CAMPAGNE ANGLAISE
IL Y A UNE DIZAINE DE JOURS, PIERRE-HENRY BRONCAN A INVITÉ MIDI OLYMPIQUE, PENDANT PLUS DE VINGT-QUATRE HEURES, À DÉCOUVRIR SA NOUVELLE VIE À BATH, OÙ IL A INTÉGRÉ LE STAFF CETTE SAISON. UNE AVENTURE À LA FOIS PROFESSIONNELLE, FAMILIALE ET CULTURELLE. IMM
Lundi 15 octobre, deux jours après leur défaite à domicile contre Toulouse en Champions Cup, la troisième de rang, les troupes de Bath étaient réunies pour un débriefing, auquel Midi Olympique était convié. La première image projetée était celle du troisième ligne François Louw, accompagnée des paroles du directeur du rugby Todd Blackadder : « Le staff a décidé de nommer François homme du match. » S’en suivait un tonnerre d’applaudissements pour le Springbok. L’ambiance, que l’on attendait morose, était détendue, à l’image de l’ancien Racingman Jamie Roberts qui, quelques minutes auparavant, plaisantait avec nous en apprenant la présence d’un journaliste français. Puis, derrière quelques séquences découpées de la rencontre durant lesquelles les joueurs, munis d’un carnet et d’un stylo, étaient invités à échanger avec leurs voisins et livrer leur point de vue, Blackadder donnait le clap de fin : il était temps de passer à l’analyse des Wasps, futur adversaire.
Des images récoltées, épluchées et décortiquées en amont par Pierre-Henry Broncan. Le Gersois de 44 ans, qui a entamé sa carrière d’entraîneur en 2006 à Blagnac avant de passer par Auch, Aurillac, Colomiers, Tarbes, Bordeaux-Bègles ou le Stade toulousain dans des rôles divers, a traversé la Manche pour intégrer l’encadrement de Bath où il travaille sur le recrutement et l’analyse des adversaires. Il s’est installé avec sa femme Hélène et ses deux fils Leny et Alix dans une charmante maison en pierres du domaine de Farleigh, à quelques pas du magnifique château néogothique du XVIIIe siècle, posé dans un écrin de verdure de la campagne locale, acquis il y a quelques années par le propriétaire de Bath Rugby, Bruce Craig, où le club a élu domicile. « Dès notre première visite, j’ai vu ce cadre exceptionnel, sous un grand soleil », sourit-il. Alors en poste à Toulouse, Broncan a très tôt accepté l’offre anglaise et anticipé l’aventure. « Nous étions là en octobre 2017 pour un match européen, dans ce stade en plein coeur de la ville. Le rugby est le poumon de Bath. » Gage de confiance pour une famille qui baigne dans l’ovalie. « Tout seul, je ne serais pas venu, admet Broncan. C’était un projet familial, différent des expériences précédentes lorsque je suis passé d’un club à un autre en France. Le défi n’était pas uniquement professionnel. Il va me permettre, mais aussi à ma femme et mes enfants, surtout, de revenir en ayant vu une autre culture et en maîtrisant la langue numéro un dans le monde. Nous avons fait la démarche de passer l’été ici. La rentrée était une source de stress, on avait la crainte du rejet pour les gosses. Mais le sport les a aidés a s’intégrer. Ils ont trouvé leur place grâce au rugby. » Pour l’aîné, dans le célèbre collège de Beechen Cliff, l’académie de Bath. À l’école de Freshford pour le cadet.
« LE CHANGEMENT RAPIDE N’EXISTE PAS »
Séduit par l’environnement dans lequel il évolue, Pierre-Henry Broncan appréhende aussi de nouvelles méthodes de travail. Ce fameux lundi matin, il était convié dès 7 h 45 à un point avec coachs, capitaines et leaders de jeu. Un état d’urgence ? Non, le programme habituel. « J’ai découvert la multiplication des réunions journalières, détaille-t-il. Que tu perdes ou que tu gagnes, cela ne va rien changer à la semaine : la réunion existera toujours, le contenu sera le même. Il n’y a pas la crise d’après défaite. » Là où, dans l’Hexagone, la moindre série négative met tout un club sous pression, à commencer par les entraîneurs. « Le changement rapide n’existe pas. Si ça ne marche pas, les gens vont prendre le temps de réfléchir, de savoir pourquoi, d’analyser ce qui peut être amélioré. Mais ce ne sera pas instantané comme cela peut l’être chez nous. À l’excès parfois. Avec les Anglo-Saxons, si tu ne formalises pas ce que tu veux dire, si tu n’apportes pas la preuve en images, en présentation numérique ou statistique, ils vont t’écouter par politesse mais ne vont pas le retenir. » Changement notable pour lui, qui s’adapte et se régale de l’immense base de données mise à sa disposition.
Ici, tout est filmé et conservé. Du match de l’équipe professionnelle il y a plusieurs saisons à la séance d’entraînement d’une catégorie de jeunes la semaine précédente, en passant par les actions d’un joueur de Currie Cup auquel Bath s’intéresse. Lui, le « touche à tout », passe en revue des centaines de montages pour en ressortir idées et propositions. « Pierre est un gros travailleur et a déjà gagné le respect de tous », assure Stuart Hooper, manager général amené à prendre les rênes sportives dans un an et demi. « Il est parfois difficile pour un staff de prendre du recul mais Pierre est arrivé avec sa culture française et son regard extérieur, ce qui est primordial pour nous. Il a une vision très globale du rugby, regarde toutes les équipes, fait une bonne analyse de tous les joueurs. » Et, origines obligent, se permet d’intervenir pour réclamer une évolution des mentalités sur la conquête. « Les Anglais cherchent à jouer un rugby très rapide, avec beaucoup d’entraînements basés sur la vitesse, la multiplication des phases de jeu, explique-t-il. C’est le cas à Bath et c’est positif. Mais, à côté de ça, la conquête est un peu délaissée alors que c’est un point fort des Saracens ou d’Exeter, les deux meilleures équipes du championnat. L’une a marqué six essais sur mauls portés, l’autre cinq en six matchs de Premiership. Nous sommes à zéro, comme Bristol, les Wasps, Leicester et d’autres encore. Cela m’a surpris, moi issu de culture gersoise, là où ce secteur est primordial. J’essaye d’enrichir la culture du jeu d’avants du club. Dans le rugby moderne, c’est une arme essentielle. »
« UNDERHILL AVEC LE BALAI, FALETAU AVEC LA POUBELLE »
Mais le jour le plus étonnant fut sûrement celui où il a assisté à sa première annonce de composition d’équipe. Chaque mardi matin, le groupe est invité à se rendre dans la salle vidéo. Sur l’écran géant, apparaissent tour à tour le visage et le nom des titulaires du week-end à venir. « Tout le monde applaudit à la présentation de chaque joueur. Si c’est la première cape pour l’un, il est plus applaudi. Si c’est un grand joueur qui revient de blessure, il l’est encore plus. De manière générale, la célébration est très importante. Pour un essai, une mêlée dominante, un contest récompensé par l’arbitre. Il faut se congratuler. » Ce qui n’empêche pas flegme et maîtrise de soi quand la situation l’impose. Question d’éducation. « Les joueurs sont ultra responsabilisés et respectueux, assure Broncan. Ils acquièrent une grande autonomie dès le plus jeune âge et ont ce réflexe de travailler par groupes de quatre ou cinq, de poser des questions. » Ce qui oblige même les entraîneurs à se mettre en retrait si besoin. « J’ai vu des mecs se discipliner entre eux, un remplaçant sortir un titulaire - y compris un grand joueur - d’une séance parce qu’il avait mal exécuté une touche. Ce serait un truc invraisemblable en France. » Et la discipline va au-delà du rugby. « Après le match aux Harlequins, j’avais laissé mon sac aux vestiaires. Quand je suis venu le récupérer, il restait deux mecs en train de nettoyer : Sam Underhill, international anglais, balai à la main, et Toby Faletau, Lion britannique, avec la poubelle. »
Épanoui en Angleterre, où il a signé pour deux années plus une optionnelle, Broncan a choisi de ne pas se projeter sur son avenir personnel : « Cela dépendra sûrement de nos enfants, de leurs envies. Je suis venu ici pour être champion d’Angleterre et aller loin en Coupe d’Europe. Ce ne sera pas pour cette saison et je serai peutêtre pris par le temps mais le club met tout en oeuvre pour être le meilleur dans les années à venir, avec un nouveau stade qui va être construit, une formation qui se développe, un recrutement ciblé. » Quoi qu’il arrive, à son retour, il sera un technicien plus complet. « Il y a des choses que j’aimerais ramener dans des clubs, peut-être comme manager, peut-être comme entraîneur ou sur la formation et la préformation car il y a de belles idées ici. » Sa femme nous glisse alors, dans un sourire, que le besoin de soleil les fera peut-être un jour revenir dans le Sud-Ouest. Et le mari de se marrer : « Moi, ça ne me dérange pas. Je pensais même que mon Gers me manquerait beaucoup plus. »