Midi Olympique

L’OBSESSION DÉFENSIVE

- Par Jacques VERDIER

Rien ne me heurte dans le rugby français actuel comme cette vogue incroyable pour la défense. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un entraîneur n’en célèbre les mérites, ne dispense à son endroit quelques commentair­es où la solennité le dispute à la prétention du savoir, que les perroquets reprennent, sans nuance ni retenue, comme si ce souci utilitaris­te était la seule façon sérieuse d’aborder le jeu de rugby. Parce que tout cela est dit, en effet, sur ce ton impérieux qui ne laisse pas la place au doute. Essayons de comprendre : la défense est certes importante, elle participe, à sa façon, des phases de combat inhérentes à ce jeu, fédère les énergies, autorise la rébellion et peut servir, le cas échéant, à façonner un groupe. Soit ! Mais de là à en faire le nec plus ultra de ce jeu, il y a un pas qui ne laisse pas de m’interroger. Je fus ainsi frappé par les propos de Jacques Brunel à la mitemps du premier test qui opposa nos Bleus aux Blacks. Jacques, à qui va, par ailleurs, toute mon estime, n’évoqua, au terme d’un premier acte qui laissait déjà présager la domination des Néo-Zélandais dans l’ordre de la vitesse et du rythme, que cet aspect des choses, comme s’il s’agissait d’une fin en soi, du seul secteur où la France devait faire porter ses efforts.

Quand on sait que le XV de France de jadis et naguère situait ses ambitions aux antipodes de ce rugby minimalist­e, se prévalait d’une force offensive qui faisait son atout et ses faiblesses, mais participai­t grandement de son charme, il faut se demander si derrière ce fiasco culturel, ne se tient pas, aujourd’hui, une forme de renoncemen­t à toute ambition intellectu­elle et créatrice. Je veux bien que cette équipe de France soit en chantier, qu’elle ait besoin de se rassurer, de pratiquer la fameuse politique des petits pas, avant de se lancer vers un jeu plus audacieux. Mais cette manière de découper le rugby en tranches – la défense d’un côté, l’attaque de l’autre – me semble hautement pernicieus­e. Et tant qu’à prendre cinquante points, essayons au moins de proposer quelques lancements novateurs, une organisati­on offensive qui demeurera certes perfectibl­e, mais laissera présager quelques possibles. Comment progresser autrement ? Comment préparer le Mondial qui s’annonce sur la foi de ce seul « catenaccio », dont on a d’ailleurs perçu assez vite les limites dès que le jeu s’enflamme ? Au point de désolation où les Blacks s’amusaient de nous, jouaient tous les ballons, négligeant les pénalités, accéléraie­nt sans cesse, un sourire aux lèvres, avec cette part de mépris dans laquelle on tient les sparring-partners. Avez-vous vu Australie - Irlande et même Afrique du Sud - Angleterre ? Mesure-t-on le fossé qui nous sépare des autres nations européenne­s ? « Ce jeu, me disait Jean Fabre, l’ancien capitaine du XV de France et président du Stade toulousain, croisé, samedi, dans l’enceinte de feu le comité des Pyrénées, est quand même la résultante du Top 14. » On ne saurait lui donner tort. À force de pratiquer un rugby à une passe, lui-même exclusivem­ent tourné sur le combat et la défense, nos Bleus sont dépourvus de ce rythme et de ces réflexes qui leur permettrai­ent de proposer une alternativ­e au jeu cinglant des Blacks. On pourra peut-être les accrocher, demain, sur fond d’agressivit­é et de… défense acharnée. Mais pour quelle ambition à terme ?

Un seul bémol à ce syndrome décliniste : la mâle attitude, une mi-temps au moins, des moins de 20 ans face à l’Afrique du Sud. Serait-il encore possible de se faire des passes dans ce pays ? ■

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