À COUPER LE SOUFFLE !
MENÉS 24 À 3 APRÈS VINGT MINUTES, LES SPRINGBOKS ONT TOUT RENVERSÉ SUR LEUR PASSAGE POUR S’OFFRIR LE SCALP ANGLAIS DANS UN MATCH À DIX ESSAIS. ÉTOURDISSANT!
On s’attendait à un choc intense mais peut-être pas à un tel spectacle, un tel show pantagruélique. À la vision de cet incroyable ballet de vitesse et de précision ponctué de dix essais, difficile de ne pas avoir le souffle coupé. À la 18e minute, pourtant, on a bien cru que l’Ellis Park allait gronder voire pire se vider de ses occupants. Elliott Daly avait annoncé la couleur dès la 2e minute, sur une première faute sud-africaine : son coup de canon de plus de soixante mètres faisait mouche. Pris sur la vitesse d’exécution et le jeu d’occupation, dépassés et débordés par le mouvement général anglais de qualité, perturbés sur les bordures, apathiques en défense à l’image d’un Handré Pollard qui se trouait et se montrait également peu rassurant dans les sorties de camp, les joueurs de Rassie Erasmus se retrouvaient menés 24 à 3 après des coups de lame de Mike Brown (5e), Elliott Daly (14e) et Owen Farrell (17e ). Eddie Jones devait bien se dire dans un coin de sa tête que la Rose en avait fini de manger son pain noir après trois défaites consécutives dans le Tournoi, terminé à une piteuse cinquième place. L’ancien commandeur Clive Woodward reconnaissait cette entame tonitruante, allant jusqu’à parler de « vingt premières minutes de très grande qualité, parmi les meilleures jamais jouées ». Le crime était presque parfait et on se disait qu’il faudrait bien un miracle pour voir les Springboks remonter la pente, tant l’écart semblait grand sur le terrain entre les deux équipes.
DE KLERK ALLUME LES MÈCHES
Il aurait fallu être une petite souris pour savoir ce qui se passait alors dans les têtes sud-africaines, notamment celle de Siya Kolisi, qui fêtait sa première aux commandes du navire bok. Dans celle de Faf De Klerk, il y aurait fort à parier que nul place n’était possible pour le doute (lire ci-dessous). Le demi de mêlée se jouait de Maro Itoje à la 21e minute en sortie de ruck pour sonner la révolte des siens. Revigoré par son expérience anglaise du côté de Sale, il a fait passer un message à son staff : il va falloir compter sur lui à l’avenir. Hargneux en défense, à l’image de son double plaquage sur Robshaw et Slade qui fera commettre un en-avant au centre d’Exeter, celui qui honorait sa douzième sélection aura animé le jeu comme un stratège incroyable. La vitesse de ses passes, ses coups d’oeil judicieux et sa vista sont à l’origine du deuxième essai springbok amené avec De Allende et inscrit par Nkosi, le jeune ailier des Lions (22 ans), par ailleurs auteur d’un doublé pour ses débuts. De Klerk aura aussi eu la malice suffisante pour faire dégoupiller Maro Itoje, coupable d’un plaquage haut (37e) et Mako Vunipola, qui n’échappera pas au carton jaune (63e).
Animateur hors-pair, le demi de mêlée incarna la réussite des Sud-Africains engagés en Premiership, à l’image d’un Willie Le Roux tranchant. Avant son claquage en deuxième période, le racé arrière des Wasps fut l’auteur de l’essai qui permit aux Boks de passer en tête avant la mi-temps, concluant un fantastique 26 à 0 (29-24). Dans le sillage des deux « Anglais », c’est toute la jeune garde qui s’est mise au diapason, envoyant Billy Vunipola et les siens dans les cordes. Rassie Erasmus louait d’ailleurs la « force de caractère des jeunes, qui n’ont pas paniqué et qui ont décidé de prendre le contrôle du jeu ».
Aphiwe Dyantyi (23 ans) se montrait offensivement à son avantage pour sa première. Et que dire de Snyman, le géant des Bulls (2,06 m), tour de contrôle étincelante en touche, et qui s’offrit une chevauchée de quarante mètres au retour des vestiaires. Son offrande pour Dyantyi à la 65e fut décisive. Le XV de la Rose, sanctionné plus que de raison (douze pénalités) et privé de ballon, n’avait plus que le sursaut d’orgueil d’Itoje (70e) et le talent de May (78e) pour se raccrocher aux branches. Mais il était bien trop tard.