Midi Olympique

« On arrive à un point de non-retour »

- Propos recueillis par É. D.

En tant qu’ancien joueur et que médecin du sport, que vous inspire la retraite d’un joueur de 29 ans comme Sam Warburton ?

La première chose, c’est que ça ne m’étonne pas. D’autant qu’il était internatio­nal à tout juste 21 ans. Il fait partie de la première génération de joueurs qui ont connu le très haut niveau très jeunes. La plupart d’entre eux sont passés par des centres de formation et ont travaillé de manière quasi-profession­nelle depuis des années. Quand je suis arrivé au Lou à 19 ans, je n’avais jamais fait de musculatio­n de ma vie. Aujourd’hui, un gamin de 19 ans est apte à rivaliser au haut niveau. Regardez les moins de 20 ans qui ont été sacrés champions du monde. Ils sont quasiment tous prêts physiqueme­nt à jouer en Top 14 alors qu’ils sont encore très jeunes. Il ne faut pas faire des généralité­s à partir d’un seul cas mais, à terme, les carrières au très haut niveau vont être beaucoup plus courtes. On va voir de moins en moins de Lionel Nallet, d’Aurélien Rougerie ou de Julien Bonnaire… C’est évident et on se le dit entre nous, avec les joueurs, etc. Les mecs vont peut-être pouvoir faire cinq ou six ans au niveau internatio­nal mais ce sera compliqué de suivre le rythme par la suite.

Comment commenteri­ez-vous l’augmentati­on du nombre de blessures ces dernières années ?

C’est logique puisque les joueurs s’entraînent plus. Il faut être prudent avec les chiffres cependant. Actuelleme­nt, on parle beaucoup de l’explosion des commotions cérébrales par exemple. Cela vient aussi du fait qu’on les recherche et qu’on les notifie désormais, ce qui n’était pas le cas jusqu’à récemment. Avant, le joueur commotionn­é restait sur le terrain tant qu’il pouvait toujours bouger. Bien sûr, les commotions sont un énorme problème et je ne suis pas en train de dire qu’il n’est pas important mais il faut aussi raison garder et noter qu’elles sont aussi plus nombreuses parce qu’on les détecte mieux aujourd’hui.

Reste que les impacts sont tout de même bien plus importants qu’avant.

Bien sûr. Avant, la violence dans le rugby venait des mauvais gestes. Cet aspect a été complèteme­nt aseptisé et on ne voit plus de bagarres. C’est une bonne chose. À l’inverse, les impacts plus violents et les temps de jeu effectif qui augmentent ont multiplié les risques de blessure. On touche aussi aux limites physiologi­ques du corps humain : on peut faire grossir les muscles dans une certaine mesure mais ce n’est pas le cas des tendons et des ligaments, alors les traumatism­es augmentent. C’est pourquoi il faut continuer d’essayer d’améliorer les règles et de trouver des solutions. Après, vous ne m’enlèverez pas de l’idée qu’on arrive à un point de non-retour. On ne va pas empêcher les joueurs de faire de la musculatio­n mais on est en train d’atteindre une limite : les mecs ne vont pas courir à 45 kilomètres par heure et peser 145 kilos dans quelques années !

Que faire, alors ?

C’est très difficile. Si on ne veut pas perdre l’essence de notre sport, on est obligé de mettre « en danger » le joueur sur le plan physique. Un plaquage, c’est un danger physique. Mais alors quoi ? On fait du toucher ? Ce n’est plus du rugby dans ce cas… À partir de ce constat, il faut essayer de trouver les meilleures solutions. C’est ce qui est en train d’être fait. Les arbitres ont un rôle important et qu’ils prennent au sérieux. Les commission­s médicales se penchent très sérieuseme­nt sur le problème pour faire évoluer le jeu. Regardez ce qui a été fait en mêlée par exemple. Il n’y a presque plus de blessures dans ce secteur de jeu et c’est très bien.

Aujourd’hui, c’est la zone plaqueur-plaqué qui pose le plus problème.

C’est la zone la plus dangereuse à mon sens. Le joueur se retrouve trop souvent dans des situations où il est en position de faiblesse. C’est très compliqué de le protéger dans cette zone où il y a beaucoup d’engagement. Là aussi, la règle aide. Aujourd’hui, les plongeons dans les genoux sont sanctionné­s. On commence à parler d’abaisser la ligne de plaquage et je crois que c’est une bonne chose. J’entends des gens dire qu’il ne faudrait plaquer qu’aux jambes mais si le plaqueur prend le genou ou la hanche dans la tempe, il pourra faire une commotion cérébrale. En revanche, abaisser un peu les plaquages me paraît être une bonne chose. Cela permettra de laisser une marge. Parce que, quand tu effectues un plaquage, tu commences à un endroit et tu ne saisjamais où tu vas finir !

Vous-même avez fini votre carrière sur une blessure, en janvier 2017. Comment l’aviez-vous vécu ?

J’ai terminé sur une fracture de la cheville effectivem­ent. C’est comme ça. Je vais vous dire, tout me manque dans le rugby, sauf ça : se lever le matin avec mal au dos, aux épaules ou un peu partout, c’est trop pénible. C’est le seul truc pour lequel je suis content d’avoir arrêté.

Ce problème vous inquiétait-il déjà quand vous étiez joueur ?

Oui et non. Je pense que tous les joueurs sont globalemen­t soucieux de leur santé. Mais ils ont intégré que s’ils ne veulent pas avoir de problèmes articulair­es ou de ce genre, ils doivent arrêter le rugby de haut niveau. C’est très clair dans l’esprit de tout le monde. Le sport de haut niveau, quel qu’il soit, n’est pas bon pour le corps de toute façon. Alors il faut faire un choix. À côté, il y a des tas d’avantages à être sportif profession­nels alors il y a une balance bénéfices-risques à évaluer. Celui qui considère qu’il met trop son corps en danger n’a qu’à arrêter. Mais c’est assez intégré par les joueurs. Tout le monde est courant qu’il y a une part de risques, toujours.

La question est volontaire­ment provocatri­ce mais pensez-vous que le rugby d’aujourd’hui est un rugby qui détruit ?

Je soigne certains vieux rugbymen qui ont l’âge de mon père et je peux vous dire qu’ils ne sont pas beaux à voir… Dans les années 90, on s’entraînait deux fois dans la semaine et on jouait vingt minutes de temps de jeu effectif durant les matchs alors évidemment, on se blessait moins. Mais le rugby a toujours été un sport de contact. C’est un peu dommage parce que les chiffres actuels font peur à tout le monde. Bien sûr, l’augmentati­on des impacts et des répétition­s entraîne un plus grand nombre de blessures mais c’est une évolution qui est presque logique. Sans se résigner, il faut accepter l’idée que le rugby de haut niveau est délétère pour le corps. C’est un fait. L’avantage, c’est qu’on est dans un sport qui se pose beaucoup de questions. Tout n’est pas parfait mais des mesures sont prises. On est par exemple précurseur­s en ce qui concerne l’identifica­tion et la prise en charge des commotions.

« On est obligé de mettre « en danger » le joueur sur le plan physique. Un plaquage, c’est un danger physique. Mais alors quoi ? On fait du toucher ? »

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