Rugby à 7
San Francisco se lève
On dit souvent qu’il suffit de mettre un pied à San Francisco pour être dévoré par la magie des lieux. Ici, tant au niveau des décors que dans l’état d’esprit qui s’y dégage, rien n’est semblable qu’ailleurs. Dans sa chanson dont le titre porte le nom de la ville, Maxime Le Forestier dit d’elle qu’elle est « peuplée de cheveux longs, de grands lits et de musique, peuplée de lumière et peuplée de
fous » mais qu’elle « sera dernière à rester debout. » La cité californienne est un joyau à elle seule, une ville hors du temps, en avance sur lui. Que vous débarquiez depuis Oakland par l’interminable Bay Bridge ou depuis le Nord par le plus célèbre des ponts au monde, à savoir du Golden Gate Bridge qui s’étend sur près de 2,7 km et se révèle l’un des édifices le plus photographiés de notre planète, l’effet de basculer dans un univers nouveau est prégnant. Littéralement, il faut traduire la merveille orangée par le « pont de
la porte dorée ». Aucune surprise à ce qu’à la veille de cette Coupe du monde 2018, septième édition chez les hommes et deuxième chez les femmes, le président de World Rugby Bill Beaumont ait repris la formule : « Les stars du 7 vont briller dans la ville dorée des États-Unis et nous attendons avec impatience ces trois jours de rugby à 7 qui permettront à notre sport de rayonner à travers le pays et dans le monde entier. Ce sera un événement spectaculaire et révolutionnaire qui écrira un autre chapitre passionnant dans la remarquable histoire du succès à 7. Nous avons décerné notre tournoi le plus prestigieux de cette discipline aux États-Unis car nous savons que c’est beaucoup plus qu’une nation avec un simple potentiel, mais une nation avec un public de rugby croissant, prospère et engagé. » Il n’y avait qu’à débarquer, dès vendredi, aux abords de l’AT & T Park pour le vérifier. À ceux qui craignaient une affluence en berne, les réponses n’ont pas tardé à fuser puisque les travées étaient déjà presque remplies pour le premier jour de compétition. Elles l’étaient même encore aux deux tiers à 22 heures le soir, alors que la nuit était tombée sur l’ouest américain. Il faut dire que les Eagles (surnom de l’équipe nationale américaine masculine) allaient faire leurs débuts dans ce Mondial. Tout était prêt pour le show : du « Born in the USA » de Bruce Springsteen craché à haute intensité dans les haut-parleurs de l’enceinte au générique de Rocky à l’entrée des joueurs. Il n’en fallait pas davantage pour mettre le public local dans un état second, lequel a régulièrement entonné de vigoureux « U-SA, U-S-A » durant la rencontre. Puis deux courses folles de Perry Baker ou un slalom sublime de Carlin Isles, les deux vedettes locales, et le chavirage était total… San Francisco avait déjà réussi son pari, World Rugby aussi. Au total, près de 100 000 spectateurs étaient attendus sur l’ensemble de la compétition, ce qui fait de cet événement celui de rugby le plus fréquenté de l’histoire du pays. « C’EST INCROYABLE, C’EST FOU »
Mais c’est aussi l’originalité du lieu choisi qui a donné à cette Coupe du monde une saveur toute particulière. Car l’AT & T Park ne ressemble à aucun autre stade de rugby. Normal car il sert d’antre aux San Francisco Giants, la légendaire équipe de… baseball ! Ici, tout est dédié à la gloire de la batte et de la petite balle blanche. Les Giants sont célébrés partout et chaque bar, à moins de 500 mètres, retransmet une rencontre de baseball. Il a donc fallu réaliser une prouesse pour transformer le tout en une remarquable aire de rugby à 7, avec des en-but certes raccourcis. « C’est un véritable exploit, nous raconte Tom Hill, le responsable commercial de World Rugby, lors d’une réception organisée par Tudor, l’un des principaux partenaires de l’événement, durant laquelle il présentait les trophées remis aux lauréats. Quand nous sommes arrivés sur ce terrain, on regardait la façon dont il était façonné en angle droit, avec ses lignes de baseball, ses bandes de terre et on se demandait vraiment comment ce serait possible. Le travail a été formidable et le résultat l’est tout autant. » Le cadre général flirtant même avec le sublime. « Ce Mondial se joue dans un stade mythique, au coeur d’une ville qui a très belle réputation, explique Julien Candelon, ancien international à 7 et désormais chargé de mission à la FFR. On sent que cette discipline est entrée dans une toute autre dimension. » Posé dans la partie basse de la ville, l’AT & T Park offre une vue imprenable sur la baie de San Francisco grâce à son architecture spécifique. Un vertige qui se confondait avec la formule décidée pour cette compétition, qui laissait seulement place à des matchs à élimination directe… Croisé dans les couloirs, à l’image de plusieurs vedettes du XV dont le All Black Kevin Mealamu, l’ancien Springbok et Toulonnais Bryan Habana était presque jaloux : « C’est fantastique de pouvoir jouer dans un endroit et un contexte pareil. » Ce dont se réjouissait aussi, après la victoire de ses troupes contre l’Irlande, la superstar des Blacks Ferns (nom de l’équipe féminine néo-zélandaise) Portia Woodman, qui a pourtant sillonné le circuit mondial depuis des années : « Chaque match est une finale. Cet enjeu ajouté à l’environnement rend toute rencontre très excitante. C’est incroyable, nous avons évolué dans beaucoup de stades à travers le monde mais jamais dans une enceinte de baseball. Voir cette foule partout, dans des tribunes à moitié ouvertes, c’est fou. »
DÉTENUS D’ALCATRAZ ET KILTS ÉCOSSAIS
Et, comme pour toute étape du Sevens, le spectacle se déroule donc sur la pelouse mais aussi dans les gradins ou sur le parvis du stade, celui-ci étant parsemé de palmiers géants, où les supporters transpirent d’idées pour être les moins discrets possibles. Tradition oblige : les déguisements sont de sortie. La palme revenant certainement à cette bande de potes qui a rendu hommage à l’histoire du coin, costumés en détenus d’Alcatraz, cette ancienne prison située sur une île dans la baie où beaucoup des criminels les plus notoires des États-Unis ont séjourné avant sa fermeture dans les années 60, donnant naissance à de nombreuses légendes encore entretenues sur des tentatives d’évasion folles, l’endroit étant devenu aujourd’hui une des attractions touristiques de la région. Ces derniers se sont mêlés aux Écossais et Gallois en kilt malgré la fraîcheur nocturne de la Californie ou à ces Canadiens venus en masse pour exhiber la feuille d’érable, jusque sur le pantalon conçu sur mesure pour quelques-uns d’entre eux. Et les Français dans tout ça ? Ils n’étaient pas en reste puisque des ressortissants expatriés sur le sol américain ont décidé de faire le voyage pour soutenir les Bleu(e) s. L’un d’eux prenant même un malin plaisir à agiter son drapeau bleu blanc rouge sous l’immense horloge qui se dresse à l’entrée de l’enceinte aux sons de « On est les champions, on les champions ». Référence au titre mondial conquis une semaine plus tôt par les footballeurs en Russie. Le sport n’était plus le même mais la liesse plus que jamais contagieuse. Et cette propension à se faire mélanger tant de cultures, de nations, sous le sceau de l’excentricité et de la bonne humeur, est assurément la plus belle des forces de cette discipline, laquelle ne réclame qu’à grandir encore et s’ouvrir à des populations toujours plus nouvelles. En ce sens, San Francisco, comme toujours, a donné la tendance.