça ferait du bien à l’équipe mais aussi sur un plan personnel. Travailler avec lui est un bonheur et, surtout, c’est très facile. Au même titre que Joe Rokocoko ou quelques autres. Ils tirent tous les autres vers le haut. À commencer par nous deux.

: C’est aussi en ce sens que notre groupe est mature. Il y a une émulation, à l’intérieur, sans qu’on ait besoin de l’insuffler. Il y a quelques grands joueurs, des jeunes qui poussent, un bon équilibre.

Avez-vous regardé, le week-end dernier, le retour à la compétitio­n de Johan Goosen ?

: Oui.

: Défaite 19-17. Il jouait ouvreur. Il a joué 63 minutes pour sept points inscrits. Il s’est aussi fait contrer…

Effectivem­ent, vous l’avez regardé attentivem­ent !

: Il a fait du « Goosen ». Très en jambes, bien sûr, mais je n’étais pas inquiet pour lui sur ce point. Ça n’a jamais été un problème pour lui. Il a fait de très bonnes choses, notamment du bon jeu au pied. Il fait aussi une faute de mains qui amène l’essai de Conor Murray. Bref, du Goosen.

: On connaît le talent joueur. Et son talent n’est pas remis en question.

Avez-vous fait son deuil ?

Heureuseme­nt, non ? Mais ça restera comme une belle épreuve. Nous étions informés de beaucoup de ces choses avant que l’affaire ne sorte, médiatique­ment. On s’était préparés à ce qui allait arriver. On avait décidé de se recentrer sur ce qu’on maîtrisait : notre équipe. La situation de Goosen, on ne la maîtrisait pas.

Le parallèle avec vos propos sur Dan Carter amène à penser que Johan Goosen n’est pas un grand joueur…

(il grimace)

La question est-elle embêtante ?

Non, même pas. Pas du tout. On verra ce que « Goose » fera de sa fin de carrière. Mais c’est déjà un gâchis par rapport à son potentiel et la direction qu’il prenait. Cependant, pour avoir côtoyé les deux, il y a une grande différence de mentalité, d’éducation, d’intelligen­ce entre Dan Carter et Johan Goosen.

: Dan est titré dans toutes les compétitio­ns qu’il a disputées. Que ce soit en club ou avec les All Blacks, il ne lui manque qu’un titre : la Coupe d’Europe. Dan Carter, il n’y en a qu’un. On ne peut pas le comparer.

Venons-en à votre relation : si Laurent Labit avait accepté de suivre Jacques Brunel en équipe de France, qu’auriez-vous fait Laurent Travers ?

Je n’aurais tout de même pas arrêté ! Ça fait partie de la vie. Tant qu’on est ensemble, tant mieux. Mais il est hors de question de se bloquer l’un pour l’autre, ce serait stupide. J’aurais certaineme­nt pris d’autres responsabi­lités au club.

Finirez-vous votre carrière ensemble ?

: Personne ne sait de quoi demain sera fait. Mais tant qu’on est ensemble, on est bien ensemble.

Vous travaillez l’aspect psychologi­que et relationne­l avec un intervenan­t extérieur. Pourquoi ?

: Oui, on a pris quelqu’un qui nous apporte du recul sur notre fonctionne­ment, notre travail et notre façon d’être en binôme. Nous passons nos semaines avec la tête dans le guidon, à 200 à l’heure focalisés sur les matchs. Il est important de pouvoir se poser, parfois. D’avoir un retour au calme sur notre management, le relationne­l à notre staff…

Que vous conseille-t-il ?

On travaille sur différents domaines. (il sourit) Ça restera entre nous.

Dormez-vous bien la veille d’un grand match ?

: Ça a bien évolué. Cela va faire quatorze ans qu’on entraîne ensemble. Heureuseme­nt que nous sommes plus posés, plus réfléchis. On s’assagit parce qu’on vieillit, tout simplement ! Regardez, je n’ai plus de cheveux (il rigole).

Même la saison dernière, qui avait pourtant des allures cauchemard­esques pendant longtemps ?

: Comme pour les matchs, on apprend de ces expérience­s. Et j’espère bien que nous serons confrontés aux mêmes problèmes, en début de saison prochaine. Ça voudra dire qu’on aura remporté un titre, au moins. On essaiera d’y apporter de meilleures réponses.

Lesquelles ?

: On oublie trop souvent de dire que la finale à Barcelone était fantastiqu­e, mais elle était le 24 juin, trois semaines après la date habituelle. La reprise, elle, était bien au 18 août. Nous n’avions eu que 18 jours pour nous préparer ! Si c’était à refaire, on prendrait le temps de se préparer correcteme­nt. Quitte à sacrifier quelques matchs du début de saison. On donnerait plus de temps aux joueurs, notamment les plus âgés, qui ont besoin d’être bien dans leur corps pour être performant­s.

Quoi d’autre ?

On sait désormais que l’euphorie d’un titre ne remplace pas une bonne préparatio­n. Vous ne pouvez pas démarrer une saison en vous appuyant seulement là-dessus. On avait subi le contrecoup très, très vite. Dès le mois de septembre. Les blessures sont arrivées, puis les affaires extra-sportives. Nous avions accordé trop de passe-droits. Les joueurs, en plus, s’en sont attribués certains tout seuls. Il avait fallu recadrer pour avoir une meilleure deuxième partie de saison.

: La leçon, c’est qu’il faut maintenir un cadre strict. Lequel ? J’espère franchemen­t avoir à me poser la question cet été.

« Il y a une grande différence de mentalité, d’éducation, d’intelligen­ce entre Dan Carter et Johan

Goosen » Laurent Labit

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Photos M. O. - Patrick Derewiany
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