Midi Olympique

« On avait un lourd passif »

UGO MOLA - Entraîneur principal du Stade toulousain IL N’AVAIT PAS ACCORDÉ D’ENTRETIEN DEPUIS CELUI PARU DANS NOS COLONNES EN AOÛT. LA SEMAINE PASSÉE, UGO MOLA A ACCEPTÉ DE SE LIVRER SANS RETENUE, À LA VEILLE DU BARRAGE CONTRES CASTRES SAMEDI. IL RÉVÈLE N

- Propos recueillis par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr

Après la chute de l’an passé, la qualificat­ion fait que saison est déjà réussie. Est-ce un confort ou un risque, selon vous ?

Un risque. Il y a eu un tel tapage autour de la saison de nonqualifi­cation qu’on peut se dire : objectif atteint, il arrivera ce qu’il arrivera. De l’autre, l’appétit venant en mangeant, pourquoi pas nous ? Je préfère la seconde solution. Ce serait dommage de s’être battu pour avoir l’organisati­on qui est la nôtre, le recrutemen­t, pour que le fonctionne­ment du staff soit basé sur la loyauté et la compétence, et pour qu’à la sortie on s’arrête là, dès les barrages. Pour moi, ce groupe n’a pas donné sa pleine mesure. Quand je le livre aux joueurs, je sens encore une sorte d’incertitud­e. Ils se demandent :

« Il dit ça pour nous pousser ou y croit vraiment ? » Pendant 65 minutes, nous sommes capables de battre tout le monde, pourquoi pas 15 minutes de plus ? Je pense en avoir convaincu plus de la moitié mais j’ai encore quelques sceptiques. Ce n’est pas Ugo Mola qui les convaincra maintenant. Ça se passera à l’intérieur du groupe.

Jusqu’où peut aller votre équipe ?

Entre aborder un barrage à domicile et être champion, il y a un monde. Mais cette équipe, avec un peu de réussite, n’a pas à rougir de la comparaiso­n avec un Stade français en 2015 qui a pris conscience de son potentiel. Finir troisième de la saison régulière, à côté des effectifs démesurés de Toulon, du Racing ou de Montpellie­r est une réelle performanc­e. Il ne s’agit pas de s’en satisfaire mais de s’y confronter. L’histoire peut s’arrêter samedi mais l’état d’esprit, la volonté d’aller de l’avant et de tenter sont une constante depuis 26 journées. Est-ce qu’on les aura le jour où ça compte ? Ça dépend des croyances profondes. Ces garçons ont l’impression que c’est de l’ordre de l’exploit car nous avons un des effectifs du Stade toulousain qui comporte le moins de champions. Si je les harcèle, c’est pour qu’ils aillent plus loin. On oublie qu’aux postes clés de talonneur, numéro huit ou arrière, ils ont entre 20 et 24 ans. Il leur manque la saison que nous vivons. C’est présomptue­ux mais on a un p… de talent dans cette équipe. La clé restera la fraîcheur mentale et physique.

En août, vous insistiez sur la nécessité de générer de l’enthousias­me. C’est le cas sur le terrain, au sein du club ou au stade. Est-ce le premier succès ?

Plein de choses ont été réalisées autour de nous, qui redonnent cet enthousias­me. Dans le rugby que nous pratiquons, par les chiffres et les faits, il est aussi présent. Je ne veux pas faire offense aux « gros » car ce seront eux qui nous feront gagner mais quand tu as 80 % des essais inscrits par les trois-quarts, cela prouve que l’envie de déplacer les hommes et le ballon existe. Maintenant, je voudrais que le groupe s’approprie les choses. Si je me base sur la réception de La Rochelle, il y avait un engagement énorme mais je n’ai pas senti cette équipe libérée. J’ai envie, peu importe notre adversaire, que les mecs se libèrent et n’aient pas de regrets.

La blessure d’Antoine Dupont (survenue en février avec l’équipe de France) a été perçue de l’extérieur comme un cataclysme. Or, votre groupe a su réagir…

Quand on a symbolisé Antoine comme le renouveau du club, on a mis le mouchoir sur d’autres et beaucoup ont fait ce raccourci. On avait peut-être oublié le rugby proposé. Juste, chaque mec s’est dit : « Merde, ce qui lui arrive peut m’arriver. Il faut qu’on profite. » Jusque-là, nous étions dans la retenue. C’est paradoxal car on venait de perdre un joueur très important mais les garçons ont vu à quel point une saison était fragile. Mon discours, depuis un mois et demi, est le suivant : « Ce groupe vit une histoire et, au soir de notre fin de saison, ne sera plus jamais le même. » L’extérieur a vu la blessure d’Antoine comme l’élément déterminan­t mais le vrai point de départ, c’est le stage en Andorre (début février, N.D.L.R.) où on a pu se dire certaines choses et bâtir sur l’aventure humaine.

Les relations franches manquaient-elles jusque-là ?

En tout cas, ce stage a permis d’aller loin dans la mise en danger du staff envers les joueurs, et vice-versa. Nous avons dépassé la simple relation entraîneur-entraîné. C’était quitte ou double car on avait un lourd passif, entretenu par certains. On a juste créé un rapport authentiqu­e.

C’est-à-dire ?

On peut se tromper, prononcer des mots inappropri­és, se rater dans une compositio­n, et un joueur peut se trouer. Mais on ne remet pas en cause l’intégrité de la personne. C’est tellement rare dans les aventures de groupe, pour des raisons de carrière individuel­le. Les avenirs étaient réglés pour 98 % des mecs, alors on a dit : « On a juste à faire les quatre derniers mois ensemble à bloc. »

Vous avez employé le mot « authentiqu­e », comme pour décrire votre capitaine

Florian Fritz…

En début de saison, on a fait des brainstorm­ings, du théâtre pour que les mecs apprennent à se connaître. Flo ne se sentait pas du tout à l’aise sur ces activités, était capable de se barrer et de dire : « Écoute Ugo, c’est pas mon truc,

j’ai rien à faire là. » Mais je l’ai laissé capitaine car il était si authentiqu­e. Il symbolise la volonté que ce groupe a de vivre les choses. Maestri, Doussain ou Tekori sont ses plus fidèles lieutenant­s. Au moment où Flo se lève, ils le suivent et quand ces trois-là se mettent derrière lui en ordre de marche, tu te dis : « Franchemen­t, Ugo, ne te complique pas la vie. »

Mais Fritz, Maestri et Doussain ne seront plus là l’an prochain…

La vie a peur du vide. On déterminer­a d’autres leaders.

Lesquels ?

J’ai une petite idée mais, des gros joueurs qui sont partis récemment, il n’y a que ceux qui font de grandes déclaratio­ns qui se croient irremplaça­bles. Laissez-moi le temps de savourer ce qu’il se passe avant d’avoir des préoccupat­ions pour la saison prochaine (sourires).

On a l’impression que ce stage en Andorre a permis de solder la saison dernière…

dans ceux de subordinat­ion, dans les comporteme­nts. Il y a eu plein de petits soucis à l’intérieur du vestiaire qui ont été gérés par le groupe. On a même créé une commission d’éthique et les mecs protégeaie­nt leurs équipiers. Pas bêtement, en argumentan­t leur défense, et certains ont été sanctionné­s. L’aventure fonctionne si la loyauté est le maître mot. Quand je sors d’un XV de départ un joueur internatio­nal, qui pèse lourd dans la réussite de la saison, c’est un crève-coeur. Mais on raisonne par rapport à la fraîcheur, l’adversaire, la complément­arité. Je ne me demande pas : « Est-ce que je fais jouer le plus gros salaire ou pas ? »

Certains sont aussi venus me voir : « Je ne me sens pas de jouer là, d’être remplaçant, d’être 24e homme. » D’accord, tu viens me le dire honnêtemen­t. Après, le staff décide et apporte une réponse : « Tu n’as pas le choix, tu le fais pour le bien de l’équipe » ou « T’as raison, si tu ne te sens pas capable, on met un autre mec. » C’est arrivé sept ou huit fois dans la saison. Ce qui ne m’était jamais arrivé depuis que j’étais là.

Y avait-il une chape de plomb qui pesait auparavant dans le vestiaire ?

C’était plus insidieux que ça. L’air de rien, tu as perdu l’entraîneur et le président les plus titrés du rugby français. Ils avaient créé un modèle, à tous les niveaux. En trois ans sur le plan sportif et en un an sur celui de la direction, on a bouleversé ça. Ce n’est pas qu’on s’inscrivait en faux mais il fallait faire évoluer les choses. Avec une conviction : l’institutio­n est plus forte que les hommes.

La réussite, n’est-ce pas que l’on ne vous ramène plus systématiq­uement au passé ?

Le temps fait son oeuvre. Mais j’ai chronologi­quement agi en cohérence avec ce qui nous semblait être l’objectif. Je crois que le rugby de demain est orienté sur la vitesse, la technique et l’ambition collective, pas sur des monstres tout-puissants. On a constitué un groupe basé là-dessus et ce fut tout le travail du staff, de William Servat, de Jean Bouilhou, de Clément Poitrenaud qui nous a rejoints ou de Pierre-Henry Broncan qui va nous quitter et qui a réalisé un boulot énorme sur le recrutemen­t. Aujourd’hui, ça nous donne raison mais, demain, on se fera peut-être rouler dessus par une équipe plus costaude que nous. Je le dis avec modération car il est facile de vendre ses méthodes mais, en général, au moment où tu la vends, c’est déjà trop tard. Regardez qui vous interviewi­ez à ma place l’an passé ? Sûrement des gens qui ne sont pas qualifiés ou ont vécu une saison compliquée.

Vous avez prolongé votre contrat. Était-ce une évidence ?

C’était une question de légitimité. À mon arrivée, René Bouscatel, qui m’a apporté une sérénité incroyable, m’a dit : « Tu as deux ans pour changer deux tiers de l’effectif. »

On a eu ce rôle avec Fabien Pelous et ça n’a pas toujours été simple de recevoir l’informatio­n. 23 ou 24 joueurs nous ont quittés, ce qui n’était jamais arrivé depuis les années 90. Puis un nouveau président a débarqué, avec cette énergie folle qui nous permet de passer dans une nouvelle ère. On me prête une amitié pour Didier Lacroix, que j’ai par ailleurs, mais on fait la part des choses. Il y avait un objectif à assumer. En vivant une saison identique à la précédente, il était hors de question que je continue. Ça ne mettait pas en cause le boulot effectué mais la capacité à réamorcer la pompe. Aujourd’hui, on peut considérer qu’elle a été réamorcée. Donc je continue, mais les arrivées de Jérôme Cazalbou ou de Régis Sonnes étaient primordial­es pour moi. J’avais besoin de me sentir épaulé, pas pour me décharger de mes responsabi­lités mais pour que je ne porte pas parfois trop seul le projet de la reconquête. Tu ne te sépares pas d’un Ferguson comme ça. Regardez le temps que Manchester United a mis pour retrouver un semblant de compétitiv­ité à haut niveau.

La nouvelle ère ne s’écrit pas sans heurt, avec les attaques acerbes de Fiducial. À quel point cela impacte-t-il le sportif ?

J’essaye de parler de ce que je suis censé maîtriser. Sur la gouvernanc­e, je suis parfois plus spectateur qu’acteur. Ce qui est dérangeant, c’est qu’au sein même de notre structure, on puisse être mis en danger en interne sur des moments clés de la saison. Sportiveme­nt, je ne peux pas comprendre que des déclaratio­ns fusent à la veille d’un match important pour notre qualificat­ion que allions jouer contre le Racing. Mais, honnêtemen­t, le vestiaire n’en a quasiment jamais été affecté. Le seul trouble que cela a pu jeter, c’est quand certains contrats majeurs ont eu du mal à être enclenchés en début de saison. Maestri ou Doussain avaient des raisons personnell­es après de nombreuses années au Stade toulousain et discutaien­t avec des clubs plus attractifs que nous au moment où la négociatio­n s’est effectuée, mais cette fragilité ambiante nous a desservis.

« Quand Flo se lève, les autres le suivent » Ugo MOLA, à propos de son capitaine Florian Fritz

L’erreur était de faire une généralité des mecs qui nous ont quittés : « Les mauvais sont partis, les bons sont

restés. » C’est ridicule. Un Dusautoir, un Lamboley ou un Clerc auraient pu faire partie de l’aventure. On a fait des choix forts en se séparant de joueurs emblématiq­ues. Plusieurs ont voulu continuer et, pour certains, ont fait plus de déclaratio­ns que de feuilles de match. Mais réussir n’est pas une fin en soi. Ugo Mola n’était ni la cause de tous les maux comme quelquesun­s l’ont pensé, ni la solution. Il était important de retrouver de la proximité et du naturel dans les rapports humains,

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