Midi Olympique

« J’ai arrêté de me prendre pour un autre... »

MAXIME MÉDARD - Arrière du XV de France FACE AUX SPRINGBOKS, MAXIME MÉDARD (32 ANS, 51 SÉLECTIONS) FUT PROBABLEME­NT LE MEILLEUR JOUEUR FRANÇAIS. IL REVIENT, POUR NOUS, SUR UNE CARRIÈRE BOSSELÉE, TOURMENTÉE ET PEU BANALE…

- Propos recueillis par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

« S’il le faut, je suis prêt à être le Adil Rami du Mondial au Japon » Maxime MÉDARD Arrière du XV de France « Avant, j’étais comme un cheval avec des oeillères » Maxime MÉDARD Arrière du XV de France

Une semaine après la désillusio­n face aux Springboks (26-29), la pilule a-t-elle été enfin avalée ?

Je l’espère. Cette défaite nous a dégoûtés, frustrés, mis les boules… Mais nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes. À Saint-Denis, notre pire adversaire, c’était nous.

En l’espace de quelques secondes, vous êtes tous passés de héros à zéros…

À deux minutes du coup de sifflet final, j’ai dévalé les marches du Stade de France pour aller féliciter les copains. Je pensais que c’était gagné. J’avais tort…

Êtes-vous touché par les critiques ?

Oui et non. Les journalist­es font leur taf. Quant aux réseaux sociaux, ils permettent aujourd’hui à n’importe qui de parler de n’importe quoi. Mais c’est la vie.

Qu’avez-vous entendu, à votre sujet ?

Quand tu joues derrière et que tu prends de l’âge, ce sont souvent les mêmes choses qui reviennent : « Médard, il

avance plus. Médard, il est fini. » Sympa…

Un stade aux deux tiers vide, un audimat en berne : comprenez-vous le désamour entre le XV de France et son public ?

Cette situation me peine mais je la comprends. Déjà, on perd beaucoup. Et ce qui se passe extra-sportiveme­nt fait aussi perdre des supporters, des licenciés… Finalement, tout ça me rappelle un peu le Stade toulousain de ces dernières années…

Dans quel sens ?

Passée la période glorieuse, nous avons connu de grosses difficulté­s, perdu des abonnés… On a fait le dos rond et la tendance s’est depuis nettement inversée. Les gens reviennent, sourient, nous encouragen­t. Je n’ai pas peur : la roue va tourner pour l’équipe de France.

Vraiment ?

Mis à part chez les All Blacks, où nous avons pris trois roustes, nous avons prouvé que nous pouvions rivaliser avec les meilleures équipes du circuit. Il ne manque rien.

Vous avez été l’une des satisfacti­ons du XV de France, face à l’Afrique du Sud. Vous l’a-t-on dit ?

Il y avait longtemps que je n’avais pas fait un bon match en équipe de France. Il y avait longtemps que je ne m’étais pas régalé comme ça. (Il marque une pause) Ouais, c’était chouette. Samedi soir, j’avais plus d’amis que les soirs où je suis nul…

Et désormais ?

Je dois rester dans ma bulle. Quand tu es trop confiant, tu chies (sic) souvent le match d’après…

Vous semblez vous épanouir dans la ligne de troisquart­s du Stade toulousain. Qu’est-ce qui a changé, au juste ?

Le stade est plein, les gros font le taf, on se régale. Contre le Leinster en Coupe d’Europe, on a pourtant joué avec un numéro 9 à l’ouverture (Dupont) et un ailier au centre

(Guitoune). Même quand on joue dans le désordre, on se trouve, c’est le pied.

Il y a quelques semaines, en faisant gicler le ballon des mains de Freddie Burns, vous avez permis au Stade toulousain de battre Bath en Champions Cup. Avez-vous, au cours de votre carrière, déjà été victime de ce genre de claquette ?

Quand j’y repense, je me demande ce qui m’est passé par la tête. Pourquoi je l’ai traqué, au juste ? (rires) À l’entraîneme­nt, on le fait souvent pour rigoler et sans le vouloir, j’ai probableme­nt reproduit ça. […] Burns ne me voyait pas. Je l’ai suivi, j’ai tapé dans sa main et il a fait en-avant. […] Sur le coup, j’étais content pour le Stade mais aussi très emmerdé pour Freddie. La veille, j’avais bu un café en ville, avec lui et Max Mermoz.

Vous n’avez pas voulu le chambrer ?

À 20 ans, je lui aurais sûrement dit quelque chose. Aujourd’hui, je n’en vois plus vraiment l’intérêt. Quand j’ai constaté que Cheslin (Kolbe) se précipitai­t dans l’en-but pour brancher Burns, je l’en ai empêché : « Laisse tomber, «Chels», on tombera un jour sur meilleur que nous… »

Restons sur Toulouse : pourquoi Ugo Mola a-t-il eu du mal à Toulouse, au départ ?

Passer à Toulouse après Guy (Novès), c’est comme succéder à Alex Ferguson à Manchester. Nous, joueurs, avions été éduqués par Guy Novès. Nous n’avions connu que lui et au départ, Ugo n’avait pas son vestiaire. Depuis qu’il l’a, ça marche.

Avez-vous failli quitter Toulouse pour Castres, ces derniers mois ?

Il n’y avait pas que Castres…

Auriez-vous pu partir ?

J’aurais pu partir si le club n’avait pas fait l’effort. J’ai une famille et j’ai une petite fille (Louison, 2 ans) à protéger. Moi, je comprends la stratégie du Stade. Passé un certain âge, on ne te garde pas. Mais Didier (Lacroix) a souhaité me conserver et aujourd’hui, je me rends compte de ma chance.

À ce point-là ?

Le Stade, c’est ma petite famille. Guy (Novès) a entraîné mon père avant de m’entraîner. Didier (Lacroix) fut mon coach en Espoirs. Ugo (Mola) a été entraîné par mon père… Et puis, je représente la ville où je suis née, où j’ai grandi.

La paternité a-t-elle changé quoi que ce soit dans votre vie ?

(Il sourit) Mon rêve, c’est d’emmener ma famille au Japon. Mon rêve, c’est de partager cette Coupe du monde avec les deux femmes qui m’ont soutenu quand ça allait moins bien. Parce que j’aimerais qu’elles vivent aussi les bons moments, à mes côtés. […] En 2011, la Coupe du monde était un aboutissem­ent personnel. J’aurais tout fait pour y arriver. J’étais comme un cheval avec des oeillères. En 2015, je suis resté sur le bord de la route. Aujourd’hui, j’envisage le Mondial à la fois comme un défi sportif et un accompliss­ement familial.

Ce Mondial semble revêtir une importance immense à vos yeux…

Mais je suis prêt à être le Adil Rami (le stoppeur marseillai­s, qui n’a disputé le moindre match du Mondial en Russie,

était la pierre angulaire du groupe France, N.D.L.R.) du XV de France pour y aller ! Et sincèremen­t, je crois que si un groupe se sent bien, c’est parce qu’il existe des mecs comme ça. Ce n’est pas une attaque. Adil Rami, c’est l’exemple parfait du mec qui a compris son rôle, qui a pigé qu’il était là pour mettre les mecs à l’aise. Bon…

Quoi ?

Je ne vais pas porter la valise de Yoann Huget mais si je vais au Mondial, je serais le plus heureux des hommes, quelle que soit ma position.

Est-ce la paternité qui vous a fait abandonner les rouflaquet­tes au profit de la barbe ?

Non ! Mais vu qu’en ce moment, ça marche pas mal avec la barbe, je n’ai pas vraiment envie de la couper !

Votre hygiène de vie a souvent été mise en cause. Avez-vous trop fait la bringue, plus jeune ?

Jusqu’à 20 ans, je n’avais aucune hygiène de vie. Mais c’est normal : t’es jeune, t’as un chouette appart, un bon salaire et la voiture qui va avec. Tout est beau, tout est rose et tu te laisses porter. Puis, tu mûris, tu rencontres des gens qui te remettent dans le droit chemin, ou d’autres qui te pensent en surpoids et se moquent.

Avez-vous été en surpoids, au cours de votre carrière ?

Peut-être. (Il souffle) Aujourd’hui, mon alimentati­on n’a de toute façon plus rien à voir avec ce qu’elle était. Mais bon…

Quoi ?

J’ai arrêté de me prendre pour un autre.

Dans quel sens ?

À certains moments de ma vie, j’ai fait de la préparatio­n physique en dehors du club, je m’entraînais comme un fou parce que je n’en avais jamais assez. Puis, je me suis posé une question : « Suis-je un athlète ou un joueur de rugby ? »

Et qu’avez-vous répondu ?

Je suis un joueur de rugby. Je n’arriverai jamais à soulever des barres et faire 150 kg au développé couché. Mais je m’en fous.

Pour le coup, votre meilleur ami Yoann Huget est un vrai athlète…

Oui. Mais il ressemble à un joueur de rugby, pas à un culturiste.

Entre 2016 et 2018, vous n’avez connu la moindre sélection en équipe de France. Comment avez-vous vécu cette traversée du désert ?

J’ai connu pas mal de blessures et une année très difficile. Je ne suis pas le seul. Ce sont les aléas d’une carrière et j’ai appris à les accepter. Cela n’a pas toujours été le cas.

Comment ça ?

On m’a mis tellement de pression quand j’étais gosse… J’ai quitté Blagnac (une ville de la banlieue toulousain­e) à 15 ans et déjà, on me disait que je n’allais pas réussir, que je n’étais pas assez bon pour signer au Stade. Ces choseslà marquent, quand on n’est qu’un môme. Derrière ça, j’ai eu envie de prouver ma valeur à tous ces gens qui doutaient de moi. Et quand je n’y parvenais pas, je me rongeais les sangs, je me bouffais le crâne, je perdais le sommeil. Ça a duré des années…

Il y a dix ans, à votre arrivée en équipe de France (2008), vous étiez considéré comme l’enfant Protée du rugby français. A-t-il été difficile de répondre aux attentes, au fil de votre carrière ?

Les joueurs Protée, il faut les protéger. Chez les All Blacks, quand on te donne ta chance, on ne te la retire pas le match d’après. Mais je ne regrette rien. Si je n’ai pas fait le Mondial 2015, c’est que je ne le méritais probableme­nt pas…

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? Auteur d’une bonne prestation face à l’Afrique du Sud, Maxime Médard veut enchaîner avec les Bleus jusqu’au Mondial l’année prochaine. En grande forme avec le Stade toulousain, l’arrière veut avoir un rôle à jouer.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Auteur d’une bonne prestation face à l’Afrique du Sud, Maxime Médard veut enchaîner avec les Bleus jusqu’au Mondial l’année prochaine. En grande forme avec le Stade toulousain, l’arrière veut avoir un rôle à jouer.

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