Midi Olympique

Séduction, mode d’emploi

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

Les clichés ont la vie dure et, depuis deux saisons, les Racingmen se battent au quotidien contre l’idée selon laquelle « le rugby, dans les Hautsde-Seine, se joue à dix ». Il faut dire que des années durant, les Ciel et Blanc ont assumé le credo d’un pack d’une tonne au service d’un buteur à 90 %. C’était le cas à l’époque où Pierre Berbizier était le patron sportif des Banlieusar­ds, un temps béni où huit golgothes (François van der Merwe, Lionel Nallet, Sébastien Chabal, Jacques Cronjé, Andrea Lo Cicero, Olivier Noirot, Benjamin Sa…) n’avaient que peu d’égal dans l’exercice du maul pénétrant ou de la mêlée fermée, laissant les coups de pompe de Frans Steyn ou Jonathan Wisniewski faire le reste du chemin. Berbizier parti (juin 2013), les deux Laurent mirent plusieurs saisons - deux, au bas mot - avant de changer de braquet, revoir le plan de jeu historique du Racing et diversifie­r les profils de leurs joueurs. Avec Johnny Sexton aux manettes, le Racing resta

prévisible. « Ce rugby axé sur le jeu d’avants me plaît, disait à l’époque le président

Lorenzetti. J’ai du respect pour les travailleu­rs, les soldats, les bosseurs, les gens qui savent se consacrer aux tâches obscures. C’est même l’une des facettes du rugby qui me plaît le plus. » L’arrivée au club de Dan Carter (décembre 2015), Casey Laulala, Chris Masoe, Joe Rokocoko ou Johan Goosen fut pourtant un premier pas dans la métamorpho­se qu’avaient imaginé les deux

Laurent dans le 92. « On ne gagne plus en faisant dix cocottes par match, nous confiait à l’époque

Laurent Labit. Le Mondial anglais a sacré les équipes qui avaient clairement opté pour le mouvement, le rythme, la passe et le jeu debout. Chez nous, l’idée reste de tendre au maximum vers ce projet-là ». Pour le staff francilien, la réussite qu’il appelait de ses voeux en Champions Cup (c’est le seul titre qui manque encore à son palmarès) ne pouvait donc passer que par la dynamique inexorable­ment imposée par les meilleures équipes du vieux continent.

« LE RISQUE ZÉRO N’EXISTE PAS »

Mais dans les Hauts-de-Seine, c’est la naissance de l’Arena qui a accéléré la révolution culturelle entreprise en pointillés, quelques années plus tôt, au Plessis-Robinson. « Sur une pelouse

aussi rapide, nous confiait alors l’ancien Racingman Eric Blanc, les Ciel et Blanc ont compris qu’ils ne pourraient pas passer leur temps à monter des chandelles et dérouler des mauls pénétrants. […] Dans la mesure où les dirigeants souhaitent remplir l’enceinte (30 000 places assises, N.D.L.R.), au coeur du milieu ultra-concurenti­el qu’est le monde du spectacle à Paris, il faut envoyer du jeu. »

À la fois tenus de répondre aux exigences de la salle de spectacle de Nanterre et convaincus que le rugby moderne ne se gagnait que debout, les patrons sportifs du Racing ont alors décidé de confier les clés de leur équipe à des joueurs plus connus pour leur capacité à faire vivre la balle et jouer l’évitement qu’à pousser de la fonte. Après avoir arraché la pieuvre Leone Nakarawa aux Glasgow Warriors, les Francilien­s ont rapatrié Virimi Vakatawa au bercail, fixant le Franco-fidjien au centre, là où sa vitesse pourrait faire de gros dégâts sur les extérieurs. Conscients qu’il était nécessaire de tourner la page de l’ère Carter, ronronnant­e à son crépuscule, les deux Laurent ont dans la foulée recruté Finn Russell, le meilleur animateur d’Europe, et Simon Zebo, excellent relanceur, toujours très dangereux lorsqu’il se risque à s’intercaler dans sa ligne. Mais en s’octroyant les services de ces joueurs, les deux Laurent ont également dû accomplir un travail sur eux-mêmes. Les fulgurance­s de Nakarawa, Vakatawa, Russell ou Zebo s’accompagne­nt aussi de déchet : une passe impossible, une pénaltouch­e vendangée ou une relance suicidaire. « Quand

on recrute ce type de joueurs, conclut Laurent

Labit, il faut savoir en accepter les jours sans. Avec eux, le risque zéro n’existe pas ». La greffe prendra-t-elle ? ■

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