Midi Olympique

« Je suis sorti de l’image qu’on m’avait collée »

IL REVIENT SUR LE RAPPORT QU’IL ENTRETIENT AVEC SON CLUB FORMATEUR MAIS AUSSI SUR LES RAISONS DE SON DÉPART IL Y A DIX ANS METTANT UN TERME À UNE AVENTURE INACHEVÉE SUR FOND D’INCOMPRÉHE­NSION. AUSSI SUR LES LEÇONS QU’IL EN A TIRÉES AUJOURD’HUI, AU MOMENT

- Propos recueillis par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr En avez-vous tiré des leçons ?

« Je ressentais de la tristesse, de la rage. Je m’étais enfermé dans les toilettes des vestiaires et j’avais pleuré. Yannick Nyanga était venu vers moi, avait eu des mots réconforta­nts. » Maxime MERMOZ, à propos de sa non entrée en jeu aux London Irish en 2008.

Vous souvenez-vous de votre dernier match sous le maillot toulousain ?

Je crois que c’était à domicile. Contre Auch, non ?

Non, c’était le 14 juin 2008 contre Bayonne…

Oui, Bayonne ! Mais c’était bien à domicile, juste avant les phases finales. Je jouais ouvreur, comme souvent à cette époque. Fred Michalak était parti, Jo Wisniewski aussi et Jeff Dubois avait arrêté. Il n’y avait que Valentin Courrent en 10. J’avais enfilé cette casquette de 10-12 pendant deux ans.

Que représente le fait de revenir à Ernest-Wallon ?

Tout s’est passé très vite. C’est à la fois familier et nouveau, car le site a changé mais les sponsors comme Nike et Peugeot sont toujours présents (sourires). Ce club reste une institutio­n, donc un honneur. Je me rappellera­i toute ma vie du jour où j’ai reçu une lettre floquée « ST » quand j’avais quinze ans et que j’avais signé en cadets grâce à Robert Labatut.

Des images vous sont-elles revenues en tête dans cet environnem­ent toulousain ?

Quand j’étais au lycée Jolimont, j’habitais à Balma. J’avais acheté ma première télé à la Fnac. Ce n’était pas les écrans plats ! Je l’avais ramenée en métro et bus jusqu’à chez moi (rires). J’ai vécu ici de quinze à vingt et un ans. J’y ai grandi, y suis devenu adulte. Les souvenirs reviennent, je revois des têtes, je ne me rappelle plus forcément des prénoms et je me dis : « Mais ils sont encore là ! »

Aviez-vous gardé des liens avec Toulouse ?

Je n’ai pas trop voulu me retourner quand je suis parti mais j’ai été amené à rester en contact avec des joueurs que je côtoyais en équipe nationale. J’ai surtout gardé le lien en moi et, à chaque fois que je jouais contre Toulouse, c’était particulie­r. Il n’a jamais été rompu car quand on passe par ce club à cet âgelà, on est imprégné à vie.

Ce retour est-il un défi sportif ou est-il d’abord dicté par une dimension affective ?

C’est un mélange des deux. Pour être sincère, ce n’était pas prévu, ni pour Toulouse ni pour moi. Mais nous étions restés en contact avec Didier (Lacroix, N.D.L.R.) vu qu’il avait été mon coach en Espoirs. Il me restait un an de contrat en Angleterre. Si ça devait se faire, c’était plutôt pour la saison d’après. De mon côté, je ne voulais pas à tout prix revenir en France. Mais en cas de retour en Top 14, j’avais ciblé deux ou trois clubs maximum. Il y a eu un concours de circonstan­ces, on sait comment les transferts ont évolué fin mai et début juin. L’opportunit­é s’est présentée et c’est un joli clin d’oeil.

Mais, si vous avez été formé à Toulouse, il reste un goût d’inachevé dans votre parcours ici…

Avec Max (Médard, N.D.L.R.), nous sommes arrivés en équipe première presque en même temps. J’ai eu la chance de disputer un premier match amical à 17 ans. Je me suis retrouvé entre les Espoirs et les pros. J’étais au contact du groupe en permanence. Il ne me manquait plus grand-chose et… Tu ne sais pas ce qu’il se passe. Je ne pourrai jamais le dire même si j’ai cru le comprendre a posteriori... Mais de quoi puis-je me plaindre ? Cela m’a permis de vivre les dix années suivantes sur un petit nuage. Il y a toujours des hauts et des bas dans une carrière et, sans ce passage, aurais-je connu le même parcours ? En fait, à l’époque, j’avais l’impression d’être pris au piège d’une situation... C’était un peu bizarre. C’était dur au quotidien, mais cela devait se passer ainsi.

La rupture n’a-t-elle pas eu lieu en demi-finale de la Coupe d’Europe 2008 aux London Irish quand, alors que Manu Ahotaeiloa s’est blessé et que vous étiez le seul trois-quarts sur le banc, c’est Yannick Nyanga qui a fini le match à l’aile ?

Vous vous souvenez de ça ?

On a même relu votre réaction après le match…

J’avais dit quoi ?

« Ce fut une décision très dure à vivre mais c’est un choix stratégiqu­e des coachs. »

Ça a toujours été ma démarche. Je n’ai jamais osé dire quoi que ce soit. La seule chose que je me suis permis de dire au coach à l’époque (Guy Novès, N.D.L.R.), c’était : « Avec tout le respect que je vous dois, je veux juste que vous me libériez pour

aller à Perpignan. » Bon, ce n’était pas passé car je devais démarrer le match d’après contre Albi avec Jauzion au centre et on m’avait dit de quitter la séance vidéo… Ils avaient refusé des prêts, comme pour le Leinster quand j’avais dix-huit ans. C’était des opportunit­és géniales. Je ne voulais pas partir mais si c’était pour rester au cas où, il n’y avait pas d’intérêt. Pour en revenir aux London Irish, si j’avais dit sincèremen­t ce que j’avais au fond de moi, cela n’aurait pas été beau. À ma place, tu vis la chose comme une injustice mais, si je me mets à celle du coach, je comprends les raisons de son choix. Le scénario était tendu, il l’a décidé ainsi et on doit l’accepter. Je ressentais de la tristesse, de la rage. Je m’étais enfermé dans les toilettes des vestiaires et j’avais pleuré. Yannick Nyanga était venu vers moi, avait eu des mots réconforta­nts. Sur le coup, c’était dur de marcher la tête haute mais je n’avais pas le droit d’être triste car l’équipe avait gagné. Avec le temps, j’ai appris à relativise­r, vu que certains joueurs talentueux n’enfilent même pas le maillot. Cet épisode m’a aidé à grandir, à me construire et à aborder les événements plus sereinemen­t.

Bon, je n’étais pas dans le groupe pour la finale contre le Munster (sourire). Avec Toulon, je me rappelle que Bernard (Laporte) avait fait un peu tourner il y a trois ans à Clermont où on l’avait emporté. On avait quand même une belle équipe, mais avec des jeunes sur le banc. J’ai été à leur place et Anthony Méric n’était pas rentré. Au fond de lui, je savais ce qu’il ressentait. Je lui ai dit : « Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain. Mais, s’il te plaît, ne réagis pas à chaud et mets-toi à la

place du coach qui a une équipe à faire gagner. » Anthony Belleau a également vécu des matchs comme ça mais regardez où il en est aujourd’hui.

Revenons à Toulouse. Ce n’est pas un mystère qu’il y avait un problème personnel avec Guy Novès…

C’est drôle car, quelques mois après mon départ, j’ai joué sous ses ordres avec les Barbarians.

En aviez-vous parlé ?

Non, pas cette fois mais deux ans plus tard quand j’ai rejoué avec les Barbarians, à Grenoble contre les Tonga. C’est la première fois qu’il me reparlait. Quand je suis parti de Toulouse, je n’avais pas eu cette discussion avec lui. Il s’est passé un truc dont je n’avais pas conscience. J’étais introverti et j’avais tellement peur d’être moi-même que j’essayais de me protéger, de ne pas faire de bruit. Ça donnait l’effet inverse. Fred Michalak disait d’ailleurs qu’être dans son coin et ne rien dire peut être mal vu.

Quelle fut l’attitude de Guy Novès à votre égard ?

Plus tard, il m’a retendu la main puisqu’il m’a retenu en équipe de France. Que ce soit lui ou moi, nous sommes vite passés à autre chose.

Mais y avait-il un ressentime­nt de votre part ?

Le sentiment de revanche, je l’avais lors des six ou huit mois qui ont suivi mon départ. J’étais jeune, j’avais la fougue. Mais jamais je n’avais dit, ni osé penser : « Je suis le meilleur. » Dans mon esprit, c’était juste : « J’ai envie d’être le meilleur. » Donc je voulais travailler tous les jours pour aller plus haut. Je n’ai pas oublié d’où je venais et n’ai jamais pété plus haut que mon c… Je suis content que Jacques Brunel (alors entraîneur de

Perpignan) m’ait tendu la main. Il m’a offert un cadre pour m’exprimer et m’avait assuré d’être traité comme les autres joueurs.

On vous a fait le procès du manque d’humilité…

Je débarquais d’Épinal, j’ai subi un bizutage alors que je ne connaissai­s pas ça, pris des remarques sur mes origines. Je n’avais jamais connu le racisme dans les Vosges. Pour moi, le Sud de la France, c’était Dijon. Imaginez en arrivant à Toulouse. Je suis tout seul, mon père est là-bas, à 1 000 km. Mais après, je ne rencontre aucun problème avec mes coéquipier­s, je suis promu capitaine des Espoirs à un moment. Je n’avais pas de soucis. Avec personne ! Mais on avait trois opposition­s par semaine et, évidemment, tu montres les dents face aux pros... J’affrontais la meilleure équipe d’Europe, certains des meilleurs joueurs du monde. Sur le terrain, j’avais envie de tout casser.

D’où venait cette réputation ?

Je ne savais même pas qu’on pouvait être recruté à quinze ans par le Stade toulousain. J’étais dans l’admiration. Quand je suis arrivé, je voyais des mecs de mon âge qui se prenaient pour d’autres car ils jouaient dans des clubs par ici. Je suis un enfant d’Épinal qui adore jouer au rugby et a la chance de l’exprimer chaque week-end. Alors que s’est-il vraiment passé ? J’ai dû me construire seul, je pense avoir subi plus de choses que j’en ai fait. Certains joueurs du groupe profession­nel, souvent les étrangers, étaient heureux de voir des jeunes qui avaient la « gnaque » (sic). Mais l’intégratio­n a été particuliè­re. J’ai découvert l’esprit rugby, ses codes. Je ne les avais pas et ma différence était mal perçue. Pour moi, ce n’était rien de grave.

C’est-à-dire ?

Je n’étais pas du style à prendre des « caisses ». Je suis passé pour le mec qui se croyait à part. C’était juste ma façon d’être. Au début, je ne comprenais pas que ces moments étaient des prétextes pour partager des choses. Quand je suis parti de chez moi, je n’avais qu’un objectif : réussir. Je n’avais pas de plan B. Les autres de ma génération, ils avaient leur famille, leur environnem­ent, donc une porte de sortie. J’avais l’impression d’avoir tout sacrifié et je ne laissais donc rien au hasard mais je n’avais pas conscience de l’importance de certaines démarches. J’ai compris plus tard que c’était pour apprendre à mieux se connaître. C’était mon gros souci.

Parce qu’on l’a réduit à de l’individual­isme ?

C’est ça. Dans l’approche et la préparatio­n, dès dix-sept ans, j’étais dans la posture d’optimiser mon potentiel. Avant, je n’avais jamais fait de physique. J’avais le côté un peu inné du rugby mais, pour passer au niveau supérieur, tu ne pouvais rien espérer sans le physique. Cette démarche personnell­e était mal accueillie. Depuis, il n’existe pas un joueur ou une équipe sans cet axe de travail. À Perpignan, on bossait par groupes. À Toulon, c’était encore amplifié avec des mecs qui avaient leur programme d’Australie, de Nouvelle-Zélande. Mais, sur le terrain, on récitait la même partition. On a juste des besoins différents. Plus c’était individual­isé en dehors, plus nous étions performant­s en match. Ça se passe partout aujourd’hui.

Avec du recul, votre démarche était donc trop profession­nelle trop tôt ?

À douze ans, j’avais des copains dans les Vosges qui faisaient sport-études de foot. Je me disais : « Mais ça n’existe pas en

rugby ? » Je voulais faire ça mais je n’avais aucune garantie. Le rêve a commencé mais quand j’ai reçu mon premier programme de préparatio­n, je ne savais pas comment le lire. C’est la dernière fois que je suis allé en Algérie voir la famille. Il faisait chaud, je courais sur le sable. Je voyais les temps et me disais : « Soit j’ai un problème de chronomètr­e, soit de distance. »

J’étais à la rue. J’ai débarqué ici et me retrouvais face à des mecs qui jouaient en équipe de France jeunes. Ils avaient la classe avec leur logo Stade toulousain, étaient champions de France. Pour moi, les grands clubs, c’était Strasbourg, Metz ou Dijon. J’étais comme un enfant qui découvrait Eurosdisne­y. Au départ, je me faisais marcher dessus mais, à un moment, il a fallu devenir acteur. J’ai appris en regardant les Reichel, les espoirs puis les pros. Eux, c’étaient des dieux : Garbajosa, Ntamack, Delaigue, Jauzion, Baby, Fritz, Jeanjean, Poitrenaud… Je n’étais rien et j’avais une chance sur un million de les rejoindre. Je voulais la saisir et n’avoir aucun regret. Donc il était hors de question de me perdre dans autre chose que le rugby. Je ne buvais pas d’alcool, je n’ai jamais aimé ça. Je me suis mis à l’alcool social mais avec modération. Ce n’est pas mon truc. Maintenant, je fais l’effort de partager davantage de moments car ça me fait plaisir. Mais les alcools forts, à finir dans des états pas possibles, ce n’est pas pour moi. Je connais mon corps, je ne suis pas bien après. Quand je viens de me taper une grosse préparatio­n physique, pourquoi j’irai tout gâcher ?

Mais vous avouez vous être davantage ouvert…

À Perpignan ou à Toulon, j’ai connu des mecs qui m’acceptaien­t comme j’étais. Ce n’est pas une tare de ne pas boire. Et j’en ai trouvé qui avaient la même sensibilit­é sur d’autres domaines qui n’ont rien à voir avec le rugby, sur l’art, sur des façons de voir la vie, sur des lectures qui m’ont appris à plus m’aérer l’esprit. On n’a pas tous besoin d’être les meilleurs amis. Il y a ceux qui jouent au poker, d’autres au rami, ceux qui jouent à la Playstatio­n, ceux qui lisent les magazines chasse et pêche. Mais je n’ai su m’ouvrir et communique­r sur ce que je ressens que plus tard. C’était mon problème. Pas que dans le milieu profession­nel d’ailleurs.

Est-ce plus facile pour vous de revenir dans ce vestiaire vierge et beaucoup plus jeune aujourd’hui ?

Peut-être. Mais tout le monde évolue. Nous nous sommes recroisés, on a joué les uns contre les autres avec mes anciens coéquipier­s ici. Certains sont devenus mes coachs, comme Yannick Bru ou Jean-Frédéric Dubois. Donc je suis sorti petit à petit de l’image qu’on m’avait collée. J’ai avancé. Je reviens aujourd’hui et je fais partie des plus anciens. Tant mieux. Ça me donne encore plus envie de m’ouvrir, d’être à l’écoute des jeunes, et aussi d’apprendre eux.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France