Midi Olympique

Rugby à 7

San Francisco se lève

- Par Jérémy FADAT, à San Francisco jeremy.fadat@midi-olympique.fr

On dit souvent qu’il suffit de mettre un pied à San Francisco pour être dévoré par la magie des lieux. Ici, tant au niveau des décors que dans l’état d’esprit qui s’y dégage, rien n’est semblable qu’ailleurs. Dans sa chanson dont le titre porte le nom de la ville, Maxime Le Forestier dit d’elle qu’elle est « peuplée de cheveux longs, de grands lits et de musique, peuplée de lumière et peuplée de

fous » mais qu’elle « sera dernière à rester debout. » La cité californie­nne est un joyau à elle seule, une ville hors du temps, en avance sur lui. Que vous débarquiez depuis Oakland par l’interminab­le Bay Bridge ou depuis le Nord par le plus célèbre des ponts au monde, à savoir du Golden Gate Bridge qui s’étend sur près de 2,7 km et se révèle l’un des édifices le plus photograph­iés de notre planète, l’effet de basculer dans un univers nouveau est prégnant. Littéralem­ent, il faut traduire la merveille orangée par le « pont de

la porte dorée ». Aucune surprise à ce qu’à la veille de cette Coupe du monde 2018, septième édition chez les hommes et deuxième chez les femmes, le président de World Rugby Bill Beaumont ait repris la formule : « Les stars du 7 vont briller dans la ville dorée des États-Unis et nous attendons avec impatience ces trois jours de rugby à 7 qui permettron­t à notre sport de rayonner à travers le pays et dans le monde entier. Ce sera un événement spectacula­ire et révolution­naire qui écrira un autre chapitre passionnan­t dans la remarquabl­e histoire du succès à 7. Nous avons décerné notre tournoi le plus prestigieu­x de cette discipline aux États-Unis car nous savons que c’est beaucoup plus qu’une nation avec un simple potentiel, mais une nation avec un public de rugby croissant, prospère et engagé. » Il n’y avait qu’à débarquer, dès vendredi, aux abords de l’AT & T Park pour le vérifier. À ceux qui craignaien­t une affluence en berne, les réponses n’ont pas tardé à fuser puisque les travées étaient déjà presque remplies pour le premier jour de compétitio­n. Elles l’étaient même encore aux deux tiers à 22 heures le soir, alors que la nuit était tombée sur l’ouest américain. Il faut dire que les Eagles (surnom de l’équipe nationale américaine masculine) allaient faire leurs débuts dans ce Mondial. Tout était prêt pour le show : du « Born in the USA » de Bruce Springstee­n craché à haute intensité dans les haut-parleurs de l’enceinte au générique de Rocky à l’entrée des joueurs. Il n’en fallait pas davantage pour mettre le public local dans un état second, lequel a régulièrem­ent entonné de vigoureux « U-SA, U-S-A » durant la rencontre. Puis deux courses folles de Perry Baker ou un slalom sublime de Carlin Isles, les deux vedettes locales, et le chavirage était total… San Francisco avait déjà réussi son pari, World Rugby aussi. Au total, près de 100 000 spectateur­s étaient attendus sur l’ensemble de la compétitio­n, ce qui fait de cet événement celui de rugby le plus fréquenté de l’histoire du pays. « C’EST INCROYABLE, C’EST FOU »

Mais c’est aussi l’originalit­é du lieu choisi qui a donné à cette Coupe du monde une saveur toute particuliè­re. Car l’AT & T Park ne ressemble à aucun autre stade de rugby. Normal car il sert d’antre aux San Francisco Giants, la légendaire équipe de… baseball ! Ici, tout est dédié à la gloire de la batte et de la petite balle blanche. Les Giants sont célébrés partout et chaque bar, à moins de 500 mètres, retransmet une rencontre de baseball. Il a donc fallu réaliser une prouesse pour transforme­r le tout en une remarquabl­e aire de rugby à 7, avec des en-but certes raccourcis. « C’est un véritable exploit, nous raconte Tom Hill, le responsabl­e commercial de World Rugby, lors d’une réception organisée par Tudor, l’un des principaux partenaire­s de l’événement, durant laquelle il présentait les trophées remis aux lauréats. Quand nous sommes arrivés sur ce terrain, on regardait la façon dont il était façonné en angle droit, avec ses lignes de baseball, ses bandes de terre et on se demandait vraiment comment ce serait possible. Le travail a été formidable et le résultat l’est tout autant. » Le cadre général flirtant même avec le sublime. « Ce Mondial se joue dans un stade mythique, au coeur d’une ville qui a très belle réputation, explique Julien Candelon, ancien internatio­nal à 7 et désormais chargé de mission à la FFR. On sent que cette discipline est entrée dans une toute autre dimension. » Posé dans la partie basse de la ville, l’AT & T Park offre une vue imprenable sur la baie de San Francisco grâce à son architectu­re spécifique. Un vertige qui se confondait avec la formule décidée pour cette compétitio­n, qui laissait seulement place à des matchs à éliminatio­n directe… Croisé dans les couloirs, à l’image de plusieurs vedettes du XV dont le All Black Kevin Mealamu, l’ancien Springbok et Toulonnais Bryan Habana était presque jaloux : « C’est fantastiqu­e de pouvoir jouer dans un endroit et un contexte pareil. » Ce dont se réjouissai­t aussi, après la victoire de ses troupes contre l’Irlande, la superstar des Blacks Ferns (nom de l’équipe féminine néo-zélandaise) Portia Woodman, qui a pourtant sillonné le circuit mondial depuis des années : « Chaque match est une finale. Cet enjeu ajouté à l’environnem­ent rend toute rencontre très excitante. C’est incroyable, nous avons évolué dans beaucoup de stades à travers le monde mais jamais dans une enceinte de baseball. Voir cette foule partout, dans des tribunes à moitié ouvertes, c’est fou. »

DÉTENUS D’ALCATRAZ ET KILTS ÉCOSSAIS

Et, comme pour toute étape du Sevens, le spectacle se déroule donc sur la pelouse mais aussi dans les gradins ou sur le parvis du stade, celui-ci étant parsemé de palmiers géants, où les supporters transpiren­t d’idées pour être les moins discrets possibles. Tradition oblige : les déguisemen­ts sont de sortie. La palme revenant certaineme­nt à cette bande de potes qui a rendu hommage à l’histoire du coin, costumés en détenus d’Alcatraz, cette ancienne prison située sur une île dans la baie où beaucoup des criminels les plus notoires des États-Unis ont séjourné avant sa fermeture dans les années 60, donnant naissance à de nombreuses légendes encore entretenue­s sur des tentatives d’évasion folles, l’endroit étant devenu aujourd’hui une des attraction­s touristiqu­es de la région. Ces derniers se sont mêlés aux Écossais et Gallois en kilt malgré la fraîcheur nocturne de la Californie ou à ces Canadiens venus en masse pour exhiber la feuille d’érable, jusque sur le pantalon conçu sur mesure pour quelques-uns d’entre eux. Et les Français dans tout ça ? Ils n’étaient pas en reste puisque des ressortiss­ants expatriés sur le sol américain ont décidé de faire le voyage pour soutenir les Bleu(e) s. L’un d’eux prenant même un malin plaisir à agiter son drapeau bleu blanc rouge sous l’immense horloge qui se dresse à l’entrée de l’enceinte aux sons de « On est les champions, on les champions ». Référence au titre mondial conquis une semaine plus tôt par les footballeu­rs en Russie. Le sport n’était plus le même mais la liesse plus que jamais contagieus­e. Et cette propension à se faire mélanger tant de cultures, de nations, sous le sceau de l’excentrici­té et de la bonne humeur, est assurément la plus belle des forces de cette discipline, laquelle ne réclame qu’à grandir encore et s’ouvrir à des population­s toujours plus nouvelles. En ce sens, San Francisco, comme toujours, a donné la tendance.

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 ?? Photos J. Fa. ?? La Coupe du monde du rugby à 7 s’est déroulée dans la ville hors du temps, San Francisco. Le stade AT & T Park (à gauche), l’antre de la légendaire équipe locale de baseball, était rempli dès la première journée de compétitio­n. Aux abords, les supporters scandaient « U-S-A, U-S-A » (en haut à droite), ou agitaient leur drapeau bleu, blanc, rouge (en bas à droite).
Photos J. Fa. La Coupe du monde du rugby à 7 s’est déroulée dans la ville hors du temps, San Francisco. Le stade AT & T Park (à gauche), l’antre de la légendaire équipe locale de baseball, était rempli dès la première journée de compétitio­n. Aux abords, les supporters scandaient « U-S-A, U-S-A » (en haut à droite), ou agitaient leur drapeau bleu, blanc, rouge (en bas à droite).
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