La force de « l’expérience collective »
Est-ce qu’il vaut mieux disposer d’un groupe stable qui a beaucoup joué ensemble ou associer les meilleurs joueurs du moment sans considérations pour leur capacité à jouer ensemble ? C’est la question que se posent bon nombre d’entraîneurs. Bien souvent, chacun y va de son parti pris sur le sujet… Est-ce que l’on dispose aujourd’hui de données fiables permettant de faire pencher la balance ? Bonne question.
Les sélections jeunes sont toujours un moment particulier dans le cursus de formation du joueur : on est jugé, comparé et mis dans un environnement de compétition exacerbé. J’ai toujours été très chanceux d’y retrouver une bonne partie de mes coéquipiers de club, plus que des automatismes techniques ou stratégiques cela aidait à se sentir bien, en confiance. Force est de constater que cela nous a tout sauf desservi. Était-ce une question d’expérience collective qui nous permettait de faire mieux que d’autres ? J’en suis persuadé. Les automatismes entre joueurs d’une même équipe prennent du temps à se mettre en place. Néanmoins, une fois acquis, ils permettront bien souvent de faire mieux que d’autres effectifs disposant de meilleures individualités mais moins de temps passé à jouer ensemble.
De même, que devrait faire le sélectionneur d’une équipe nationale ? Deux visions s’opposent : la politique de l’homme en forme ou la volonté de créer et stabiliser un effectif. Laquelle est la meilleure ? C’est ici que les « données » entrent en jeu… Récemment, l’Insep a publié une étude [1] qui porte sur l’intérêt de l’expérience collective partagée. Ils ne se sont pas seulement intéressé au nombre de sélections cumulées, ils se sont intéressées au nombre d’interactions interjoueurs accumulées. Cela donne des résultats très pertinents dans la mesure où ils mettent en évidence les difficultés de l’équipe de France à stabiliser des joueurs à certains postes. Cela est d’autant plus flagrant lorsque l’on compare ces données à celles des All Blacks… Certes, ils jouent davantage de matchs que les Bleus ; n’empêche, leur logique de création d’effectif tant à faire capitaliser sur une expérience collective qui touche un sommet pour chacune des Coupes du monde.
Il y a un bémol, qui n’est pas des moindres : le nombre de blessures de longues durées dont ont été victime les joueurs du XV de France. Ces « mises à l’écart obligatoires » obligent le sélectionneur à interrompre la capitalisation d’expérience collective dans la mesure où le joueur blessé est en « stand-by ». Revenons-en à l’essentiel, même si les formats de championnats ne sont pas forcément les mêmes, il y a un intérêt à s’éloigner d’une gestion qui amène un effectif à être systématiquement remanié. Au contraire, faire en sortes que les joueurs aient le temps de s’aguerrir côte à côte, sans considération directe pour les résultats (au moins dans un premier temps), permet d’instaurer un cercle vertueux de dynamique collective menant inévitable à l’optimisation des résultats. Fait intéressant, Castres est la seule équipe du Top 14 qui a vu son expérience collective augmenté sur l’année qui vient de s’écouler. Le développement et l’épanouissement du joueur au sein d’une équipe nécessite du temps et tout ce qui le pousse à trop vite se réaliser ne peut avoir que des effets incomplets voire mauvais…