Midi Olympique

« Ma femme me dit souvent : « Détends-toi ou tu vas crever à 40 ans ! » »

JUAN IMHOFF - Ailier du Racing 92 GRAND OUBLIÉ DES PHASES FINALES DE LA CHAMPIONS CUP, JUAN IMHOFF (30 ANS, 35 SÉLECTIONS) A L’OCCASION DE PROUVER À LYON QU’IL RESTE L’UN DES MEILLEURS AILIERS DU TOP 14.

- Propos recueillis par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

« Je comprends qu’une personne travaillan­t dans un bureau ou à l’usine éprouve le besoin de couper avec cet univers, à un moment de l’année. Moi, je bois, je dors et je mange rugby. » Juan IMHOFF Ailier du Racing 92

Que ressentez-vous au moment d’aborder les phases finales du Top 14 ?

J’adore cette période de l’année. Le soleil, le ballon sec, les pelouses légères et les gros matchs dans de grands stades… Tout ça, c’est le rêve.

À ce point ?

En hiver, sur les pelouses grasses, tu dois d’abord te concentrer sur la réception du ballon avant d’imaginer telle ou telle action de jeu. Au printemps, tout est différent : tu sais qu’il y a neuf chances sur dix pour que la passe et la réception soient bonnes. Alors tout va dix fois plus vite.

Vous souvenez-vous de la dernière demi-finale de Top 14 que vous avez disputée ?

Comment l’oublier ? C’était à Rennes contre Clermont. On avait gagné après prolongati­ons (34-33). Pfff, on pourrait écrire un livre sur ce match…

Y avait-il en-avant entre vous et Juandré Kruger, sur la dernière action du match ?

Mais non ! Jamais ! (rires) Ce match, c’était une super production américaine. Toujours plus, quoi ! Je joue rapidement la dernière touche du match, elle échoue dans les mains de Fofana. Il perce, tombe, puis Juandré Kruger intercepte la passe de Radosavlje­vic. Il me la donne et je marque. C’était juste incroyable…

Quelle opinion avez-vous du Castres olympique, votre prochaine adversaire en demi-finale ?

Castres est une bête de phases finales. Il n’y a pas de stars au CO. Mais les mecs se battent, s’envoient comme des dingues. Ils jouent comme des frères. Et puis, le coup de pied de Benjamin Urdapillet­a, les appuis de David Smith et tout le reste me font dire que ce tirage est tout sauf un cadeau.

La défense du Racing, avec 45 essais encaissés depuis le début de saison, est la meilleure du Top 14. Êtes-vous, vous-même, un grand défenseur ?

Quand j’étais jeune, j’adorais plaquer. Très bas, à l’argentine, en se jetant avec l’épaule dans les chevilles des adversaire­s ! Jusqu’au jour où je me suis cassé la tête sur le genou d’un adversaire. J’avais 19 ans. Le plancher orbital et la mâchoire ont explosé sur le choc. J’ai dû subir une opération en urgence.

Et depuis ?

Me remettre à plaquer bas m’a beaucoup coûté, au départ. Mais avec les monstres que je croise aujourd’hui en Top 14, je n’ai pas d’autre choix que de viser les chevilles ou la jambe d’appui. Comprenez : moi, je fais 90 kg avec un sac à dos.

Êtes-vous le joueur le plus rapide de l’effectif francilien ?

J’ai un peu de vitesse… Mais ce n’est pas une fin en soi. Il te faut d’abord choisir le bon intervalle, opter pour l’angle de course adéquat. Tu as beau aller vite, si tu frappes dans un mur, tu ne le briseras jamais.

Vous n’avez pas répondu à la question…

Teddy (Thomas) est plus rapide, je pense. En plus, j’ai l’impression qu’il ne force jamais pour atteindre sa vitesse maximale. Il est si facile, ce mec… Parfois, on se défie tous les deux à l’entraîneme­nt. Et si au départ, je ne lis pas bien sa course, je ne le revois plus.

Comment avez-vous retrouvé Teddy Thomas après la finale de Champions Cup ?

Il était très touché. Mais on commet tous des erreurs, moi le premier. Teddy a la vie devant lui. Il va se relever et sera bientôt encore plus dangereux. Moi, je serai toujours à ses côtés.

Vos deux essais marqués face à Agen lors de la dernière journée de phase régulière (42-13) ont beaucoup fait parler. Comment vous sentezvous, en ce moment ?

Beaucoup mieux qu’en début de saison, c’est certain… Je m’étais blessé aux côtes en fin de saison dernière et il m’a fallu du temps pour revenir. Ce pépin a totalement déréglé ma préparatio­n physique.

Comment ça ?

D’habitude, je commence à bosser pendant mes vacances en Argentine. À Rosario, mes trois frères m’attendent toujours de pied ferme. L’un est coach sportif, l’autre demi de mêlée de Duendes, mon club formateur… […] Ils ne sont pas faciles, vous savez. Ils me défient sur tous les terrains, la muscu, la vitesse ou les skills. Mon père (José Luis, ancien sélectionn­eur des Pumas) joue au coach. Ce sont de beaux moments. J’ai un peu l’impression de revivre mon adolescenc­e.

Ne coupez-vous donc jamais avec le rugby ?

Non, jamais. […] Je comprends qu’une personne travaillan­t dans un bureau ou à l’usine éprouve le besoin de couper le cordon avec cet univers, à un moment ou un autre de l’année. Moi, je bois, je dors et je mange rugby.

Vous semblez entretenir un rapport fusionnel avec votre famille. Les milliers de kilomètres vous séparant d’elle sont-ils difficiles à vivre ?

13 000, pour être exact ! Je les ai comptés ! (rires) Oui, c’est dur… On m’a récemment demandé si je doutais de la pertinence de mon choix de vie. Mais pas du tout. Le doute, il m’a seulement hanté aux premiers moments, ce soir d’hiver (2011) où j’ai posé mes valises dans un appartemen­t d’Antony (Hauts-de-Seine).

Pourquoi ?

J’étais seul pour la première fois de ma vie. J’étais malheureux et mes proches me manquaient tellement que j’en avais des vomissemen­ts. Vous savez, je ne manquais de rien en Argentine. J’étais au milieu des miens, je prenais du plaisir en club, la vie était douce.

Pourquoi êtes-vous parti, alors ?

J’ai voulu voir ce que j’avais dans le ventre, si je pouvais réussir en France comme d’autres l’avaient fait avant moi, accrocher l’équipe nationale.

Toute votre famille est-elle aussi mordue de rugby que vous ?

Oui, même ma mère. Longtemps, elle n’a pas eu le droit de parler de rugby à table. Mon père est de la vieille école. Il a 73 ans et a toujours considéré que si on ne connaît pas les spécificit­és de ce sport, on ne peut en parler. Alors, quand il entendait les filles de la maison débattre sur le rugby, il les coupait net dans leur conversati­on : « C’est interdit. Les filles ne jouent pas au rugby ! Vous êtes des ladies, pas des gentlemen ! » Cette intransige­ance rendait ma mère furieuse, parce qu’elle ne pouvait prendre part à ce qui animait l’essentiel de nos repas. Alors un jour, papa lui a offert un énorme bouquin où étaient couchées toutes les règles du rugby…

Et depuis ?

Maman a tout appris ! L’autre jour, elle m’a appelé pour me dire que l’Ulster avait marqué un essai formidable en Ligue celte. J’étais scié… […] Dans un sens, je suis parfois aussi excessif qu’elle. Quand je rentre à la maison et que je refais le match dans un sens, puis dans l’autre, ma copine me dit : « Arrête un peu avec ton ballon ! Détends-toi ou tu vas crever à quarante ans ! »

Dès lors, comment avez-vous vécu le fait de n’avoir participé à aucun des matchs de la phase finale de Champions Cup ?

J’étais frustré, c’est normal. Mais quand je jouais tous les matchs avec le Racing, je n’allais pas voir les coachs pour leur demander pourquoi je jouais. Alors je n’allais pas commencer maintenant que je ne jouais plus. Je n’avais jamais été confronté à cette situation-là. Je l’ai vécue comme un défi.

En avez-vous perdu le sommeil ?

Non. Je dormais bien parce que je savais que j’avais tout donné pour y être. Le choix ne m’appartenai­t plus. J’ai appris, avec le temps, à prendre du recul sur les choses que je ne peux contrôler.

Quel fut votre rôle, alors ?

À Bilbao, j’ai gueulé en tribunes comme un supporter.

Laurent Labit nous confiait dernièreme­nt que les nouvelles d’Argentine, vous concernant, n’étaient pas bonnes. Serez-vous un jour ou l’autre repris en équipe nationale ?

Je ne sais pas. Moi, je constate simplement que la règle n’a pas changé et que les Pumas évoluant à l’étranger ne jouent toujours pas pour l’équipe nationale. Peut-être changeront­ils… Peut-être pas… Une annonce a été faite (lors d’une interview accordée à la Nacion, le président de la UAR Marcelo Rodriguez a émis l’idée d’assouplir la législatio­n) mais pour l’instant, rien n’est acté. Le sélectionn­eur (Daniel Hourcade) ne m’a pas appelé et je n’ai pas disputé les phases finales de Coupe d’Europe avec le Racing. La réalité, c’est celle-ci.

Le Mondial est dans moins d’un an…

Je vais bosser, me préparer comme un dingue. Comme ça, si on ne me prend pas, je ne pourrai avoir de regrets.

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? Élément important du sacre du Racing 92 à Barcelone, en 2016, Juan Imhoff retrouve avec appétit les phases finales du Top 14 alors qu’il n’a pas disputé celles de Champions Cup.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Élément important du sacre du Racing 92 à Barcelone, en 2016, Juan Imhoff retrouve avec appétit les phases finales du Top 14 alors qu’il n’a pas disputé celles de Champions Cup.

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