Midi Olympique

Sa vie après le K.-O.

SIX MOIS APRÈS SON TERRIBLE CHOC AVEC VIRIMI VAKATAWA QUI ÉMUT LA FRANCE ENTIÈRE, LE JEUNE AILIER CLERMONTOI­S, SACRÉ CHAMPION DE FRANCE ESPOIRS, RÊVE DE PASSER À AUTRE CHOSE. POUR MIDI OLYMPIQUE, IL REVIENT POUR LA PREMIÈRE FOIS AUSSI LONGUEMENT SUR SON A

- Propos recueillis par Nicolas ZANARDI nicolas.zanardi@midi-olympique.fr

Voilà deux semaines que vous avez effectué votre « rentrée des classes » à l’ASM, pour la préparatio­n de la saison avec le groupe pro. Sauf qu’à la différence des autres espoirs, votre nom est déjà entré dans les esprits de tous les observateu­rs du Top 14… J’ai conscience d’avoir eu cette notoriété après cette histoire de K.-O., oui… C’est un peu compliqué, car je m’en serais bien passé. Si j’ai la chance de faire quelques matchs avec les profession­nels cette saison, je sais que c’est forcément un sujet qui va revenir, parce qu’il a un peu marqué les gens et qu’on m’en parle encore… C’est normal, après tout. Ça m’ennuie un peu, car je n’aime pas forcément l’idée d’être connu comme « le joueur qui a fait un

énorme K.-O. » Mais ça ne me pèse pas non plus particuliè­rement, et honnêtemen­t, ce n’est pas ce qu’il y a de plus dur à vivre… Quels souvenirs gardez-vous de cette rencontre, six mois plus tard ?

Mais j’ai tout gardé de ce match contre le Racing ! Hormis le choc avec Virimi Vakatawa, je me souviens de tout ! Des sensations avant le match, des quelques ballons que j’ai pu avoir… En revanche, l’accident et la sortie sur civière, je les ai oubliés. Mes premiers souvenirs après mon réveil, ils sont à l’hôpital, avec mes parents qui avaient fait le déplacemen­t. Avez-vous déjà revu les images de votre accident ? Oui, forcément. Avec les réseaux sociaux, aujourd’hui, tout le monde t’identifie sur des images, des vidéos. Tous mes copains à Barcelone étaient réunis pour regarder le match, donc tout le monde a eu un peu peur pour moi, et tout le monde m’en a parlé. C’était dur de passer à côté. Quelle a été votre réaction à la vue du choc ?

La première fois que j’ai vu ces images, je me suis dit : « Ah

oui, quand même. » Mais en fait, je me suis surtout posé beaucoup de questions. Est-ce que j’ai présenté la bonne épaule ? Qu’est-ce que j’aurais pu faire pour éviter ça ? D’ailleurs, durant cette intersaiso­n, nous travaillon­s beaucoup pour éviter le plus possible ce genre d’accidents. Cela passe par de la technique de plaquage, du renforceme­nt au niveau des cervicales. On fait tout ce qui est possible en matière de prévention. Avez-vous gardé contact avec Virimi Vakatawa, qui était venu vous offrir son maillot à votre réveil ? On a parlé une fois à l’hôpital, lorsqu’il est venu me voir.

Jamais depuis. Mais le fait qu’il vienne s’inquiéter de ma santé m’a beaucoup touché. Surtout que c’était très sincère de sa part… Cela montre quel genre de personne il est, et comme Virimi est un joueur dont j’essaie de m’inspirer, c’était d’autant plus important. Mais il n’y a pas que lui, hein ! J’aime aussi beaucoup ce que font Teddy Thomas, Rieko Ioane, et bien évidemment Alivereti Raka que je côtoie à Clermont et qui est une véritable bombe. Après le choc, combien de temps avez-vous mis pour récupérer ? Honnêtemen­t, après le K.-O., je me sentais super bien quatre ou cinq jours après. Durant les premiers jours, j’étais un peu plus sensible au bruit et à la lumière, bien sûr, ce genre de symptômes typiques après une commotion. J’ai eu aussi mal à la tête pendant un jour ou deux, mais rien de plus. Ce que je voulais, moi, c’était reprendre tout de suite ! Je pensais qu’au bout de deux semaines au maximum, je serais sur les terrains… Mais les médecins de l’ASM m’ont fait comprendre qu’après ce qu’il m’était arrivé, il ne fallait prendre absolument aucun risque. C’est pourquoi ils m’ont prescrit un repos total de trois mois… En quoi a consisté ce protocole ?

J’ai d’abord eu une semaine de repos complet, où je n’allais même pas en cours. La deuxième semaine, j’ai pu y retourner, avec la consigne de rentrer chez moi en cas de problème de vue, de concentrat­ion, etc. Comme ça ne m’est jamais arrivé, je n’en ai même pas profité ! (rires) Ensuite, la reprise sportive a été très progressiv­e. Il s’agissait d’abord de marcher, puis de courir tout doucement, puis un peu plus vite… La reprise de la musculatio­n s’est faite aussi en douceur, avec des charges très légères pour recommence­r… Il fallait suivre le protocole scrupuleus­ement jusqu’au bout, jusqu’à la reprise du contact. C’était la condition absolue pour que je puisse reprendre. Au bout d’un mois et demi, deux mois, je ne tenais plus en place. Je me sentais prêt, je voulais rejouer ! Mais mes parents étaient plutôt contents des précaution­s qui étaient prises autour de moi. C’était pour ma santé, après tout. Aviez-vous quand même de l’appréhensi­on au moment de renouer avec la compétitio­n, les chocs, les plaquages ? J’ai repris pour un gros match avec les espoirs contre La Rochelle, d’autant plus important que c’était mon premier sur le terrain d’honneur de Marcel-Michelin. Ce n’est pas que j’avais de l’appréhensi­on, mais en début de match, j’étais plus dans l’observatio­n que dans l’action. Toute l’équipe était comme ça, d’ailleurs, car nous avions effectué une entame catastroph­ique. Il y avait un joueur de La Rochelle, Romaric Camou, qui nous a traversé à plusieurs reprises… Me concernant, il fallait que je retrouve de la confiance. Je pensais que j’étais passé à autre chose mais c’était comme si une part de moi n’avait pas oublié le choc avec Virimi Vakatawa. Et puis en deuxième mi-temps, j’ai commencé à me lâcher un peu plus. C’est allé encore mieux pour mon deuxième match contre Carcassonn­e. Et cela a été en s’améliorant tout au long des phases finales, jusqu’au titre. Aujourd’hui, l’accident est totalement derrière moi. Avez-vous conscience d’être devenu un symbole ? Celui de la dureté toujours accrue du jeu, des difficulté­s que peuvent connaître les jeunes pour intégrer un Top 14 qui n’a jamais été aussi exigeant… Je ne veux pas être un symbole. En tout cas, j’espère ne pas le rester. C’est vrai que, si je peux m’exprimer ainsi, ma commotion était la commotion parfaite, et je comprends qu’elle ait marqué les esprits. Mais les accidents, les commotions, ce sont malheureus­ement des choses qui arrivent. Et pas seulement sur les terrains du Top 14. Il y en a à tous les niveaux : en espoirs, en Fédérale, dans les catégories de jeunes. Ou elles sont certaineme­nt beaucoup moins bien prises en charge… Difficile de ne pas évoquer ici le sujet du jeune joueur de Billom, Adrien Descrulhes, décédé après un choc à la tête sur un terrain, quelques mois après votre histoire. Lequel s’est avéré beaucoup moins médiatique, malgré des proportion­s beaucoup plus dramatique­s… J’ai entendu parler de l’histoire du jeune Adrien, bien sûr. J’ai même partagé quelque chose à son sujet sur les réseaux sociaux… On avait à peu près le même âge… C’est terrible, ce qui est arrivé. Je ne le connaissai­s pas, mais cette histoire m’a fait énormément de peine, m’a fait comprendre ce à quoi j’avais peut-être échappé. Je ne sais pas si son cas était le même que le mien, c’est difficile d’effectuer des comparaiso­ns. Je sais juste que j’ai eu la chance d’être très bien pris en charge au niveau du club de Clermont. Quand je leur disais que je voulais rejouer, les médecins me disaient : « Écoute, tu n’as que 18 ans, tu dois avant tout penser à ta santé. » Et je sais bien qu’ils avaient raison, même si quand on est joueur, c’est parfois dur à entendre. Votre commotion a occulté votre parcours et votre histoire, qui sont peu communs. Pouvez-vous nous le raconter ? Je suis né à Barcelone, où j’ai été adopté à l’âge de 2 ans par mes parents, Carles et Dolors. Ma mère biologique est nigériane et avait émigré en Espagne. Du coup, au départ, j’ai logiquemen­t été davantage attiré par le foot que par le rugby. Et puis, petit à petit, l’ambiance du rugby m’a détourné du foot… Au final, c’est plus ou moins ce que mes parents voulaient ! (rires) Mon père adoptif Carles était éducateur au Buc. Tout petit, j’allais voir mon frère adoptif, et à 4 ans, on m’a mis le ballon entre les mains. J’ai joué jusqu’en moins de 16 ans dans toutes les catégories, également en sélection régionale de Catalogne. Mais le rugby en Espagne, c’est un peu compliqué : il n’y a pas beaucoup d’équipes, pas beaucoup de joueurs. C’est pour cela qu’à 15 ans, j’ai commencé à envisager d’aller en France. Justement, comment avez-vous atterri à Clermont plutôt qu’à Perpignan ou Montpellie­r, par exemple ? On a entendu parler d’une rocamboles­que histoire de CV vidéo… (il se marre) Régulièrem­ent, il y avait des recruteurs de Perpignan qui venaient en Espagne pour essayer de repérer des joueurs. Mais ils ne m’ont pas pris. Du coup, avec deux autres copains, on s’est mis en tête d’aller ailleurs. Eux sont allés faire des détections à Montpellie­r, à Paris… Moi, je ne voulais pas passer par des détections. J’ai donc envoyé des candidatur­es à plusieurs clubs : Toulouse, Montpellie­r, le Racing, Clermont… Concernant Toulouse et Montpellie­r, ils m’ont simplement répondu de venir passer une détection. Quant à l’ASM et au Racing, ils m’ont demandé d’envoyer une vidéo. J’avais quelques images de matchs, du coup, je me suis fait aider pour effectuer un montage. Après ça, les deux clubs étaient OK pour me rencontrer. Et c’est à Clermont que je suis allé en premier… Pensiez-vous y rester ?

Non. Mes parents auraient préféré que j’aille à Perpignan. Pour eux, Clermont, c’était trop loin, il n’en était pas question. Je n’avais que 15 ans à l’époque… Finalement, ils ont été d’accord pour que nous allions visiter le club mais dans leur esprit, c’était hors de question que je signe là-bas.

Alors, comment le club vous a-t-il convaincu ? C’était assez drôle : mon père essayait d’envoyer des piques et posait plein de questions. Concernant les études, le logement, les éventuelle­s facilités, etc. Le truc, c’est que Fred Sciauvaud et Freddy Maso avaient réponse à tout ! En plus, nous avons été présentés le jour même à plusieurs joueurs, mais aussi à Xavier Sadourny, Jean-Marc Lhermet… Tout ça faisait plaisir. Du coup, à la fin de la journée, mon père m’a dit : « OK, ici, on veut bien te laisser. » Du coup, je n’ai même pas rencontré les gens du Racing (rires). Il vaut sans doute mieux : Paris, c’était peut-être un peu grand pour un jeune garçon comme moi… Avec le recul, il faut croire que votre destin est quelque part lié à celui du Racing… Oui… (rires) Ce qui est marrant avec le Racing, c’est que lorsque nous y sommes allés en Crabos, j’ai vu pour la première fois la personne avec qui j’étais entré en contact. C’était pour un gros match, décisif pour la première place de la poule, et nous avions perdu. Il m’avait dit : « Tu vois, si tu étais venu chez nous, tu serais premier ! »

(rires) C’est drôle, quand j’y repense. Après, je n’imaginais pas ce qui allait se passer quelques mois plus tard…

Pour revenir à votre arrivée en France, vous avez débarqué à 15 ans dans un pays dont vous ne connaissie­z rien, ni personne. Comment avez-vous vécu cette période ?

La première personne que j’ai rencontrée à Clermont, c’est Dorian Laverhne. Avec lui, nous avons tout fait ensemble : les premières années à l’internat, en Crabos, en espoirs, en pro. Du coup, dès notre première année espoir, nous avons pris une coloc ensemble. Et on a été champions de France cet été. Autant dire qu’on en a bien profité…

Au niveau scolaire, votre déracineme­nt n’a-t-il pas été préjudicia­ble ?

Non, et c’était pourtant la grosse question au départ. Quand je suis arrivé, je ne parlais pas du tout Français. J’avais bien pris deux semaines de cours particulie­rs intensifs juste avant mon départ, mais ça n’avait pas servi à grandchose. Je ne comprenais rien, j’étais incapable de tenir une conversati­on, à part « bonjour, ça va ? » Du coup, au niveau scolarité, j’ai été amené à faire un choix difficile. En Espagne, j’étais en seconde et j’allais passer en première. Ce que m’a proposé Clermont, c’était de passer une année entière à ne faire que du Français, puis intégrer le cursus normal, en seconde. En gros, je redoublais deux ans. J’ai beaucoup réfléchi, et j’ai finalement pris la décision d’accepter. Et je crois que j’ai plutôt bien fait : je viens juste de valider mon bac de français, et l’an prochain, je vais passer un bac ES. Pour revenir au rugby, les Bleuets auront un titre de champion du monde moins de 20 ans à défendre l’été prochain. Espérez-vous être de la partie ? J’ai joué avec les moins de 18 ans, espagnols, et j’ai déjà eu des appels de l’Espagne. Mais sachant que j’ai peut-être la possibilit­é de postuler à la sélection française, je veux en faire ma priorité du moment. Ne serait-ce que par respect pour la France, le pays qui me forme. Je suis espagnol et j’ai des affinités avec le Nigéria, bien sûr. Mais aujourd’hui, je me sens bien plus français que nigérian. Ne serait-ce que parce que je n’ai jamais vécu au Nigéria, alors que je passe mes meilleures années ici… C’est pour cela que j’ai effectué ma demande de passeport. Savez-vous au moins si vous pouvez réglementa­irement postuler à l’équipe de France des moins de 20 ans ? Normalemen­t oui, puisque je viens de passer trois ans en France. Bernard Laporte a dit que sous sa présidence, seuls les joueurs avec un passeport français peuvent être appelés en sélection, mais il a aussi précisé cet été que pour les joueurs qui font la démarche d’en demander un, il peut y avoir des exceptions. Donc oui, je pense être éligible pour les moins de 20 ans. Après, encore faut-il que je sois performant en club… Justement, en club, qu’attendez-vous de la saison qui arrive ? Je ne suis pas dans la tête de Franck Azéma, et je me garderai bien de réclamer quelque chose. Tout ce que j’espère, c’est effectuer une saison à 25 matchs, que ce soit avec les espoirs ou les profession­nels. Je veux juste éviter les pépins physiques, et prendre du plaisir sur le terrain. Parce qu’à mon âge, le rugby reste d’abord un jeu, non ? ■

« Tout ce que j’espère, c’est disputer une saison à 25 matchs que ce soit en espoirs ou en pro, sans pépins, et prendre du plaisir sur le terrain.

À mon âge, le rugby reste un jeu, non ? »

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Photos Vincent Duvivier
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