Décès de Nicolas Chauvin
Le rugby français en deuil
Les faillites du XV de France, le titre de Castres et l’avènement d’une nouvelle génération championne du monde junior passeront bien après. 2018, pour le rugby français, sera une année noire. Sur les terrains, mais pourtant bien loin des considérations sportives. Dès son entame, il était dit que cette année celle des blessures graves. On ne parle plus de ligaments arrachés, de chevilles fracturées ou d’épaules disloquées. On parle désormais de vie ou de mort. Dès le 7 janvier, la France du rugby se fige : sur la pelouse du Racing 92, Samuel Ezeala (18 ans) gît inerte, après un choc avec Virimi Vakatawa. La scène glace les spectateurs. Le jeune Clermontois (18 ans) est finalement évacué vers l’hôpital le plus proche. En bonne santé. Plus de peur de que mal.
L’échéance est repoussée. Mais ce que tout le monde craignait, au regard de la violence toujours plus grande de ce sport qui consomme désormais les corps, a fini par arriver. Non pas « un mort sur un terrain », mais trois, aux décès directement consécutifs à des matchs de rugby. « Si le lien entre le choc subi sur le terrain et le décès est établi, ce sera un tournant dans l’histoire de notre sport » concédait Bernard Dusfour, président de la commission médicale de la LNR, en août dernier en attendant les résultats de l’autopsie du jeune aurillacois Louis Fajfrowski. Nous y voilà. Le rugby est à un tournant de son histoire.
ADRIEN DESCRULHES, LE DÉCLENCHEUR
Fin mai 2018, le rugby français sort de ses barrages de Top 14, s’ouvre vers les demies de Lyon et n’a la tête qu’à la fête. Ce sera sans Clermont, évincé des phases finales pour la première fois depuis longtemps. Dans la grande banlieue de la cité auvergnate, un autre enjeu du rugby se joue pourtant. Autrement plus important, celui-ci. Adrien Descrulhes, jeune joueur de Billom (63), est décédé chez lui, dans son lit, au soir d’un match avec son équipe de juniors. Adrien avait 17 ans et, lors de sa rencontre du samedi après-midi, il avait subi un choc à la tête le contraignant à quitter la pelouse. Dans la soirée, le jeune homme (17 ans) s’était plaint de maux de tête, avant de quitter prématurément la troisième mi-temps de son équipe pour rentrer chez lui. Où il mourut.
Pour le rugby, l’alarme est sérieuse. Elle devient dramatique lorsque l’autopsie confirme les craintes. « C’est bien une blessure à la tête qui serait à l’origine du décès. Les investigations vont être élargies pour comprendre exactement ce qui s’est passé », selon les mots de Laure Lehugeur, procureur-adjointe.
Le rugby a fait un mort. Ce n’est pas une première historique. C’est en revanche le déclencheur d’une série dramatique. La prise de conscience qu’il faudrait franche et assumée se heurte pourtant encore à la théorie de l’accident, regrettable mais ponctuel.
LOUIS FAJFROWSKI, LE CHOC
Vendredi 10 août, en début de soirée. Les téléphones s’affolent : « T’es au courant ? Un joueur d’Aurillac serait mort sur le terrain. » L’information fait rapidement le tour du petit monde du rugby et se confirme sans attendre : Louis Fajfrowski, ailier de 21 ans formé à Montpellier et arrivé dans le Cantal deux ans plus tôt, a succombé dans les vestiaires de Jean-Alric à un troisième arrêt cardiaque, duquel les sauveteurs n’ont jamais réussi à l’extirper.
Est-ce directement lié au rugby ? Une première autopsie ne tranche pas la question. Une seconde conclut à un traumatisme thoracique « responsable d’une commotion cardiaque avec accélération du rythme qui a entraîné son décès », selon le procureur d’Aurillac. Le vendredi de son décès, Louis Fajfrowski disputait une rencontre amicale avec les jeunes de son club face à Rodez, club de Fédérale 1. Il avait subi un plaquage violent mais réglementaire, au niveau du thorax, qui avait provoqué chez lui un premier malaise, sur le terrain. Avant d’être remplacé et de quitter la pelouse sur ses jambes pour rejoindre les vestiaires. Où il succomba.
Difficile, toutefois, de ne pas établir un lien direct entre le décès et ce plaquage asséné, suffisamment violent pour que Fajfrowski ait « les yeux révulsés et les mâchoires serrées. La priorité des médecins était de lui faire desserrer les mâchoires, pour qu’il n’avale pas sa langue » racontera l’arbitre du match, Jérémy Rozier, le lendemain du match. Le rugby tue ses enfants. C’est désormais une certitude.