Midi Olympique

UN SOIR CHEZ NADAL

- Par Jacques VERDIER

Notre première rencontre remonte au début des années 1980. Patrick ensoleilla­it les dimanches de ce jeu et je me souviens que nous nous disputions le privilège, au journal, d’aller vers Mont-de-Marsan pour le seul ravissemen­t de le voir opérer. Les rencontres pouvaient être décevantes, hachées, il arrivait toujours un moment où ce fils spirituel d’André Boniface jetait une éclaircie sur la rencontre. Une drôle de réputation le suivait, l’auréolait de prestige. On le disait talentueux mais peu enclin aux sacrifices — n’avait-il pas préféré, un jour, les bras d’une belle, à une sélection en France B ! — mal-aimé des sélectionn­eurs, romantique, fidèle en amitié, épicurien, passionné d’art, très peu porté sur les choses matérielle­s. N’avait-il pas, là encore, quitté Nice en 1975, où une forte somme d’argent et un cabinet d’assurances lui étaient promis, après une saison passée sur la riviera, pour Mimizan, où il n’y avait pas un centime à lui offrir, mais où il espérait reconquéri­r la femme qu’il aimait. Cela situe un personnage. J’avais sollicité cette rencontre et nous nous étions retrouvés à Auch, à michemin de Mont-de-Marsan et de Toulouse, dans le fameux restaurant que tenait alors Claude Laffite. Nous étions passés à table vers 13 heures, pour ne la quitter qu’après minuit… Il arrive que des souvenirs pareils vous marquent.

Une amitié allait naître que le temps n’aura pas effacé. Dix fois, cent fois depuis, je l’ai retrouvé, ici ou là, dans ses nombreux hôtelsrest­aurants qu’il a le don d’embellir et de quitter, parce que la vie est toujours devant et qu’une lassitude le guette. Ce qui lui plaît, c’est la création, la mise en forme, un décor à peaufiner, une clientèle à satisfaire.

L’âge aidant, il n’est toutefois pas impossible qu’il reste fidèle à cet hôtel des Basses-Pyrénées, qu’il a rénové avec son épouse, au coeur du vieux Bayonne, dont ils ont fait un petit palace où tout le pays Basque désormais se presse. Je l’y ai retrouvé l’autre weekend, avec une joie qui ne renonce pas. Les choses du rugby lui échappent un peu aujourd’hui, même s’il lui arrive toujours de regarder des matchs et de continûmen­t vibrer devant le ministère des All Blacks, dont il aime la vitesse, l’élégance, le rythme, la technique parfaite des joueurs, leur célérité. Il en apprécie la grâce des gestes et des courses, avec ce raffinemen­t des princes en exil qui, les samedis ouvrables, désespèren­t du Top 14 comme d’autres de l’humanité tout entière. La compagnie d’une poignée d’anciens joueurs triés sur le volet ajoute, parfois, à son amertume, même s’il se défend de tirer trop bruyamment sur le pianiste. Trop élégant pour ça, trop bien élevé. Patrick ne dit d’ailleurs jamais du mal de personne. Et s’il lui arrive de parler encore de rugby, d’abondance et brillammen­t, c’est plus en virtuose du conciliabu­le, de la confidence, qu’en prêcheur autoritair­e. Il faut imaginer le bel hôtel à cette heure vespérale où les matchs se terminent et où flambent les conversati­ons. On prétend que les joueurs de l’Aviron en font désormais leur siège avant chaque rencontre. Un coup de téléphone à André Boniface, auquel Patrick voue une fidélité sans faille, nous informe que l’impression commune est partagée. Il est alors permis de sabler le champagne. Je ne sais pas si les journalist­es d’aujourd’hui pourront, demain, pareilleme­nt retrouver auprès des joueurs actuels, des moments semblables où la gratitude et le plaisir d’être ensemble définissen­t une amitié. Patrick il est vrai a appris très tôt le don du partage, le sens du commerce entre les hommes, à donner sans compter, à vieillir jeune. C’est un bonheur de le connaître.

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