Midi Olympique

IL MANIAIT AUSSI LA RAQUETTE

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Il est des joueurs qui suscitent une incroyable bouffée de nostalgie. Celle des temps où les talents n’étaient pas exclusifs et où les virtuoses de la planète ovale vivaient une existence plus dilettante. JPR Williams a vécu trois grands chelems avec le pays de Galles (1971, 1976, 1978) plus une tournée triomphale des Lions en Nouvelle-Zélande. Il a réussi à suivre en parallèle des études de médecine. Certes, les saisons de l’époque étaient moins chargées, mais bien d’autres talents de sa génération ont trouvé le moyen de se caler dans une sorte de semi-profession­nalisme officieux. JPR Williams, l’arrière aux rouflaquet­tes, a poursuivi son cursus jusqu’au bout, jusqu’à devenir un chirurgien renommé. Mais en France, on sait moins qu’il a aussi vécu une autre carrière et qu’il a même été mêlé à un événement historique.

PIONNIER DE L’ÈRE OPEN

Avant l’apparition d’internet, le bruit a longtemps couru que JPR Williams avait gagné le Tournoi Junior Wimbledon de 1966. En fait, il gagna bien un Tournoi à Wimbledon en 1966, mais ce n’était que les championna­ts nationaux de Grande-Bretagne. Il battit en finale David Lloyd, futur capitaine de l’équipe nationale de Coupe Davis et frère aîné de John Lloyd, vedette du tennis anglais des années soixante-dix. Crampons aux pieds, il faisait déjà partie de la sélection des moins de 19 ans gallois, on n’imagine pas ça un seul instant aujourd’hui.

JPR Williams était donc un joueur de tennis très prometteur. Qui depuis le début des années soixante, passait son été à écumer les tournois britanniqu­es réservés aux jeunes. C’est comme ça qu’en 1964, il sortit pour la première fois du pays de Galles pour faire la finale du tournoi de Exmouth sur gazon, championna­t national des quinze ans. Au Canada, dans un tournoi relevé, il battit même deux futurs membres américains du Top 10 : Sandy Mayer et Dick Stockton, « Mais l événement passa totalement inaperçu en Grande Bretagne ».

JPR fut même mêlé à un événement historique. En juin 1968 à Bournemout­h, alors qu’il avait 19 ans, il participa au premier tournoi open de l’histoire. Car cette année-là, le tennis mondial changea de dimension. On cessa de faire la distinctio­n entre joueurs amateurs et joueurs profession­nels, une vraie révolution qui mit fin à la « guéguerre » qui minait ce sport et qui obligeait les plus beaux talents, tels Rod Laver, à ne pas s’aligner dans les tournois du grand chelem. Le monde du tennis était coupé en deux avec des tournois « pirates » pour récupérer ceux qui avaient choisi le profession­nalisme. Les historiens ont coutume de dire que le tout premier match de la nouvelle ère opposa à Bournemout­h, l’Australien Owen Davidson au Britanniqu­e John Clifton. Mais on oublie souvent qu’il y eut auparavant des tours de qualificat­ion. Et JPR Williams en faisait partie. LA QUESTION DE LA PRIME

Il se hissa jusqu’au premier tour du tableau principal, ce qui lui garantit un gain de… vingt livres sterling. Il n’osa pas toucher tout de suite cette somme car il n’avait pas encore décidé de la voie qu’il prendrait. Le rugby ou le tennis de haut niveau ? Et il savait que le rugby de l’époque ne plaisantai­t pas avec les questions d’argent. Des joueurs se faisaient virer parce qu’ils publiaient des autobiogra­phies pour se faire un peu de sous. (Le prestigieu­x Gareth Edwards connu ça en fin de carrière, ce qui l’empêcha d’être entraîneur ou dirigeant).

Écoutons ce que JPR disait au Guardian en 2008 : « Les règles étaient sévères à l’époque. J’ai bien vérifié si je pouvais toucher cet argent venu d’un autre sport car je n’avais pas envie d’être radié. On m‘a dit que je pouvais. Mais j’ai su que si j’avais fait de l’athlétisme, j’aurais été suspendu… » Il perdit au premier tour de ce tournoi face à Bob Howe, un vétéran de 42 ans considéré comme un des meilleurs joueurs de double de sa génération (trois finales en grand chelem). Cette défaite frustrante est considérée comme le tournant dans la vie de JPR car dès la fin du match, son père le ramena en voiture au pays de Galles pour qu’il puisse participer au match entre Bridgend (son club) et Newport. « J’ai réussi à résister à deux plaquages de Stuart Watkins, alors ailier internatio­nal et je pense que ça a cimenté ma place pour la tournée du pays de Galles en Argentine qui arrivait. » Mais son père, le docteur Peter Williams a toujours eu une grande influence sur son fils : « Il m’a dit que le sport profession­nel n’était pas fait pour moi. Il voulait que j’intègre une faculté de médecine et il savait que si on était un bon joueur de rugby, on pouvait avoir des places dans les grands hôpitaux universita­ires de Londres. Et en plus, on pouvait continuer le rugby tout en étudiant… Ce fut un élément décisif, bien sûr. Mais je dois avouer qu’au même moment, sortit la liste des dix meilleurs sportifs gallois de l’année et le nom de Gerald Battrick n’y figurait pas. C’était pourtant un excellent tennisman. Je me suis dit : si lui n’y est pas, c’est que le tennis est peu populaire au pays de Galles alors que le rugby l’est vraiment. » LES DANGERS DU RUGBY ACTUEL

Ceci dit, le paternel ramena son fils dès le lendemain à Bournemout­h pour jouer des matchs de double. « Puis, j’ai disputé le championna­t national des moins de 21 ans à Manchester peu après mais j’ai déclaré forfait en quart de finale pour aller à un stage du pays de Galles. C’est vraiment là que le rugby a pris le pas sur le tennis dans ma vie. » Au début des années 2000, JPR dans les

colonnes de l’Équipe, JPR Williams avait expliqué qu’il était reconnaiss­ant vis-à-vis de son père de l’avoir poussé à faire des études car ainsi, jamais il ne vit le rugby comme son métier, au sens activité principale. Il n’enviait pas alors la première génération des rugbymen à temps plein : « Le rugby, un boulot, c’est triste,

non ? ». Mais en 2008 au Guardian, JPR fit cet aveu : « Si je devais choisir maintenant, sans doute que je choisirais le tennis. C’est devenu un sport plus séduisant et bien plus lucratif que quand j’avais vingt ans… Et puis, je redouterai­s peut-être les dangers du rugby car ce sport est devenu très physique désormais, beaucoup plus que quand j’ai débuté… » Venant d’un chirurgien connu pour son style très physique justement quand il était rugbyman, la réflexion a de quoi faire réfléchir. ■

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