Midi Olympique

LE GRAND FIASCO

- Par Léo FAURE, envoyé spécial leo.faure@midi-olympique.fr

Les informatio­ns se sont entrechoqu­ées, en fin de semaine. Alivereti Raka, ailier supersoniq­ue de Clermont, va donc obtenir la nationalit­é française pour, entre autres, prétendre à jouer avec les Bleus. Tournant ainsi le dos au maillot de ses origines. Fidjiennes, en l’occurrence. La démarche identitair­e interpelle toujours. C’est encore plus vrai quand, le lendemain, ladite sélection fidjienne pourfend le XV de France sur ses terres.

Sept points d’écart, seulement ? Ils auraient pu (dû) être vingt ou vingt-cinq, au regard de la domination îlienne. Samedi soir, les Fidji étaient plus forts, tout simplement. Partout sur le terrain, de la première à la quatre-vingtième minute. Meilleurs, de A à Z. Une démonstrat­ion infligée par une île comptant moins d’habitants que l’agglomérat­ion toulousain­e et qui, dans son squad d’automne, cumulait quinze mecs évoluant en deuxième division.

Il y a peu, cette joyeuse troupe prenait 40 points -au minimumdès qu’elle se déplaçait en France. Tout cela paraît loin. Les Bleus, qui pointent ce lundi à la neuvième place du classement World Rugby, ne font plus frémir personne. Ni adversaire, ni supporter. Samedi soir, dans un stade aux traits de funérarium vidé avant la fin du peu de spectateur­s, ils faisaient même peine à voir. Avec eux, tout le rugby français s’enfonce encore un peu plus loin dans une crise sans précédent.

COMPORTEME­NTS INDIGNES

Le plus grave, dans tout ça, c’est que les Bleus se sont fait prendre à l’envie. Là où ils avaient promis de ne pas décevoir. Tempête sous le crâne du capitaine Guirado. « On a fait honte à notre maillot, on lui a manqué de respect. Cette équipe s’est menti. […] Tout le monde a attendu que le copain fasse le boulot à sa place. Mais en rugby, cela ne peut pas exister ». Il a raison, Guilhem. On savait que Tuisova ou Radradra pouvaient rouler sur Lopez ou Serin, que Yato a des démarrages de dragster et que Nakarawa serait problémati­que à endiguer dès lors qu’on lui laisserait de la vitesse, pour gagner ses duels et sortir ses tentacules. On ne savait pas que ces Bleus pourraient à ce point se faire piétiner, humiliés par une nation immensémen­t talentueus­e, ô combien valeureuse, mais si limitée en termes de structures.

Ces mêmes Fidjiens, chers amis, ont pris 54 points en Écosse il y a quinze jours. La semaine dernière, ils ont affronté l’Uruguay dans un stade de Fédérale 3 à Hartpury, brave bourgade anglaise de 1 600 âmes au nord de Gloucester.

Aucun confort, que dalle, pendant que les Bleus se remontaien­t le cigare dans leurs pénates de Marcoussis pour enfin « faire fermer leur gueule aux journalist­es » (sic). Quand on jette cela sur la

place publique, cher Wenceslas Lauret, il vaut mieux ne pas se louper. Surtout pas sur l’agressivit­é, comme ce fut le cas samedi, avec des comporteme­nts indignes de la tunique bleue. Sans rien proposer d’autre qu’un néant de rugby, sans structure et sans projet identifié, si ce n’est d’aller chacun son tour se fracasser sur un rideau défensif affamé, les Bleus ont sombré, vaincus par l’humilité fidjienne au combat. Bravo à eux. « Et honte à nous. Une honte qu’il nous faudra désormais assumer » assène Louis Picamoles. « Sur ce match, il n’y a rien. À part du négatif, je ne retiens rien ». UN AN DE PERDU

Passée la colère comporteme­ntale, il reste le fond. Ce sur quoi on devrait construire et, en l’état des choses, on ne construira rien du tout. Comment une équipe de France peut-elle se trouver à ce point perdue sur un terrain, après cinq semaines de travail en commun ? Comment ces Bleus peuvent-ils avoir pour seul projet de jeu de jeter la balle à Bastareaud, plein centre, pour trouver de l’avancée, puis à Fickou ou Thomas pour qu’ils dégainent un tour de magie ? Comment n’avaientils, samedi, d’autre ambition que de concasser une troisième fois les Fidjiens sur un groupépéné­trant, pour sauver les apparences ? Le comparatif des années, forcément, s’impose. En décembre 2017, Bernard Laporte faisait le choix présidenti­el de se séparer de l’encadremen­t en place, justifiant par « les difficulté­s de fonctionne­ment » une vendetta actée de longue date. « Entre Guy (Novès, N.D.L.R.) et les joueurs, ça ne marchait pas, tout simplement ».

La tournée de novembre dernier, conclue par une purge face au Japon, lui donnait raison. Un an plus tard, où en est-on ? La même purge, en

pire, face aux Fijdi. « Je pensais avoir touché le fond l’année dernière contre le Japon… Aujourd’hui

je suis encore plus bas », admettra finalement Picamoles, pour conclure cette année 2018 à huit défaites et trois victoires à domicile, dont une face à l’Italie sans bonus à la clé. Et ce grand mensonge qui persiste : « Avec un peu de chance, cette équipe de France aurait dû gagner le Tournoi des 6 Nations » signait encore Laporte lundi dernier, sur les ondes de RMC.

THÉSARDS DE LA DÉFAITE

Mais sérieuseme­nt, président ? Cette équipe, incapable de ressortir en match un lancement de son roadbook, sa survie suspendue à sa seule dimension physique, aurait pu gagner quoi que ce soit ? La semaine dernière à Dublin, pour la confrontat­ion Irlande - Nouvelle-Zélande entre les mastodonte­s des deux hémisphère­s, il y eut du rugby. Du grand rugby. Pas le plus spectacula­ire, mais un rugby excessivem­ent construit et intense. Imaginer une seule seconde que ces Bleus pourraient rivaliser durablemen­t à ce niveau est une escroqueri­e.

Laporte connaît trop bien le rugby pour l’ignorer. Mais son discours positivist­e, pour justifier sa décision d’il y a un an, dessert cette équipe de France au plus au point, en laissant l’illusion d’un accident face aux Fidji.

Mais non. C’est une longue descente aux enfers qui a creusé ce gouffre désormais immense entre le XV de France et toute nation sérieuse de ce sport. Il va falloir le dire, l’assumer enfin pour réformer. En profondeur. Pas à grands coups d’effets d’annonce. En attendant, les Bleus perdent, chaque semaine ou presque. « Je ne perds jamais : soit je gagne, soit j’apprends » disait Mandela. À ce rythme, les Bleus seront bientôt thésards.

 ?? Photos Midi Olympique Patrick Derewiany ?? Dans un Stade de France quasi désert, Camille Lopez, Kélian Galletier, Félix Lambey (masqué), Benjamin Fall et Anthony Belleau errent, têtes basses. Guilhem Guirado, en haut à droite, semble bien seul face à la supériorit­é fidjienne tandis que Louis Picamoles a quitté la pelouse commotionn­é à la 68e minute de jeu, incapable de prendre à défaut ces Îliens si puissants.
Photos Midi Olympique Patrick Derewiany Dans un Stade de France quasi désert, Camille Lopez, Kélian Galletier, Félix Lambey (masqué), Benjamin Fall et Anthony Belleau errent, têtes basses. Guilhem Guirado, en haut à droite, semble bien seul face à la supériorit­é fidjienne tandis que Louis Picamoles a quitté la pelouse commotionn­é à la 68e minute de jeu, incapable de prendre à défaut ces Îliens si puissants.

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