DEUX LIONS EN CAGE
PLUS QUE DES ANCIENS PARTENAIRES SOUS LES COULEURS DES LIONS ET DE GRENOBLE, CE SONT DES ENNEMIS INTIMES AUX MÊMES AMBITIONS QUI S’AFFRONTERONT EN DEMI-FINALE, OÙ LES FANTÔMES D’UN PASSÉ RÉCENT POURRAIENT BIEN RESSURGIR. PLONGÉE DANS UN SECRET DE VESTIAIR
En matière de poids lourds, on tient là un sacré combat. D’un côté, le Montpelliérain Paul Willemse, 2,01 m et 136 kg, et de l’autre le Lyonnais Hendrik Roodt, 1,98 m pour 136 kg, selon les fiches officielles. Et tout laisse à penser qu’entre les deux hommes, le choc sur la pelouse devrait s’avérer brutal, ainsi qu’en témoigne leur ancien partenaire du côté de Grenoble, Arnaud Héguy. « Il vaut mieux avoir les deux ensemble que face à face, s’amuse le talonneur. Ce sont deux vrais avants à la sud-africaine : massifs, rugueux, durs au mal. » Deux hommes qui s’étaient déjà côtoyés une saison en Afrique du Sud sous les couleurs des Golden Lions, et dont l’association à Grenoble a créé des étincelles. « Hendrik était arrivé chez nous en tant que joker médical, et ça avait été une énorme surprise, se souvient le troisième ligne Fabien Alexandre. Et un, an plus tard, Paul est arrivé, avec un statut différent… Il était très jeune et avait quitté l’Afrique du Sud un peu dépité, car on lui avait fait comprendre qu’il serait barré chez les Springboks. Physiquement, il en imposait terriblement. En plus, contrairement à ce que pouvaient laisser penser les apparences, ils étaient assez complémentaires. Malgré son gabarit, Paul est excellent en touche. Alors, aux côtés de Hendrik qui est un peu plus besogneux, l’attelage était très performant. À cette époque, quand on alignait les deux gros côte à côte, cela faisait assez mal… » Pour preuve ? Avec les deux hommes, le FCG s’est imposé dans ses derbies face à Lyon et Oyonnax, mais également sur la pelouse de Toulouse (25-22)...
CONCURRENCE FAUSSÉE SUR FOND DE TRANSFERT
Des exploits malheureusement non pérennisés, la faute à une concurrence plus subie que désirée par Fabrice Landreau, alors directeur sportif du FCG. « Comme Paul, Hendrik ne voulait pousser qu’à droite et ne se voyait pas jouer le rôle du deuxième ligne plus coureur. Il avait probablement mal vécu l’arrivée de Paul. » Et Paul Willemse mal digéré cette concurrence, d’autant que celle-ci fut rapidement faussée par un coup de fil venu de Montpellier. « Il avait signé chez nous pour plusieurs saisons mais, à l’époque, Jake White était arrivé à Montpellier et avait fait de Paul sa cible numéro un, se souvient Alexandre. Le MHR était prêt à casser sa tirelire pour le faire venir, et lui avait très envie d’aller là-bas. Parce qu’il allait y retrouver une colonie sud-africaine dont son meilleur ami Jacques Du Plessis, parce qu’il était venu en Europe pour jouer dans un gros club, mais aussi parce qu’il est probablement le genre de joueur à regarder en priorité ce qui tombe à la fin du mois… » Un cocktail parfait pour créer un contexte explosif, dont Fabrice Landreau se souvient dans les moindres détails. « Paul avait émis le souhait de quitter le FCG avant le terme de son contrat pour rejoindre Montpellier, et de mon côté, j’essayais de le convaincre de faire au moins une saison de plus avec nous avant de s’en aller. Le truc, c’est que Paul ne mettait pas la meilleure volonté du monde à l’entraînement pour préparer nos matchs, ce qui était mal vécu par une partie du vestiaire. Et comme pour moi, Paul Willemse était un élément essentiel, je le protégeais un petit peu et cela pouvait en agacer quelques-uns. »
BAGARRE ET LETTRE RECOMMANDÉE
À commencer par un certain Hendrik Roodt, devenu concurrent direct de Willemse, qui se retint jusqu’à l’explosion, un matin d’hiver, sur la pelouse du stade Bachelard… « Le temps était mauvais et nous avait obligé à déplacer notre entraînement, se souvient Landreau. Pluie, neige… Le contexte était pesant, un peu lourd. Et puis, il y a eu un déblayage un peu fort mais qui n’était finalement qu’un prétexte. » Un souvenir marquant, dont Fabien Alexandre sourit aujourd’hui. « Ce sont des choses qui arrivent parfois… À l’époque, c’était resté en interne, mais Hendrik et Paul s’étaient bien accrochés. Est-ce qu’il y avait un peu de rancoeur par rapport au contexte de son départ, un peu de jalousie ? Je n’en sais rien… » Reste que les noms d’oiseaux échangés ce jour-là ne furent pas sans conséquences. « Je ne sais pas ce qu’ils ont pu se dire dans leur langue, souffle Landreau. Il n’y a pas eu échange de coups mais le ton est monté très haut, et Paul a quitté l’entraînement. Quelques jours plus tard, le club recevait un courrier recommandé de la part de l’avocat de Mohed Altrad, qui expliquait que Paul ne souhaitait plus venir s’entraîner car il ne se sentait pas en sécurité, et que je n’avais rien fait pour le protéger. C’était une situation ubuesque, qui a contribué à ce que Paul nous quitte sur une mauvaise impression. » « Même sans cet accrochage, Paul serait parti à Montpellier, philosophe Arnaud Héguy. Ce petit incident, c’était plus un prétexte qu’autre chose dans le bras de fer qui l’opposait au club. »
MAILLOT BLEU ET DÉSIR MIMÉTIQUE
Un souvenir qui constitue forcément un élément à charge dans le passif des deux hommes, à l’heure de croiser le fer sur la pelouse du Groupama Stadium. Quand bien même ces derniers se sont déjà rencontrés à deux reprises depuis lors, pour autant de victoires du Montpelliérain… « Je ne ressens aucun esprit de revanche par rapport à Hendrik, nous a confié Willemse en début de semaine. Ce sont des choses qui arrivent dans le rugby… Parfois tu perds un peu le contrôle quand tu es en train de combattre aux entraînements. Cela est aussi arrivé à Montpellier ou à d’autres équipes… Il n’y aura pas d’animosité entre nous deux, en tout cas pas de mon côté… On va voir simplement dans le match vendredi qui sera le meilleur de nous deux. » Un soir où il ne fera certainement pas bon mettre le nez à la fenêtre dans les regroupements, ainsi que s’en amuse Fabien Alexandre. « Ils ont sur le terrain un rôle qui est aussi important que similaire, qui consiste à bien caler le côté droit de la mêlée, faire avancer l’équipe lorsqu’ils portent le ballon, et surtout faire la loi dans les rucks. Alors, ils vont forcément se chercher un peu… Je ne pense pas qu’ils pénètrent sur le terrain avec l’idée de faire mal à l’autre. En revanche, s’ils ont l’occasion de se donner un bon coup de tronche, ils n’hésiteront pas… » Des propos corroborés par Arnaud Héguy. « Connaissant bien le caractère de Hendrik, je sais qu’il n’a pas oublié ce qui a pu se passer entre eux. Et comme Paul n’est pas du genre à laisser sa part aux chiens, leurs retrouvailles devraient être sympathiques… » D’autant que, comme si tout cela ne suffisait pas, la rivalité entre les deux hommes a connu cette semaine un nouveau rebondissement, sur fond de sélection… Car s’il n’est un secret pour personne que Paul Willemse rêve d’intégrer le XV de France (sa demande de passeport est en cours de traitement et son cas a été évoqué récemment par Bernard Laporte, N.D.L.R.), Hendrik Roodt est également sorti du bois dans la semaine, officialisant par le biais d’un entrefilet dans Le Progrès son rêve d’endosser le maillot bleu. Ce qu’il veut, je le veux… René Girard a en son temps baptisé ce concept comme celui du désir mimétique, point de départ de toutes les rivalités fratricides. À laquelle ce combat de vrais Lions en cage ne risque pas d’échapper…