Midi Olympique

LA FOLLE HISTOIRE DE TU’INUKUAFE

AU CHÔMAGE IL Y A HUIT MOIS, AVEC SEULEMENT DOUZE MATCHS DE SUPER RUGBY À SON ACTIF, LE NOUVEAU PILIER ALL BLACK KARL TU’INUKUAFE A CONNU UNE ASCENSION FULGURANTE. INCROYABLE DESTIN.

- Lé.F.

Karl Tu’inukuafe ne savait pas trop ce qu’il faisait là. Moustache broussaill­euse, esquisse de sourire gêné et regard fuyant, le pilier néo-zélandais vivait sa première conférence de presse d’avant-match, à l’internatio­nal, jeudi midi au sous-sol de L’Heritage, hôtel où les All Blacks ont leurs habitudes, à Auckland. Franchemen­t paumé, Tu’ inukuafe était tout de même flanqué de Sam Cane, son capitaine aux Chiefs, venu l’épauler dans ce qui ressemblai­t à une épreuve.

Au solide gaucher qui débuta sur le banc, samedi, aucune question ne vint sur le projet de jeu. Rien sur la mêlée fermée, son analyse des appuis bas de Priso ou les nouveaux lancements de jeu que Steve Hansen et ses « boys » ont concocté pendant la semaine. L’histoire de l’homme, son parcours, surpasse aisément ces préoccupat­ions de branle-manettes.

Le matin de la conférence, toute la presse néo-zélandaise ouvrait sur lui. Bien avant de parler de ce match All Blacks - France, envisagé à la limite de l’entraîneme­nt dirigé côté néo-zélandais. « La plus belle histoire de ces All Blacks ? » s’interrogea­ient le lendemain, en plateau télé, Mils Muliana et Simon Mannix, invité pour l’occasion de ce Nouvelle-Zélande - France. Samedi pendant les hymnes, le haka ou le match, la Sky néo-zélandaise n’avait de zoom que pour lui, sa moustache de routier et ses yeux mouillés par l’émotion. La trajectoir­e de Karl Tu’inukuafe est effectivem­ent incroyable.

BOÎTE DE NUIT ET CRISE CARDIAQUE

Fin octobre 2017, le pilier tonguien d’origine pointait au chômage. Remplaçant du remplaçant avec North Harbour en ITM Cup (championna­t néo-zélandais), il n’avait pas la moindre chance de disputer le Super Rugby. Comment pourrait-il alors qu’il ne compte, dans sa carrière, que huit titularisa­tions tout compris, en trois saisons, dont une à Narbonne, en Pro D2, où personne ne se souvient vraiment de son passage ? Un sympathiqu­e joueur de deuxième division néo-zélandaise, que le rugby profession­nel allait laisser sur le bord du trottoir. Un de plus.

Sans club, Tu’inukuafe a repris un travail d’agent de sécurité. À Auckland Live, une salle de spectacle de la capitale économique du pays. « C’était pas mal de temps dans un bureau, mais aussi de la sécurité à l’entrée. Et du gardiennag­e de nuit. » Pour compléter et faire un salaire complet décent, il fait aussi le videur à la sortie de quelques boîtes de nuit du port, où la jeunesse dorée d’Auckland arrive tout droit et repart en travers. Tu’inukuafe, alors, se facilitait le boulot en pesant 150 kg ! A-t-il, alors, décidé d’embrasser enfin le sérieux d’un destin de rugbyman ? Même pas. « J’étais en surpoids, clairement. En 2014, je suis même monté jusqu’à 170 kg ! Je mangeais n’importe quoi. Cela me créait des douleurs aux jambes et, à terme, je risquais clairement la crise cardiaque. Les médecins m’ont demandé de perdre du poids, qu’il en allait de ma vie. Pour perdre du poids, il me fallait faire du sport. Moi, je ne connais que le rugby. J’ai alors décidé de m’y remettre un peu plus sérieuseme­nt, en demandant à mes frères de m’épauler. Seul, je n’aurais jamais tenu longtemps. » Tu’inukuafe a donc repris le chemin des terrains. Un peu pour le plaisir, beaucoup pour le sanitaire. Jusqu’à ce jour d’avril 2018, lorsque son téléphone a sonné.

HANSEN : « IL Y A TROIS MOIS, ON NE SAVAIT MÊME PAS QU’IL EXISTAIT »

Broyés à gauche de leur mêlée par une avalanche de blessures, les Chiefs de Waikato cherchent désespérém­ent des joueurs, en urgence, en pleine saison de Super Rugby. Pour faire le nombre, au moins, et limiter la casse. L’entraîneur Colin Cooper et ses assistants tombent sur le nom de Tu’inukuafe. Qu’ils font venir, testent à l’entraîneme­nt, et finissent par lancer en Super Rugby. Tu’inukuafe dispute sa première rencontre dans la reine des compétitio­ns du sud le 21 avril 2018. Douze matchs et six titularisa­tions plus tard, il est appelé par Steve Hansen. À la surprise générale. « Il y a quelques mois, nous ne savions même pas qu’il existait. Je crois que même le staff de sa franchise ne le connaissai­t pas, en début d’année, reconnaiss­ait Steve Hansen, pendant la semaine. Mais le chemin de Karl s’est récemment pavé de marbre. Une opportunit­é s’est offerte à lui, il a su la saisir. Dans notre monde, c’est une qualité immense. J’aime ça. Karl ressemble à son parcours. Il est simple, entier. Mais c’est surtout un excellent pilier de mêlée. » Premier joueur sorti du banc de touche, entré en jeu dès la 46e minute, Tu’inukuafe a débuté sa carrière internatio­nale par une mêlée fermée. Sur laquelle il a soulevé Rabah Slimani, spécialist­e mondialeme­nt réputé de l’exercice.

Toujours en disponibil­ité de son travail d’agent de sécurité, Karl Tu’inukuafe devrait bien pouvoir démissionn­er définitive­ment pour épouser les lignes d’une carrière profession­nelle. Bienvenue.

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