Plaquer n’est plus jouer
La polémique fait rage. Et chacun y va de son opinion. Joueurs en tête. « La grande majorité des blessures graves survient dans les zones de rucks » d’un côté. « Ce sont les plaquages dangereux, ou mal exécutés, qui menacent principalement les joueurs » de l’autre. Puisque les acteurs euxmêmes ne sont pas d’accord, difficile d’adapter le scénario des règles avec justesse. Au sein même de ces catégories traumatiques, figurent d’ailleurs plusieurs sous-catégories. Comme autant d’opinions.
Prenez, samedi dernier : à la 24e minute de la rencontre entre Grenoble et Toulouse, le trois-quarts centre isérois Alaska Taufa dézinguait son vis-à-vis, Romain Ntamack. Démembrait, dépoutraillait ou désossait, selon les jargons du rugby du coin. Mais alors, l’action était-elle une tentative d’assassinat en bonne et due forme ? Ou rien de moins que le plus beau plaquage de la saison délivré dès la deuxième journée du Top 14 ? Chacun a pu affirmer son opinion, gonflé de certitude. L’arbitre tranchait, lui, sans vraiment le faire : carton jaune. Vue la violence du choc, ce n’est pas assez si le plaquage est jugé illégal. C’est trop, évidement, si l’on considère (comme Romain Ntamack, d’ailleurs, qui s’exprimait dans nos colonnes ce lundi) que l’action est un geste de rugby dur, mais propre.
Le risque, lorsqu’on visionne ces images, est de céder à la dictature des émotions qui conduit à des réactions excessives. Comme des instincts primitifs de protection. Le contexte y est tristement propice. Qu’importe les observables qui président à une décision arbitrale, on ne peut s’empêcher de penser que Romain Ntamack est un môme de 19 ans qui, sur l’action, aurait pu perdre infiniment plus que son duel. On parlait hier d’intégrité physique des joueurs. Depuis ce été et le traumatisme Louis Fajfrowski, on parle de vie ou de mort. Cela pèse sur l’inconscient.
Et qu’en pensons-nous, au fait, de ce plaquage ? Je juge, très personnellement, que tous les gamins de ce jeu ont, un jour, rêvé d’asséner une telle « cartouche ». Parce qu’elle me semble réglementaire. Une assertion à la première personne, puisque le débat s’est poursuivi jusque dans les bureaux de notre rédaction.
Dès qu’on assume le rugby en sport de combat, où la domination physique prime, il faut en accepter les risques. Jouer, c’est aussi plaquer. Et inversement. Pour ceux qui n’y trouvent pas leur compte, et c’est bien leur droit, il existe tant d’autres formes de rugby que le XV, avec le jeu à 5, 7, 10 ou à toucher. Des pratiques plus ludiques, moins brutales et tout aussi recommandables.
En attendant, puisque le Top 14 se joue toujours à quinze contre quinze, le plaquage de Taufa était violent mais dans une hauteur acceptable, selon la règle. Avec une vitesse d’impact élevée compliquant la tâche, le Grenoblois s’efforça pourtant de mettre les bras, pour tenter d’enrouler autant que possible le Toulousain. La différence de masse et de vitesse a fait le reste. C’est un avis personnel, encore une fois. Tout cela peut légitimement être contesté.
Pour s’éviter ce constat où la violence et la légalité se confondent et heurtent la vue du tout venant, à commencer par les mamans de futurs licenciés, la réglementation avance aujourd’hui vers un abaissement de la zone de plaquage. Cela produira mécaniquement une diminution (jusqu’à la disparition) de telles images. Mais, il ne faut pas se leurrer, cela ouvrira aussi de nouveaux problèmes. Par exemple : comment, demain, un joueur pourra-t-il défendre férocement sa ligne, sans un seul centimètre de marge, en étant contraint « d’attaquer » l’adversaire en dessous de son centre gravité ? Le débat est ouvert.