Midi Olympique

SAVOIR PERDRE

- Par Benoît GUYOT

Le rugby profession­nel et son économie profitent, aujourd’hui, d’un cadre que l’on pourrait qualifier, sans exagérer, de libéral plus que jamais exacerbé. Seul le résultat compte, tout le reste passe de ce fait au second plan. Les effets de ce basculemen­t sont explicites : multiplica­tion des licencieme­nts, accroissem­ent de la mobilité des joueurs qui naviguent d’un club à l’autre et surtout une vision qui, pour la majorité des acteurs, peine à se projeter au-delà de la saison en cours.

Les joueurs apparaisse­nt de plus en plus souvent comme des biens que l’on échange sans réelle considérat­ion pour leur identité, leur histoire ou encore simplement leur corps (le moindre diagnostic médical est généraleme­nt rendu publique aussitôt établi). Les personnali­tés tendent à être de plus en plus lissées, celui qui sort du rang trop franchemen­t est rappelé à l’ordre au nom du tort qu’il pourrait causer à ses coéquipier­s ou à son club. Nous avons oublié que ce sont justement ces aspérités qui ont longtemps contribué à la richesse du rugby.

Tous se mettent au service d’un spectacle qui n’est pas toujours au rendez-vous. La faute à cette logique qui amène les clubs, pas tous heureuseme­nt, à optimiser, non pas leur niveau de jeu, mais leur capacité à gagner. À cela s’ajoute une concentrat­ion des richesses qui entraîne un désintérêt, du fait de la disparitio­n de l’incertitud­e sportive. Y a-t-il réellement un intérêt à voir s’affronter deux équipes en sachant d’avance laquelle des deux sortira gagnante ? Non. Évidemment, le mythe de l’épopée n’est pas loin, on veut tous que son « David fasse vaciller Goliath ». Ce qui arrive peut-être sur un match. Mais sur une saison, cela vire plus souvent à la confrontat­ion déséquilib­rée.

Il existe une opposition puissante entre des présidents de club qui « ne peuvent pas se permettre de perdre et d’être relégués » alors même que le risque de perdre doit absolument être préservé, au nom du jeu et de l’intérêt qui en découle. La défaite est non seulement une composante du jeu, mais elle est en même un fondement. Avant de devenir un grand joueur, il est nécessaire d’apprendre à perdre. La défaite n’est pas une honte, elle ne doit pas non plus être une condamnati­on. Il s’agit au contraire de la meilleure leçon que le sport puisse enseigner : celle de se relever sans cesse et de ne jamais abandonner, même face à meilleur que soi. Le fait que les mécaniques actuelles (non-vertueuses) du « tout pour la victoire » imprègnent les divisions profession­nelles est un problème dont les effets se font ressentir au-delà des divisions d’élite. Ce qui m’inquiète, c’est la capacité qu’ont ces phénomènes négatifs à ruisseler inexorable­ment vers les catégories amateurs et vers des joueurs de plus en plus jeunes.

Il serait trivial de se laisser aller à un maladroit « c’était mieux avant », là n’est pas la question. Il serait par contre pertinent de s’interroger sur la direction à adopter si on ne souhaite pas que notre sport atteigne le point de non-retour, que ce soit au niveau de la pratique profession­nelle qui fait office de vitrine ou que ce soit au niveau amateur qui englobe la grande majorité de ceux qui pratiquent, vivent et organisent le rugby. Les solutions existent (ligue fermée pour l’élite, système de « draft » etc.) et il est urgent de s’y intéresser.

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