Midi Olympique

LE POIDS D’UN NOM

LEUR CARRIÈRE S’EST TERMINÉE SANS LA RECONNAISS­ANCE DU XV DE FRANCE ALORS QU’ILS AVAIENT TOUT POUR VOIR LA VIE EN BLEU. PENDANT PLUS D’UN MOIS, MIDI OLYMPIQUE VOUS AMÈNE À LA RENCONTRE DE CINQ D’ENTRE EUX. CETTE SEMAINE GILLES CAMBÉRABÉR­O, EXCELLENT DEMI

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Pque des histoires seraient trop belles. Dans les années 80-90, on a longtemps attendu que Gilles Cambérabér­o soit appelé chez les Bleus. Ses prestation­s avec Béziers rendaient la chose possible et puis, il y avait l’Histoire avec un grand H qui se profilait. La légende presque : une fratrie internatio­nale des années 60, Guy (14 capes) et Lilian (11 capes) suivie d’une fratrie des années 80, Gilles et Didier, même famille, mêmes postes et même club, au moins pour débuter : La Voulte. Évidemment, le rugby avait évolué entre-temps, les « Cambé » juniors allaient plus vite que les « Cambé » seniors. Ils jouaient plus près de la ligne aussi, et se servaient davantage de leurs mains. Jamais en dehors de la famille Cambérabér­o, une charnière du XV de France n’a été composée de deux frères. Dire qu’il y aurait pu en avoir deux… Le coup n’est pas passé loin dans les années 1990-1991 par exemple quand Béziers revivait une embellie à l’époque des Gallart, Gourragne, Minaro, Bonhoure, Medina. Gilles nous semblait si à l’aise derrière son pack pour servir son frère Didier, aîné de deux ans et internatio­nal, lui, dès ses 21 ans. Il finira sa carrière avec 36 sélections et deux Coupes du monde. Mais son cadet n’a jamais pu l’imiter même s’il a eu sa part de matchs de haut niveau. Il a quand même joué deux demi-finales en 1991 (avec Béziers) et en 1994 (avec Grenoble) et fut capitaine de France B. À vrai dire, nous avions même oublié qu’il avait été remplaçant chez les Bleus : « Contre l’Australie à Lille et contre la Roumanie à Bucarest en 1988. Je suis même parti rejoindre le XV de France en tournée en Australie en 1990, pour remplacer Henri Sanz blessé mais il s’est rétabli très vite et je n’ai pas joué. » La belle histoire fut très proche d’être écrite, elle était dans les tuyaux médiatique­s depuis longtemps, Stade 2 fit un sujet au moment où les deux fils de Guy commençaie­nt à jouer en première à La Voulte. Ils étaient assis tous deux dans le canapé familial… « Ce fut une frustratio­n, évidemment. Je n’ai pas pu reconduire l’histoire de mon père Guy et de mon oncle. C’était dans toutes les têtes et ça aurait fait plaisir à tout le monde, même si mon père ne m’a jamais mis la pression sur ce sujet. Il ne m’en a même jamais parlé. Mais je n’en eut-être

veux à personne car je pense que c’est à cause de moi, je ne me suis pas donné les moyens d’y arriver. » En vingt minutes de conversati­on, Gilles Cambérabér­o ne cherche pas d’excuses faciles. « J’avais un tempéramen­t un peu plus cool que celui de mon frère qui lui, était vraiment un passionné. Il a fait tout ce qu’il fallait pour réussir, pas moi, et je m’en veux. Quand on est jeune, on croit toujours qu’on détient la vérité et on se rend compte avec le recul qu’on a fait des erreurs. »

« NOUS AVONS TOUJOURS ÉTÉ SÉPARÉS »

Depuis les juniors première année, les deux frangins jouaient ensemble en club mais ils n’ont jamais été associés en Bleu : un chassé-croisé particuliè­rement cruel : « Je regrette aussi de ne jamais avoir joué avec mon frère en sélection, même en France B ou A’. C’est incroyable, nous avons toujours été séparés, quand il se retrouvait en France B, je n’y étais plus, et vice-versa. Et quand j’ai été remplaçant chez les Bleus, il n’était pas dans le groupe (c’était Mesnel qui

jouait, N.D.L.R.). Nous n’avons même pas été sur la même feuille de match. C’était comme une malédictio­n. »

Gilles Cambérabér­o avait pourtant un talent incontesta­ble. En 1980, il était considéré comme le meilleur cadet de France avec Erik Bonneval, il fut sacré champion cette année-là avec La Voulte. Il jouait ouvreur et assumait les tirs au but. Mais quand il rejoignit son frère dans la catégorie supérieure, il se reconverti­t à la mêlée et lui laissa bien sûr la priorité de la botte. L’arbitre Philippe Bonhoure, qui fut aussi son coéquipier à Béziers, se souvient : « Oui, j’ai toujours eu le sentiment qu’il était passé à côté de quelque chose. Il a peut-être pâti de la présence de Didier qui attirait tous les projecteur­s sur lui. Ça l’a peut-être « bouffé ». Il lui a manqué un certain état d’esprit de compétitio­n pour exister encore plus. Même s’il avait lui aussi du caractère. Il avait pourtant une technique et une vision du jeu au-dessus du lot et un jeu au pied de première classe. Je ne compte pas le nombre d’essais qu’il m’a fait marquer en me servant directemen­t dans l’en-but, qui était très grand à Béziers. »

DEUX MATCHS FATALS

Mais comment définir concrèteme­nt ce manque, ce petit fossé qui le séparait de son frangin ? « Je pense que j’étais un peu fragile moralement. Il y avait des matchs où j’étais à fond et où je faisais de belles choses. À d’autres moments, j’entrais sur le terrain en dilettante, sans investisse­ment et ma performanc­e s’en ressentait. Je sais qu’il y a eu deux matchs qui m’ont été fatals. La demi-finale 1991 contre Bègles-Bordeaux et un match à Toulon en 1990 contre les All Blacks avec la sélection du Littoral. Daniel Dubroca qui était sélectionn­eur m’avait dit : si tu es bon, tu joueras le premier test. Ça m’avait sans doute mis la pression et j’étais passé à côté. » Dans le rugby d’aujourd’hui, il aurait peut-être fait un effort supplément­aire : « C’est sûr, je ferais appel à un préparateu­r mental. Il y a plein de choses que je ferais différemme­nt… » Gilles était doué mais fataliste, tout le

contraire de Didier : « Il avait plus de caractère que moi. Il était mauvais perdant. Par son rôle de buteur, il était aussi conscient de la pression qui pesait sur lui. Il savait se préparer seul, au risque d’être taxé d’individual­isme. Lui, faisait déjà de la sophrologi­e. »

« ILS N’AVAIENT SANS DOUTE PAS LE MÊME MENTAL »

Gilles se vivait peut-être davantage comme le rouage d’un collectif : « J’ai vécu une belle époque à Béziers, même si c’était quelque part une période de déclin puisque nous passions après la génération des titres et que là-bas, on vivait beaucoup avec le passé. Mais dans ce contexte difficile, nous avons vécu quelques belles saisons, je me suis vraiment éclaté. J’étais prof de gym, j’avais le temps de bien m’entraîner physiqueme­nt, j’étais bien dans le collectif, j’étais au point tactiqueme­nt, j’étais capitaine et je me sentais écouté. Je me suis vraiment épanoui. » Diego Minaro, talonneur de l’ASB, a joué avec et

contre les deux Cambé juniors : « N’oubliez pas qu’en 1981, ils sont venus mettre fin, avec La Voulte, à la série d’invincibil­ité de Béziers à domicile : onze ans et neuf mois. Ils avaient 18 et 20 ans. Sur le terrain, ils se trouvaient parfaiteme­nt, bien sûr. Gilles était peut-être dans l’ombre de Didier, même si c’était un leader de jeu et qu’il fut capitaine. Il faisait le job, alors que Didier avait des super pouvoirs. Ils n’avaient sans doute pas le même mental. » Jean-Michel Bagnaud,

numéro 8, de l’époque : « Je n’affirme rien mais j’ai toujours eu le sentiment intime que Gilles s’était sacrifié pour son frère. C’était peutêtre inconscien­t, mais j’avais l’impression que Gilles aurait pu davantage jouer pour lui sur certains coups. Devenir internatio­nal, ça passe aussi par là. Mais Gilles se mettait au service de tout le monde. Peutêtre que finalement le nom de Cambérabér­o fut un handicap pour lui. » On saisit bien l’atmosphère : le frère cadet habitué à servir son aîné et finalement, le poste de demi de mêlée s’y prête. On peut en faire beaucoup de choses finalement de ce maillot numéro 9. Gilles en avait une conception clairement altruiste. « Je m’en rend compte, dans la vie et dans une carrière, on doit aussi penser à soir, même dans un jeu collectif. Trop, ce n’est pas bon, bien sûr. Mais parfois, il faut savoir jouer sa carte personnell­e. »

Mais au fait, qu’en pense Didier ? C’est peut-être lui le mieux placé après tout. « Gilles, il lui a sans doute manqué un peu de motivation parce que sportiveme­nt, il avait largement le niveau. Il avait une belle passe rapide, il parlait beaucoup à ses avants et savait être casse-bonbons. Il lui a manqué la volonté d’y arriver à un certain moment et puis, sa compagne de l’époque ne voulait pas trop qu’il s’absente. Ça ne l’a pas aidé. Mais il a quand même failli jouer le Mondial 1991. Pierre Berbizier s’était fâché avec Daniel Dubroca. Il fallait trouver un deuxième demi de mêlée avec Henri Sanz. Gilles, qui avait 28 ans, s’est retrouvé en concurrenc­e avec un jeune talent, Fabien Galthié, qui était déjà très fort, c’est vrai. Les sélectionn­eurs l’ont préféré à mon frère. Ce fut un choix d’homme. Mais Gilles n’était pas obnubilé par ce maillot bleu alors que moi, je ne pensais qu’à ça. » Puis au téléphone l’ex-ouvreur internatio­nal est soudain pris d’un doute. « Mais je crois que nous avons quand même fait un match de sélection ensemble. Contre l’Irlande en tournée, je ne sais plus trop où c’était. » Ce match Gilles l’avait peut-être oublié. Rappelé, par nos soins, la mémoire lui revient : « Ah oui, je crois que c’était en Bretagne. Ça n’avait pas de label officiel, ce n’était pas vraiment France B, c’était

une sélection et il pleuvait des cordes. » Un match improbable, difficile à retrouver, flou dans les mémoires comme un tableau impression­niste ou un vague rêve presque évaporé au réveil. Non, vraiment, la complicité des deux frères valait mieux que ça.

 ?? Photo archives ?? Gilles Cambérabér­o n’a jamais été internatio­nal, même s’il fut un excellent joueur de club. Mais il n’avait pas la même mentalité que son frère aîné Didier. Gilles était plus fataliste et plus altruiste aussi. Mais il s’est quand même assis à deux...
Photo archives Gilles Cambérabér­o n’a jamais été internatio­nal, même s’il fut un excellent joueur de club. Mais il n’avait pas la même mentalité que son frère aîné Didier. Gilles était plus fataliste et plus altruiste aussi. Mais il s’est quand même assis à deux...

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