Dan Leo, défenseur des joueurs polynésiens
L’ANCIEN INTERNATIONAL SAMOAN, PASSÉ PAR LES WASPS, L’UBB ET L’USAP S’EST LANCÉ DANS LA DÉFENSE DU RUGBY ET DES JOUEURS POLYNÉSIENS, PARENTS PAUVRES DU RUGBY MONDIAL. RENCONTRE AVEC UN HOMME INSTRUIT QUI S’EST FORGÉ UN NOUVEAU DESTIN.
Il serre des mains dans les couloirs d’un hôtel de la banlieue de Londres. Dans quelques instants, la réunion d’avant Tournoi 2018 va démarrer, mais il est parfaitement à l’aise au milieu de la fourmilière des entraîneurs, joueurs, journalistes et consultants. Sa seule présence au milieu de ce prestigieux aréopage prouve que son combat n’est pas vain. Dan Leo a fait partie de la légion polynésienne qui a déferlé sur l’Europe à partir de la fin des années 90. Depuis cinq ans, son nom a émergé en tant qu’avocat de ces centaines de destins ; de ces noms exotiques amenés chez nous par le lointain ressac de la colonisation de l’Océanie et de ses régions, Mélanésie (Fidji) ou Polynésie (Samoa et Tonga). Il s’est lancé à fond dans ce combat depuis cinq ans, via son association Pacific Players Association, sans se verser de salaire. «
Je vis toujours à Londres, mon épouse est anglaise et je joue toujours dans une équipe semi-professionnelle, les Bishops Stortford RFC en National League One. »
* Il s’appuie aussi sur d’autres joueurs capables de prendre des responsabilités : Alex Tulou, Nemani Nadolo ou Simon Raiwalui en France.
« J’AI TOUJOURS EU LA FIBRE SOCIALE »
Sa carrière de joueur fut plus qu’honorable : deux coupes du monde avec les Samoa, cinq ans aux Wasps avec une H Cup brandie en 2007. Puis cent matchs en France sous les couleurs de Bordeaux et de Perpignan (20102014). « J’ai vécu des bons moments, la montée de l’UBB en Top 14 fut une énorme émotion, mes victoires face à l’Australie (2010) et face au pays de Galles (2012) avec les Samoa sont aussi de grands souvenirs. J’ai aussi des regrets, j’aurais pu faire mieux si je m’étais entraîné plus sérieusement. Je me suis comporté comme le joueur du Pacifique type, c’est vrai. » Comment quatre ans après sa retraite, s’est-il retrouvé à la tête de cette croisade, via son association PPA ? C’est une question d’éducation, de sens des responsabilités, et ce sentiment d’avoir été désigné par le destin pour épouser cette cause sacrée. Dan Leo « est de culture samoane mais il est né en Nouvelle-Zélande et il vient d’un milieu plutôt cultivé : « Mon père était pasteur, il était le leader d’une église qui supervisait des missions un peu partout dans le monde, j’ai grandi au milieu d’une trentaine ou une quarantaine de personnes qui vivait autour de lui. J’ai toujours eu la fibre sociale… J’ai fréquenté la Auckland Grammar School en même temps que Doug Howlett et Isa Nacewa entre autres. Puis je suis allé à l’université en Australie, à Brisbane en parallèle avec mes premiers pas professionnels chez les Queensland Reds. » Son combat devenu inéluctable à mesure que les Fidjiens, Samoans et Tongiens devenaient l’armée de réserve du rugby professionnel. Dan Leo est vraiment sorti du bois à l’automne 2014 quand il devint le porteparole d’une fronde des internationaux samoans en tournée contre leur propre fédération : « On voulait faire passer notre prime hebdomadaire immobile depuis quinze ans de 400 à 550 euros. Ce fut le point de départ pour moi. J’ai compris ce jour-là qu’il nous fallait une association indépendante de World Rugby, à la différence de celles qui existaient déjà. » L’affaire fit grand bruit avec menace de boycott du test face à l’Angleterre et contre-menace d’exclusion du Mondial. Finalement, les joueurs obtinrent gain de cause. Dan Leo avait 32 ans et après cet acte de défiance inédit, la sanction ne tarda pas. Il ne fut plus jamais appelé en équipe nationale.
DE LONDRES À LA ROUMANIE EN PASSANT PAR L’ESPAGNE
Ce sacrifice a marqué le début d’une nouvelle carrière, celle d’un défenseur de ses frères exilés. « J’ai commencé de manière informelle quand j’étais à Perpignan avec Henry Tuilagi en aidant d’autres Samoans. Je me souviens qu’au même moment, à Castres Serema Baï faisait la même chose avec les Fidjiens de Castres. Puis, un jour on s’est posé la question de savoir combien de joueurs du Pacifique jouaient exactement en Europe. Tout est parti de là… » Avant de revenir à Londres pour croiser une série de célébrités de la planète ovale, il avait passé quelques séjours en Roumanie : « Savezvous qu’il y a là-bas, une quarantaine de joueurs du Pacifique dont six ou sept en équipe nationale ? Il y en a aussi en Espagne et au Portugal. Dans ces championnats « mineurs », les gars n’ont pas les mêmes contrats, ni les mêmes agents qu’en France ou en Angleterre. Ils sont bien moins protégés. » Dan Leo est aux antipodes du cliché des joueurs du Pacifique taiseux. Il vous expose sans détours les difficultés particulières de ses (quasi) compatriotes : « Nous avons le taux de suicide le plus élevé du monde. Il y a aussi pas mal de cas de dépression, sans compter les problèmes d’alcoolisme, de violence. Nous avons aussi des pathologies particulières au niveau du foie et des reins. Le genre de choses qui a emporté Jonah Lomu. » Dan Leo sait aussi que la culture traditionnelle des Iliens ne les porte pas à la contestation où à la défense de leurs intérêts face à aux « patrons » européens. Il peut vous expliquer de sa voix grave les subtilités du comportement de ses frères, l’infantilisation qui dure plus longtemps qu’en Occident, le poids de la communauté qui prévient les débordements, ce qui, a contrario, livre les joueurs à eux-mêmes quand ils arrivent en Europe, avec tout ce que ça comporte. La difficulté de comprendre les bienfaits d’une assurance ou d’un système de prévoyance alors que pour eux, la solidarité, c’est d’abord et surtout la famille.
Dan Leo, si disert et si sociable est pour le coup à l’opposé des standards de ceux qu’il défend et représente. Les hommes du Pacifique ne sont pas éduqués pour prendre la parole dans un groupe, ni pour se justifier à tout bout de champ. Ils respectent spontanément la hiérarchie et voient comme un affront le fait de débattre avec un chef ou un capitaine ou un entraîneur, alors que les Européens le font facilement et ils n’apprécient pas forcément de se faire chambrer.
SA LUTTE EST AUSSI POLITIQUE
Mais l’action de PPA ne se limite pas au soutien « social » des joueurs exilés dans la fraîcheur de La Rochelle, de Bordeaux ou la bise des Carpathes. Son combat est aussi politique : « Regardez, au Conseil de Rugby World, nous avions deux votes pour trois pays. Alors que l’Argentine a deux votes, le Japon un. Nous devons peser plus pour influencer les votes, sinon, ils nous seront toujours défavorables. Les Archipels n’ont pas de grands stades, ni de puissantes télévisions. Ils ont peu de sources de financement. C’est pourquoi j’aimerais bien que si les Samoa viennent jouer au Stade de France, ils reçoivent disons au moins cinq pour cent de la recette. Aujourd’hui, c’est zéro pour cent. » En novembre 2017, la fédération samoane avait été déclarée en banqueroute, le président avait organisé un radiothon pour trouver des fonds. « Les Anglais avaient fait un geste, c’est vrai. Ils avaient rétrocédé 75 000 livres, même pas un pour cent de la recette d’un grand match. » Dan Leo défend ce tiers-monde du rugby, ces pays dont la seule richesse est humaine. Il n’hésite pas à employer des mots très connotés pour exprimer ce désarroi, mais avec le sourire : « Esclavagisme ! »
Justement, quand on a autant de joueurs de talent, on doit se faire entendre. Mais justement, de ce côté-là, Dan Leo sent que les choses peuvent mal tourner. Voir autant de Fidjiens débarquer en équipe de France ou
d‘Angleterre ne l’enchante guère. « Je me souviens de l’époque où les joueurs pouvaient jouer pour plusieurs pays dans une même carrière. Par exemple, Michael Jones et Franck Bunce ont joué pour les All Blacks et pour les Samoa. J’aimerais qu’on revienne plus ou moins à ce régime. Car il permettrait à certains joueurs qui ne sont plus appelés pour les sélections majeures de revenir aider leur nation d’origine. J’aurais adoré voir Ma’a Nonu porter le maillot des Samoa. C’est avec des grands noms comme ça qu’on peut aussi attirer des partenaires. En fait j’aimerais qu’un gars qui a déjà joué pour les Tonga ne puisse pas jouer pour la France mais que l’inverse ne soit pas vrai. Ce serait une bonne façon d’aider les pays comme les nôtres. » L’ancien joueur a trouvé le combat de sa vie mais derrière ses constats amers, il demeure optimiste. « Si vous me voyez ici, c’est justement pour que je rencontre des partenaires prêts à nous aider. C’est vrai que World Rugby ne nous est pas trop favorable mais j’ai confiance dans la communauté du rugby et dans les médias qui ont de la sympathie pour nous. Nous commençons à connaître des cabinets d’avocats, notamment aux Etats-Unis qui sont prêts à nous aider. Certains joueurs nés en Europe comme les Vunipola, Faletau ont de la sympathie pour nous et font des déclarations favorables. Notre combat à un avenir. »
J’ai commencé de manière informelle quand j’étais à Perpignan en aidant d’autres Samoans... Puis, un jour on s’est posé la question de savoir combien de joueurs du Pacifique jouaient exactement en Europe. Tout est parti de là... » Dan LEO, président de PAA