« Il ne faut plus que les spécialités deviennent des handicaps »
ANCIEN ENTRAÎNEUR DES AVANTS DU XV DE FRANCE, IL CONSTATE L’ÉVOLUTION INÉLUCTABLE DES POSTES DE PILIER ET LE POIDS DU LOBBYING INTERNATIONAL, QUI CONTRAIGNENT LES BLEUS À S’ADAPTER.
Un des enseignements de la liste des 31 donnée par Jacques Brunel était la sortie de Rabah Slimani. Comme si la France, lassée de se battre contre les moulins à vent de World Rugby, avait enfin décidé de se plier à l’évolution souhaitée au niveau mondial…
Ce qui est certain au sujet de la règle, c’est qu’on ne peut pas aller contre l’interprétation des arbitres. La difficulté de l’équipe France, au niveau des piliers, c’est de trouver des joueurs susceptibles de relever le défi du jeu et de la vitesse, à un rythme qui est beaucoup plus important qu’en Top 14, tout en demeurant performant sur les contraintes spécifiques liées au poste. Concernant la sortie de Rabah, je crois surtout qu’il faut mettre cette décision sur le compte d’une volonté de procéder à une dernière revue d’effectif liée à la prochaine Coupe du monde, qui sera probablement plus difficile à effectuer lors du prochain Tournoi. Après, le concernant, on perçoit évidemment une différence entre la manière dont son comportement est jugé en championnat et au niveau international.
Est-ce rédhibitoire pour lui ?
Rabah est joueur que tout le monde connaît très bien, qui réalise en outre un début de saison très positif avec Clermont. Au-delà de la revue d’effectif dont je parlais, on lui demande aussi d’effectuer des efforts par rapport à certains de ses comportements, qui sont connus des arbitres et de ses adversaires, lesquels en profitent pour jouer ce petit jeu avec lui…
On a tout de même le sentiment que Rabah Slimani a payé le prix fort d’un lourd lobbying au niveau international, presque d’une cabale. La France n’avaitelle pas les moyens de peser plus fort pour le défendre ?
Ce lobbying, il a tout le temps existé. Le meilleur exemple, c’est la finale de la Coupe du monde 2011… Au niveau international, il y a toujours des tentatives pour influer sur les arbitres, pour lui demander de surveiller tel ou tel comportement présumé de l’adversaire et en tirer profit… C’est une tradition forte dans le sport anglo-saxon, et comme nous ne sommes longtemps pas rentrés dans cette logique, c’est quelque chose que nous avions tendance à subir. Le fait que l’on ait de plus en plus de personnes qui parlent anglais et comprennent le fonctionnement des Anglo-Saxons nous permet d’être de plus en plus actifs dans ces actions-là.
Pour remplacer Slimani, le fait de promouvoir un tout frais champion du monde moins de 20 ans, sans même que celui-ci ait pu réellement être évolué au plus haut niveau national, interpelle forcément…
Pour l’instant, il n’est que dans la liste des 31. Demba Bamba est encore un joueur en construction, avec un potentiel énorme, reconnu par tous, mais qui a beaucoup à travailler. C’est un joueur atypique, en plein devenir, qui a déjà connu quelques feuilles de match en Top 14 et réalise des prestations solides en Pro D2. Il a une bonne tenue en mêlée mais c’est surtout un très gros porteur de ballon, capable de jouer ses duels par le biais de petits crochets qui lui permettent d’attaquer les intervalles et parfois de jouer après contact. Ce sont des compétences que l’on n’a pas l’habitude de voir à son poste, chez nous, et c’est ce qui le rend assez atypique. Ses qualités intéressent forcément Jacques Brunel mais de là à dire qu’il sera titulaire en novembre, je ne m’y aventurerai pas… En revanche, c’est important de voir si l’équipe de France peut compter sur lui dans l’optique de la prochaine Coupe du monde, qui est dans la ligne de mire.
Parlons franchement : à vos yeux, l’ère des piliers de mêlée est-elle définitivement révolue ?
Je pense qu’il y aura toujours besoin de joueurs qui sont de bons spécialistes à leur poste, mais il ne faut pas que leurs spécialités soient poussées jusqu’à devenir un handicap, comme on peut parfois l’observer chez certains joueurs. Dans le futur, l’évolution va privilégier des joueurs qui sont d’abord capables de courir, de plaquer, d’assurer de bonnes passes des deux côtés… Bref, des garçons qui sont d’abord de bons joueurs de rugby avant d’être des spécialistes. Ce sera plus compliqué à l’avenir d’être un spécialiste de la mêlée avant d’être un bon joueur de rugby, même si la mêlée sera toujours une phase de jeu importante. La difficulté sera de trouver le bon compromis. Propos recueillis par N. Z.