Midi Olympique

PASSAGE À NIVEAU

- Par Olivier MARGOT

De retour d’une brocante, j’ai posé sur mon bureau mon acquisitio­n du jour, quelques-uns des fameux emprunts russes émis à Saint-Pétersbour­g en 1908. Ces morceaux de papier imprimés recto verso, qui ruinèrent tant de gens après la Première guerre mondiale, continuent à séduire par leur taille et les enluminure­s qui les encadrent. Les regardant, j’ai singulière­ment mais irrésistib­lement songé à Teddy Thomas dans sa longue traversée du Stade de France, il y a neuf jours, contre les Springboks. Les écueils sud-africains effacés portent les noms de Pollard, Kriel,Vermeulen, Mostert, Kitshoff, Kolisi. Cet ailier crocheteur, comme on n’en a pas vu depuis Jack Cantoni, est une fortune pour une équipe et pour les spectateur­s qui, au moins, auront vu une action de classe mondiale. En négligeant ses deux équipiers démarqués, puis en s’empalant sur l’arrière Le Roux, Teddy Thomas, coutumier de l’exploit comme de la catastroph­e, a dilapidé une fortune, à l’instar de ceux qui avaient tant cru aux emprunts russes. Le Racingman fut à juste titre vilipendé dans ce sport éminemment collectif, où la passe est le lien entre les hommes. Je vais peut-être vous choquer mais cette interrogat­ion me paraît plus dérangeant­e : qu’ont fait les éducateurs de Teddy jusque-là ? À son crédit, cette propositio­n du poète René Char, qui pourrait définir ce que fut le « French Flair » : « Il faut toujours un trouble. S’il n’y a pas de trouble, il ne se passe rien. »

Les années passent et l’équipe de France paraît porteuse d’un mystère de plus en plus insondable. Et si, simplement, on se refusait à regarder la réalité en face, confinant au mensonge. Ce FranceAfri­que du Sud, perdu 26-29 sur la dernière action, est l’image même d’une époque désespéran­te tant ce match fut qualifié d’« imperdable ». Si près, si loin…

La qualité d’engagement des joueurs français sert de leurre, dissimulan­t ce qui permet la victoire au très haut-niveau : la lucidité nécessaire à la vision du jeu, au choix tactique, à la réalisatio­n technique.Tout cela s’appuyant évidemment sur la maîtrise des bases, celle-ci amenant à la reconnaiss­ance des situations, à une compréhens­ion partagée de l’initiative, qu’elle soit collective ou individuel­le.

Après ce France - Afrique du Sud, la perte de confiance n’a jamais été autant avancée comme explicatio­n de la défaite. La confiance a bon dos. Quand à la 17e minute, Camille Lopez ne donne pas à Mathieu Bastareaud à quelques mètres de la ligne pour un essai certain, est-ce la conséquenc­e d’une confiance disparue ? Quand Vahaamahin­a recule sur un renvoi, cafouille le ballon, provoquant l’essai du Sud-Africain Nkosi, est-ce un manque de confiance ? Quand à la 79e minute, Gabrillagu­es, à 10 mètres de la ligne adverse, se jette trop loin de ses soutiens, permettant le grattage de Louw, est-ce un problème de confiance ? Quand, dans les derniers instants, Maestri écroule le maul, faute amenant une fâcheuse « pénaltouch­e », la confiance est-elle responsabl­e ?

Lopez, Belleau, Trinh-Duc sont trois ouvreurs dissemblab­les. Chacun d’eux, formés à des écoles différente­s, a pourtant manqué des balles de match faciles contre l’Australie, l’Irlande, le pays de Galles. Trois victoires qui auraient commencé à tout changer. Qu’il est dur à franchir ce passage à niveau…

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