Midi Olympique

CARTON NOIR

- Propos recueillis par Léo FAURE, à Auckland leo.faure@midi-olympique.fr Au lendemain d’une défaite à cinquante points, ce sont les cadres qui montent au créneau. Les joueurs français actuelleme­nt en tournée à pouvoir supporter ce statut ne sont pas nombre

COURAGEUX DURANT 50 MINUTES,

LES TRICOLORES ONT SOMBRÉ (52 À 11) APRÈS LE CARTON DE PAUL GABRILLAGU­ES. FACE À DES ALL BLACKS LARGEMENT SUPÉRIEURS, LES HOMMES DE BRUNEL PERDENT, AU PASSAGE, RÉMY GROSSO, VICTIME D’UNE DOUBLE FRACTURE DU CRÂNE. LA TOURNÉE RISQUE

D’ÊTRE TRÈS LONGUE...

À la conférence d’après-match, vous êtes apparu très marqué, voire abattu…

Quand on en prend cinquante, ça fait mal. Même quand ce sont les All Blacks en face. Quand, en plus, vous avez le brassard, vous avez tendance à le prendre personnell­ement. Je me suis demandé si, dans la semaine, je ne me suis pas trompé dans le message à transmettr­e à mes coéquipier­s.

Depuis, avez-vous trouvé la réponse ?

Nous sommes rentrés aux vestiaires en menant au score. Je pense que les Néo-Zélandais doutaient. Mais nous étions aussi un peu surpris, comme perdus. Nous ne nous attendions pas à mener à la pause, et j’avais l’impression de ne pas savoir quoi faire. Fallait-il jouer, accélérer, gérer ? Fallait-il maintenir notre jeu de pression, quitte à leur rendre des ballons ? Vexés de leur première mi-temps, on savait aussi que les All Blacks voudraient nous punir. On s’est retrouvé entre deux eaux. Le message a finalement été le suivant : rester sur la même envie que la première période. Mais dès le coup d’envoi, nous n’avons plus touché le ballon. À froid, je me demande si ce n’était pas le moment pour accélérer et mettre la main sur le ballon. On a fait tout l’inverse. Il y a eu des faits de jeu certes, mais ce n’est pas suffisant. Ça n’explique pas tout. Résultat : à force de défendre, le fil a cédé. Et on a pris la marée.

La fil a cédé net, même…

Oui, c’est vrai. Je nous pensais pourtant bien préparés. À la pause, les All Blacks ont su régler les problèmes rencontrés en première période. Ils se sont adaptés à notre manière de défendre, de les presser. Nous, nous n’avons pas su répondre à cela. Nous n’en avions pas la capacité.

Vous n’en aviez pas la capacité stratégiqu­e, mentale ou physique ?

Physiqueme­nt, je ne pense pas. On a mis quelques beaux plaquages, on s’est déplacé correcteme­nt. Mais force est de constater qu’ils se déplacent mieux que nous. Stratégiqu­ement ? Comment parler de stratégie quand on n’a pas de ballon ? Mais il y a peut-être du mental. On a fait beaucoup de petites erreurs qui nous ont fait lâcher. Défensivem­ent, nous n’étions plus connectés. Un mec montait, l’autre contrôlait. Ça ouvrait de petits espaces mais face à de tels joueurs, avec de telles qualités de passes après contact et de vitesse, ça se paye cash. C’est là qu’on doit travailler toute cette semaine.

En tant que capitaine, comment avez-vous vécu ces vingt dernières minutes ?

Ça marque, comme tout le monde. On reste humain. Mais le capitaine ne peut pas le montrer. Je suis là pour montrer la voie et entretenir l’espoir. Pourtant, la situation était pénible. Pour moi comme pour les autres. J’ai tenté de diriger mon équipe vers des choses simples, qu’on aime bien traditionn­ellement en France : du combat et de l’agressivit­é. Mais même ça, nous n’arrivions plus à le faire. Sans ballon, de toute façon… (il grimace)

Cet écart n’est-il pas la réalité entre la huitième nation mondiale, la France, et la Nouvelle-Zélande leader mondial incontesté ?

En première période, nous n’avons pas senti cet écart. En deuxième mi-temps ? Forcément, je répondrais « oui ». Les chiffres et les faits sont là. Mais on ne doit pas se focaliser làdessus. J’aimerais qu’on arrête de se flageller. Tout le monde sait qu’on a fait une deuxième mi-temps catastroph­ique. Désormais, on referme la page de cette première semaine. Il faut revenir lundi avec l’envie de faire mieux. Par rapport à la deuxième mi-temps, on ne peut que faire mieux… On y arrivera peut-être mais pour cela, il nous faudra des ballons.

Comment ne plus se flageller quand les déceptions s’enchaînent depuis si longtemps ?

Le sport de haut niveau est ainsi. L’équipe de France vit une période compliquée depuis plusieurs années. Mais je ne m’arrête pas à ça. Coûte que coûte, on doit aller de l’avant. Pour les supporters, en premier lieu. On doit se donner à 100 %, personne ne peut pas se lâcher. Même si le climat n’est pas toujours positif.

Y parvenez-vous ?

En interne, tout le monde sait qu’on bosse dur. En disant cela,

je sais aussi qu’on ne sera jamais jugé par notre quantité de travail mais sur les résultats. Pour l’instant, notre investisse­ment à l’entraîneme­nt n’est pas récompensé. Il y a eu quelques belles choses pendant le Tournoi mais ce match est un gros coup d’arrêt. Vraiment un gros coup d’arrêt, j’insiste. Il faut le dire. On venait de se rassurer sur notre défense et cette fois, on prend huit essais. Carton jaune ou pas, c’est anecdotiqu­e, on en prend huit quand même. Il reste désormais deux matchs. Tout le monde va bosser, avec si possible du positif dans la défaite. On a besoin de positif. Si cette tournée devient une sinistrose, ça peut vite mal tourner. Ce groupe a besoin de profiter un peu. Qu’il comprenne une chose : nous n’avons rien à perdre. En Nouvelle-Zélande, personne ne nous voit gagner. Nous sommes les seuls fous à y croire. Tant mieux. Continuons d’y croire, mettons les grands discours de côté. Et avançons.

Après cette première rencontre, vous avez parlé du « sourire des Néo-Zélandais qu’il ne faut pas oublier ». Les All Blacks vous ont-ils chambré ?

Non… (il hésite) Ce n’est même pas le problème. Très franchemen­t, ils peuvent se le permettre. Il y a quelques attitudes qui nous ont marqués. On en a parlé entre nous, après coup. C’est comme ça, c’est le rugby. Des matchs comme ça, j’en ai déjà connu. Je n’ai pas envie de parler de leur attitude, comme je n’ai pas envie de parler de l’arbitrage. Les premiers fautifs ce sont nous, les joueurs. Quand j’ai dit ça, cette histoire de sourires, c’était à chaud. J’étais frustré, énervé. Je n’ai plus envie d’en parler. Nous allons nous taire et, j’espère, montrer un peu de fierté. Un peu d’orgueil, ça nous fera du bien.

À chaud, vous avez aussi dit qu’il fallait arrêter de trop parler de rugby et « mettre des coups de casques »…

Ça aussi, je n’aurais peut-être pas dû le dire… (il sourit)

Le pensez-vous ?

Je pense qu’on a parfois manqué d’agressivit­é. Sur nos coups d’envoi, par exemple. Globalemen­t, je pense que les NéoZélanda­is n’aiment pas trop être agressés. Nous aurions dû mettre un peu plus de virulence dans notre jeu.

Est-ce la clé, contre la Nouvelle-Zélande ?

Non. La clé, c’est le déplacemen­t. Les All Blacks ne sont pas si physiques. Les Sud-africains, oui. Les Springboks, quand vous les jouez, vous passez ensuite 48 heures dans le formol. Ce n’est pas le cas des All Blacks. Eux, ils basent leur jeu sur des choses simples, mais très bien exécutées et à pleine vitesse. En première période, avec notre coeur, nous y sommes parvenus. En deuxième période, en perdant en capacité de déplacemen­t, tout s’est compliqué.

L’écart de vitesse est-il si grand entre le rugby européen et celui de Nouvelle-Zélande ?

Ce n’est pas une question de vitesse des hommes. Mais sur la fluidité, oui, l’écart est grand.

On sent que ces mecs ont l’habitude de jouer ensemble, depuis longtemps.

Et que leur jeu est en place. Les hommes changent, parfois. Mais que ce soit avec NonuSmith ou CrottySonn­y Bill, le système est le même.

C’est différent de chez nous. Il faut faire avec.

Sont-ils inaccessib­les au XV de France ?

Ça va être dur, on le sait. Mais je ne crois pas que ce soit impossible.

Quelle approche de capitaine pour la semaine qui vient : votre groupe a-t-il besoin d’être rassuré ou piqué ?

Piqué ? J’espère qu’on est déjà piqué, non ? On a pris cinquante points. Même si c’est contre les Blacks, chez eux, si nous ne sommes pas piqués… C’est l’équipe qui est touchée. Morgan (Parra, N.D.L.R.) l’a dit au groupe : « on vit ensemble, donc on gagne et on perd ensemble » Notre objectif c’est de constituer une équipe, pas une sélection.

Vous appuyez-vous beaucoup sur Morgan ?

C’est important d’avoir ces joueurs d’expérience comme Morgan, qui plus est avec du caractère. Ce qui est son cas. Ça me permet aussi de me décharger. La vie de capitaine de tournée, ce n’est pas facile. Il y a beaucoup de choses à gérer.

Qu’est-ce qui est dur ?

Vous êtes le relais entre les joueurs et le staff. Vous devez aussi faire en sorte que le groupe vive bien. Mon boulot commence maintenant. Après une telle défaite, il ne faut pas tomber dans la sinistrose. Surtout, il ne faut pas attendre que ça se passe, pour rentrer à la maison le 25.

Que pouvez-vous y faire ?

Je ne suis pas seul à décider, on va en discuter. Mais il faut qu’on parle, qu’on échange, que tout le monde participe à la vie du groupe. Du plus jeune au plus ancien. Dans le même bateau, on a besoin de tout le monde. Quel que soit l’âge.

N’est-ce pas le cas actuelleme­nt ?

Tout le monde s’investit, mais il faut que nous encadrions les plus jeunes. Généraleme­nt, ce sont eux qui amènent un surplus d’enthousias­me et de spontanéit­é. C’est un rôle important dans un groupe. À nous de faire en sorte qu’ils soient dans les meilleures conditions pour pouvoir se lâcher.

Cette semaine, vous allez devoir gérer tout cela avec un contexte personnel particulie­r : pour la première fois, vous allez retourner à Wellington depuis l’affaire dite « de la table de nuit ». Appréhende­zvous ?

Absolument pas. C’était il y a neuf ans. La seule chose qui m’étonne, c’est qu’on m’en parle encore. Il y a des choses plus graves qui se sont passées, même dernièreme­nt. Telle ou telle histoire, on n’en parle plus. Moi, neuf ans après, on m’en parle encore. Et toujours en France. Dans les autres pays, personne n’en parle plus. Je suis passé à autre chose. Si les autres ne sont pas capables d’en faire de même, tant pis pour eux. C’est triste. ■

« Vous êtes le relais entre les joueurs et le staff. Vous devez aussi faire en sorte que le groupe vive bien. Mon boulot commence maintenant. Après une telle défaite, il ne faut pas tomber dans la sinistrose. »

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Photo Icon Sport
 ?? Photo Icon Sport ?? Mathieu Bastareaud, capitaine de XV de France à la dérive en seconde mi-temps, appelle à une remobilisa­tion de tout le groupe.
Photo Icon Sport Mathieu Bastareaud, capitaine de XV de France à la dérive en seconde mi-temps, appelle à une remobilisa­tion de tout le groupe.

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