Midi Olympique

LES EMMERDEURS VOUS SALUENT !

UNE FOIS ENCORE, LES CASTRAIS ONT DÉJOUÉ LES PRONOSTICS EN FAISANT TOMBER LE RACING 92, VICE-CHAMPION D’EUROPE. UN SUCCÈS ACQUIS AU FORCEPS, QUI TRADUIT L’INCROYABLE FORCE DE CARACTÈRE QUI ANIME UN GROUPE PAS COMME LES AUTRES. PLONGÉE AU COEUR D’UN EXPLOI

- Par Simon VALZER, envoyé spécial simon.valzer@midi-olympique.fr Photo Midi Olympique Patrick Derewiany

Pour beaucoup d’équipes, une finale de championna­t de France est la cerise sur le gâteau. Mais comme à Castres, rien n’est vraiment pareil qu’ailleurs, on revoit les quantités : « Cette finale, c’est plutôt le cerisier sur le gâteau oui ! » s’exclamait Kévin Firmin après la rencontre. Comme celui de tous ses coéquipier­s, le visage du jeune talonneur de 26 ans était illuminé par un immense sourire : « Je ne réalise pas. Je réaliserai la semaine prochaine je pense. Ou la semaine d’après… ou pas. Oh et puis merde, on est en finale, on aura le temps d’y repenser ! » Quelques minutes plus tôt, c’est le centre Thomas Combezou qui avait du mal à y croire : « C’est extraordin­aire de jouer des matchs comme ça. 25 ans que j’attendais d’être en demi-finale… et maintenant, je me retrouve en finale ! Castres, c’est une sacrée équipe ! Quand je suis arrivé, on a joué le maintien alors qu’ils sortaient de deux finales d’affilée… On joue au rugby pour ces moments-là : pour passer des rires aux pleurs, et des pleurs aux rires… »

C’était pourtant vrai. Castres venait bien de renverser le vice-champion d’Europe, le Racing 92. Comme lors de la finale de 2013 où les sans-noms du Tarn ont renversé des stars planétaire­s telles que Bakkies Botha ou Jonny Wilkinson. Avec ce succès, les Castrais confirment leur statut d’emmerdeurs de service du Top 14. De déjoueurs de pronostics, d’empêcheurs de tourner en rond. Certes, ils ne sont certaineme­nt pas aussi pauvres qu’ils se plaisent à le répéter. Mais regardez les compositio­ns d’équipes, bon sang ! Admirez le fossé abyssal qui sépare les deux formations en termes de sélections ! Et comparez les bancs, tant que vous y êtes… « On n’a pas de star, donc on est obligé d’être à 200 % », rappelait Thomas Combezou. Et l’on se doute qu’Armand Batlle compte moins de « followers » sur les réseaux sociaux que Juan Imhoff.

Mais c’est un fait, l’un est en finale de Top 14, l’autre non. Comment l’expliquer ? Par un supplément d’âme. Par cette flamme qui fait que l’on reste solidaire, quoi qu’il arrive, et que l’on ne tremble pas face à l’adversaire, aussi redoutable soit-il : « Notre fonds de commerce, c’est l’agressivit­é et la solidarité. Personne ne peut être plus solidaire que nous », insistait Anthony Jelonch.

URIOS : « CETTE ÉQUIPE RESSEMBLE AUX GENS QUI SE LÈVENT TÔT POUR BOSSER LE LUNDI MATIN »

Ils sont donc petits, mais ils sont costauds. Et ils ne se plaignent pas de ce statut : « Pour ma part, je viens d’un petit club qui s’appelle Ussel, je viens d’un petit village qui compte 15 habitants, raconte Combezou. J’aime tout ce qui est petit. Castres, c’est petit et ça me plaît. On joue vraiment pour un drapeau, une ville, un état d’esprit. C’est important. On n’a pas l’effectif de certaines équipes donc on traverse parfois des moments difficiles dans la saison. Mais on se transcende pour les autres : les supporters, nos familles, ceux qui ne jouent pas. »

À les entendre, ils seraient presque suivis par une véritable armée : « Ça fait plaisir de faire ch… les plus gros, reprend le pilier Antoine Tichit. Quand tu défends le Tarn, c’est particulie­r car tout le monde joue au rugby là-bas. Quand tu joues au CO, tu représente­s Castres, mais également Gaillac, Graulhet, Lavaur… Il y a un vivier énorme et quand tu affrontes les ténors, tu es fier de défendre le Tarn. Donc bien évidemment que ça nous fait plaisir de renverser ces gros budgets, avec toutes ces stars… » Le manager Christophe Urios tenait toutefois à nuancer ce tableau : « Bien sûr que cela nous va bien d’emmerder tout le monde. Mais c’est surtout pour nous que nous le faisons. On ne se dit pas que l’on veut battre Montpellie­r parce que cela va faire chier la France entière. Et puis je pense qu’une grande partie du rugby français nous soutient. Parce que les gens s’identifien­t à cette équipe à taille humaine, qui travaille dur, qui ne se prend pas pour ce qu’elle n’est pas. Elle ressemble aux gens qui se lèvent tôt pour bosser le lundi matin. »

KOCKOTT AVAIT-IL LU SUN TZU ?

Une fois encore, les Tarnais ont fait déjouer leurs adversaire­s qui ont accumulé un nombre ahurissant de fautes, de mauvais choix et autres approximat­ions qui leur ont coûté le match. « Ils ont perdu leur lucidité, commentait Urios. Nous, on est restés sûrs de ce que l’on a fait. » Les Castrais ont donc appliqué à la lettre ce principe stratégiqu­e exposé par le fameux général chinois Sun Tzu, dans son ouvrage bien connu l’Art de la Guerre : « Faire déjouer l’adversaire, c’est se donner les moyens de ne pas perdre. Bien attaquer, c’est se donner les moyens de gagner. » Les Castrais ont incarné à merveille ce précepte, tant au niveau du pack que dans sa ligne arrière qui a encore fait preuve d’un courage impression­nant en défense. Mais celui qui l’incarne peut-être le mieux, c’est Rory Kockott. Comme habité, possédé ou dans un état second, le demi de mêlée tarnais a littéralem­ent rongé son vis-à-vis Teddy Iribaren, lequel avait pourtant fait preuve d’un calme olympien dans l’enfer de San Mamés à Bilbao face à l’armada du Leinster. Là, le Francilien n’a pas existé, comme il l’a reconnu avec honnêteté après la rencontre. À l’image de son équipe, qui a « connu des hauts et des bas tout au long de la saison » dixit Combezou, l’emblématiq­ue demi de mêlée du CO sait se transcende­r sur les matchs de phases finales. Et c’est pour cette raison qu’aujourd’hui, lui et son équipe ne font plus rire personne.

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