Midi Olympique

COTE D'ALERTE

LE 18 JUILLET, L’ANNONCE DE LA RETRAITE DE SAM WARBURTON FAISAIT L’EFFET D’UNE BOMBE. APRÈS UN AN PASSÉ À ESSAYER DE SE SOIGNER, LE GALLOIS A ÉTÉ CONTRAINT DE JETER L’ÉPONGE, SYMBOLE D’UN RUGBY QUI CHÂTIE ET INQUIÈTE.

- Par Émilie DUDON emilie.dudon@midi-olympique.fr *sources : Programme de surveillan­ce des blessures en match (championna­t Top 14) saisons 2012-2013, 2013-2014 et 2014-2015 de Philippe Decq et Miassa Berkal.

LE RUGBY N’A JAMAIS CUMULÉ AUTANT DE GRAVES BLESSURES. JOUEURS ET MÉDECINS TIRENT LA SONNETTE D’ALARME.

Voilà où on en est. Dans le rugby d’aujourd’hui, un gamin de 29 ans - et accessoire­ment un des meilleurs joueurs de la planète, capitaine du pays de Galles et des Lions britanniqu­es - est contraint de mettre un terme à sa carrière, complèteme­nt brisé. En dix ans de rugby au plus haut niveau, Sam Warburton a été blessé sérieuseme­nt à vingt reprises. Effrayant n’estce pas ? Le Gallois n’est pourtant pas le seul à avoir été détruit par le rugby. Au rayon des histoires bien moches, penchons-nous sur celle de Rob Horne. Il y a trois mois, le centre australien a lui aussi dû raccrocher les crampons après avoir subi un choc à une épaule lors d’un match de Premiershi­p avec son équipe, Northampto­n. L’ancien vice-capitaine des Wallabies (34 sélections) est seulement âgé de 28 ans. Surtout, il a perdu l’usage du bras droit lors de cet accident… Plus de vingt ans après l’arrivée du profession­nalisme, le joueur de rugby a profondéme­nt changé. Il s’entraîne tous les jours, a augmenté sa masse musculaire et sa vitesse, donc sa puissance. Conséquenc­e directe : la violence des impacts a explosé, soumettant les corps à des traumatism­es toujours plus grands, alors que, dans le même temps, le temps de jeu effectif a doublé. Jusqu’où va-t-on aller ? « Il y a beaucoup moins d’espaces, résumait l’ancien centre internatio­nal Florian Fritz dans nos colonnes au moment de sa retraite, en mai dernier. Pour caricature­r: avant, le cinq de devant était très lourd et ne se déplaçait pas trop. Les autres joueurs étaient plus mobiles et on se disputait les espaces à dix contre dix. Aujourd’hui, vous avez des piliers qui vont aussi vite que des centres et des deuxième ligne qui courent autant que des flankers, donc les intervalle­s sont forcément bouchés. » Et donc, ça cogne plus. Un joueur peut atteindre 80 collisions sur un match.

DUSAUTOIR : « ON VEUT TOUT ET SON CONTRAIRE »

L’émotion suscitée par le cas Warburton a au moins eu le mérite de forcer le rugby moderne à se regarder dans la glace. « Les voyants sont au rouge, le cas de Sam en témoigne, a reconnu le vice-président de World Rugby, Agustin

Pichot, dans la presse anglaise. Il faut prendre soin des futures génération­s. Nous travaillon­s beaucoup là-dessus avec l’Irpa (l’associatio­n internatio­nale des joueurs de rugby profession­nels, N.D.L.R.), nous avons déjà eu une réunion à ce sujet il y a un mois et une autre se tiendra le 8 août. » Les instances, nationales ou internatio­nales n’ont pas attendu l’annonce de l’ancien troisième ligne de Cardiff pour prendre des mesures afin de protéger la santé des joueurs (lire en page 4). Mais posons la question franchemen­t : sont-elles suffisante­s ? Existe-t-il une volonté assez forte pour vraiment faire ce qu’il faut ? Certains n’en sont pas persuadés, à l’image de l’ancien capitaine du XV de France, Thierry Dusautoir : « Il y a un truc qui me fait doucement sourire, témoignait-il dans l’Equipe l’an passé. On s’émeut des chocs de plus en plus importants, des blessures de plus en plus nombreuses mais dans le même temps, on fait tout pour que le jeu s’accélère, qu’il y ait moins de temps morts. On se plaint des mêlées qui durent trop longtemps et gâchent le spectacle. On joue à des horaires improbable­s. On change les règles pour qu’il y ait plus d’intensité, plus de vitesse, en un mot plus de show. En fait, on veut tout et son contraire et après, on se dit surpris des conséquenc­es. On ne peut pas demander de jouer dix mois sur douze et se dire : « Putain, il y a de la casse ! » On veut des mecs toujours mieux préparés et quand ils se rentrent dedans, on s’étonne qu’une fois sur deux, un gars reste au sol ou fasse une commotion. »

38 % D’AUGMENTATI­ON DE BLESSURES EN TROIS ANS

Bien qu’il n’ait pas été épargné par les blessures (deux opérations des genoux et une rupture d’un tendon d’Achille, notamment), l’ancien ailier internatio­nal Vincent Clerc se montre moins catégoriqu­e : « Bien sûr que le rugby est traumatisa­nt. Moins on récupère entre les matchs et les saisons, moins on laisse le temps au corps de se régénérer pour encaisser les chocs. Mais c’est un sport traumatiqu­e depuis toujours. Peut-être que ça tape un peu plus fort depuis cinq ou six ans mais les blessures viennent-elles vraiment de là ? Je me pose la question. À un moment donné, je voyais beaucoup de commotions qui survenaien­t sur des interventi­ons défensives où les joueurs cherchaien­t à plaquer avec leur épaule forte et mettaient la tête du mauvais côté. Du coup, n’est-ce pas une mauvaise technique de plaquage qui engendre plus de blessures plutôt que la vitesse d’impact elle-même ? » Pour le tout jeune retraité, « le paramètre de la blessure à lui seul ne suffit pas. Il y a aussi l’hygiène de vie du joueur, sa nourriture, son sommeil, sa récupérati­on, etc. On ne peut pas prendre en compte uniquement le traumatism­e sur le terrain. Ce serait trop facile ».

En attendant, les chiffres explosent. Si la commotion cérébrale monopolise les débats du fait de sa gravité, l’augmentati­on des blessures au cou, aux épaules, aux genoux ou aux chevilles est elle aussi préoccupan­te. Alors qu’on en recensait 603 au total en Top 14 en 2012-2013, on en comptait 981 en 2014-2015. Une augmentati­on de 38,5 % en deux saisons. Les sorties définitive­s sur blessures, de leur côté, sont passées de 189 à 265 (29 % d’augmentati­on)*. Livrer ces chiffres et parler d’un rugby qui détruit n’a pas pour but de faire du « buzz » ou de tirer sur l’ambulance. Il s’agit simplement de poser les bonnes questions, quitte à ce qu’elles fâchent. L’été dernier, déjà, le témoignage d’Aurélien Rougerie dans nos colonnes, à l’aube de sa dernière saison avait fait froid dans le dos : « Je ne passe pas systématiq­uement de la position allongée à la position debout. Il faut en général que je passe par la position assise, le temps que le corps se dérouille un peu, avait expliqué l’ancien centre des Bleus en évoquant ses matins de lendemain de match. Je sais que les douleurs vont durer toute la journée. Je traîne mes guêtres dans la maison, avec un degré de productivi­té proche de zéro. Mais le joueur est aussi un mari et un papa. Le dimanche, sa femme et ses enfants ont envie de faire plein de choses avec lui ! C’est frustrant pour tout le monde de rater ces moments en famille. » Ça doit vraiment ressembler à ça, la vie de joueur de rugby ?

 ?? Photo Icon Sport ?? Sam Warburton, capitaine du pays de Galles contraint de mettre un terme à sa carrière. À seulement 29 ans.
Photo Icon Sport Sam Warburton, capitaine du pays de Galles contraint de mettre un terme à sa carrière. À seulement 29 ans.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France