« Ne va-t-on pas en abuser ? »
S’IL ESTIME QUE LA RÉFORME RÉCEMMENT OPÉRÉE PAR LA LIGUE NATIONALE DE RUGBY VA DANS LE BON SENS, L’ENTRAÎNEUR DU LOU ATTEND NÉANMOINS SON EXÉCUTION CONCRÈTE, AVANT DE CRIER AU GÉNIE.
En tant que technicien et manager d’une équipe de Top 14, comment appréhendez-vous la nouvelle réglementation concernant les changements ?
C’est une bonne chose. Lorsque le joueur sera blessé, le remplacement immédiat permettra de maintenir un certain niveau de fraîcheur au sein de l’équipe. L’intensité du match s’en trouvera également préservée. À nous, coachs, cela nous octroie aussi plus de flexibilité dans notre gestion d’effectif. Mais surtout, une telle mesure permettra probablement de protéger davantage les joueurs.
De quelle manière ?
Des fois, on laisse les mecs sur le terrain et on sait que ça va moyen. Je ne parle pas en termes de commotions cérébrales, je parle en termes de blessures. La fatigue multiplie largement les risques de blessure et, si cette mesure permet donc d’éviter ce genre de souci, c’est une très bonne chose.
Éprouvez-vous une réticence, néanmoins ?
Je me pose simplement une question : ne va-t-on pas en abuser comme on le fait parfois avec les piliers, en prétextant une blessure pour procéder à un changement en réalité purement tactique ? C’est le risque et ça se produira probablement, il faut être honnête. Mais on verra, à l’usage, comment se décantera le processus.
Vous avez arrêté votre carrière de joueur il n’y a pas si longtemps, en 2011. Avez-vous néanmoins constaté qu’il y a plus de casse dans le rugby d’aujourd’hui ?
Il y a plus de protocoles « commotion », c’est une certitude. Quand je jouais, on ne les déclarait pas, ou peu. On se disait que ça passerait avec un coup d’éponge. J’ai donc l’impression que le rugby professionnel marche dans la bonne direction en matière de santé et de protection des joueurs. Ceci est fondamental dans le sens où les jeunes qui hésitent encore à se lancer dans la discipline pourront constater que le rugby n’est pas qu’un sport où on se blesse. C’est l’image et la promotion de notre sport qui sont en jeu, au travers de ces questions-là.
Serge Blanco, l’ancien arrière du XV de France, disait récemment que les remplacements biaisaient la rencontre, dans le sens où ils permettaient d’annihiler le travail de sape réalisé avant l’entrée en jeu des joueurs frais. Qu’en pensez-vous ?
Sur le fond, il a raison. À l’époque, il n’y avait d’ailleurs aucun remplacement et la fatigue accumulée par les joueurs offrait tôt ou tard des intervalles, aidait à créer des brèches dans les défenses. Mais les impacts et les temps de jeu effectifs ont beaucoup trop évolué pour laisser les équipes démarrer un match et le finir à quinze. Cela mettrait les mecs en danger. […] Les joueurs, ils sont entraînés, préparés mais on ne peut pas non plus faire n’importe quoi avec eux. En clair, je ne crois pas que le rugby soit impacté par le dopage parce que nous sommes énormément contrôlés mais si on demande toujours plus aux joueurs, on s’expose à ce risque.
Cette valse incessante de changements ne sera-telle pas in fine chronophage et préjudiciable au spectacle ?
Oui, c’est évident. Il faut donc très bien l’anticiper afin de ne pas en arriver à des situations extrêmes comme celles que posent aujourd’hui les temps impartis aux buteurs pour qu’ils frappent : afin de gagner du temps, ceux-ci attendent en effet la fin des 60 ou 90 secondes avant de taper leur transformation. Tout le monde le fait et c’est préjudiciable à la qualité du spectacle.
À ce point ?
Oui. L’important, c’est d’éviter l’accumulation des casserythme. Dans le football américain, où les remplacements sont par exemple illimités, il y a beaucoup de temps morts. En conclusion, je ne dis pas que cette mesure est parfaite. Je dis qu’elle va dans le bon sens et que j’attends de voir comment elle sera opérée sur le terrain avant de me prononcer définitivement.