Midi Olympique

Silence, on meurt !

ENTRE L’ACCIDENT DE CE DIMANCHE ET L’ANNONCE DU DÉCÈS DE NICOLAS CHAUVIN CE MERCREDI SOIR SE SONT ÉCOULÉES SOIXANTE-DOUZE HEURES CHARGÉES D’ÉMOTION. UN SENTIMENT PARTAGÉ PAR TOUTE LA FAMILLE DU RUGBY.

- Par Arnaud BEURDELEY (avec Léo FAURE) arnaud.beurdeley@midi-olympique.fr

C’est comme toujours « un geste rude, un plaquage rugueux mais dans la règle ». Un petit rien qui crée un vide sans fin. Dimanche, sur la pelouse d’André-Moga, Nicolas Chauvin jouait son premier match avec les espoirs de son nouveau club, le Stade français, qu’il a rejoint cet été. Ce devait être une fête. Tout a tourné au drame, après cinq minutes de jeu seulement.Trouvé sur une relance de jeu, le troisième ligne aile subit la pression défensive des jeunes de l’UBB. Deux plaqueurs l’impactent avec vitesse, au moment de sa prise de balle, alors qu’il baisse la tête, comme pour mieux se recroquevi­ller et se protéger. Selon les témoins, c’est effectivem­ent rugueux, dur, violent, mais rien d’illégal selon les règles de ce sport. Une action comme mille autres, vécues chaque week-end de rugby, à les tous niveaux. Sauf que Nicolas Chauvin reste au sol. « J’arrive dans la seconde qui suit sur la zone de plaquage. Je vois tout de suite que ça ne va pas », témoigne le lendemain Adrien Marbot, l’arbitre de ce match, sur le site de RMC Sport. Sur le choc, Nicolas a immédiatem­ent perdu connaissan­ce. Une situation d’urgence, face à laquelle les arbitres ont été formés. Une situation rare, aussi, à laquelle personne n’est jamais vraiment préparé.

ÉVACUÉ AU CHU DE BORDEAUX

Immédiatem­ent, le jeu s’arrête. Les médecins parisiens investisse­nt la pelouse et se précipiten­t au chevet de Nicolas. Ils lui parlent. Sans réponse. L’arbitre et quelques coéquipier­s font de même. Sans réponse… La situation s’empire. « On s’est rendu compte que son pouls était de moins en moins perceptibl­e, donc le médecin a préféré anticiper et a fait venir le défibrilla­teur, au cas où. Au bout d’un moment, qu’il n’y avait plus de pouls, poursuit Adrien Marbot. Donc, s’est lancée la suite avec le massage cardiaque, la pose du défibrilla­teur, jusqu’à ce que les secours arrivent. »

Après dix-huit minutes de massage, le pouls de Nicolas Chauvin est revenu. Toujours faible, mais bien là. Les secours sont arrivés et le jeune joueur est évacué vers le CHU de Bordeaux, où il est admis dans le service de réanimatio­n chirurgica­le du professeur Sztark. Il est opéré en urgence d’une fracture de la deuxième vertèbre cervicale. Dans les couloirs du CHU Pellegrin, quelques dirigeants attendent et font les cent pas. Les parents de Nicolas, avertis par les responsabl­es parisiens, arrivent à son chevet dans la soirée. Le directeur de la formation du clu, Pascal Papé, également. Personne ne s’exprime. Xavier Perron, un des entraîneur­s des espoirs, rallie Bordeaux dès lundi : « Je ne peux rien vous dire. Il y a le secret médical. Le club va publier un communiqué en fin de journée. »

Dans la soirée de lundi, ledit communiqué tombe. Laconique et déjà inquiétant. « Suite à l’accident survenu hier lors du match espoirs opposant Paris à Bordeaux-Bègles, le jeune troisième ligne du Stade français Nicolas Chauvin a été opéré en urgence d’une fracture de la deuxième cervicale au CHU Pellegrin de Bordeaux. Nicolas est actuelleme­nt en réanimatio­n, dans un état grave. Tous les membres du club ont une pensée forte pour Nicolas et sa famille et leur adressent tout leur soutien. Les équipes dirigeante­s de l’associatio­n avec Pascal Papé se relaient sur place auprès de la famille afin de lui apporter tout le réconfort possible.

CELLULE PSYCHOLOGI­QUE

À Paris, dans les couloirs de Jean-Bouin, l’onde de choc s’est propagée. Une cellule de crise est mise en place.Tous les acteurs du club sont mobilisés pour gérer autant que possible une situation à laquelle personne n’est préparée. La priorité est aussi d’accompagne­r au mieux les partenaire­s de Nicolas Chauvin, ceux qui ont vécu au plus près l’accident. Dans la soirée de lundi, une cellule psychologi­que, mise en place à l’initiative de Pascal Papé et d’Alexis Savigny (médecin du club), reçoit les joueurs de l’équipe espoir dans les entrailles de Jean-Bouin. « Les jeunes, mais aussi les encadrants, ont subi un véritable traumatism­e », raconte Mériem Salmi, psychologu­e du sport, qui est intervenue à la demande de Papé, avec les médecins du club les docteurs Savigny et Serrano et Aurélie Yahiaoui, psychologu­e attachée au

club. « Nous les avons réunis pour qu’ils puissent rapidement exprimer leur ressenti. C’est extrêmemen­t important pour soulager les joueurs et limiter l’impact psychologi­que de l’événement. D’autant plus qu’il a été brutal, inattendu et très fort sur le plan émotionnel. Tout le monde était touché, même ceux qui n’étaient pas présents le jour de l’accident. Ils étaient en état de choc avec des manifestat­ions différente­s, en fonction de leur personnali­té. Beaucoup pleuraient, beaucoup étaient livides. Le principe, dans ce genre de situation, c’est de permettre à ceux qui en ressentent le besoin de parler, de se décharger. Et puis, on observe, on regarde les comporteme­nts, on note les évolutions. Certains n’ont pas du tout parlé. Nous leur avons dit d’exprimer leur ressenti mais aussi de pleurer, s’ils en ressentaie­nt le besoin. Les rugbymen sont des durs au mal. Certains ne s’autorisent pas à pleurer. Au rugby, pleurer, c’est passer pour une « chochotte ». Non, pleurer, ça fait du bien ; c’est humain. » Et

Mérien Salmi d’ajouter : « Beaucoup ont demandé ce qu’ils pouvaient faire, certains ont fait part de leur impuissanc­e. Et d’autres culpabilis­ent. Cette culpabilit­é, on la retrouve systématiq­uement en pareil cas. Qu’aurait-on bien pu faire pour éviter un tel accident ? »

Les questions sur l’état de santé de Nicolas Chauvin ont été nombreuses. Légitimes. « Nous leur avons livré la situation médicale de Nicolas telle que nous la connaissio­ns, reprend Mériem Salmi, qui durant treize ans a dirigé la cellule chargée d’assurer le suivi psychologi­que des athlètes de l’INSEP. Évidemment, certains ont posé la question de savoir si oui ou non il allait mourir. Nous n’avons pas menti aux joueurs. Nous leur avons dit que nous ne pouvions pas leur répondre, que même les médecins ne pouvaient pas se prononcer et que les deux hypothèses devaient être malheureus­ement envisagées. » Depuis, les jeunes espoirs du club sont entourés en permanence, protégés. « C’est une famille le Stade français, témoigne Jean-Baptiste Lafond, l’ancien arrière internatio­nal (37 sélections) dont le fils Baptiste était sur la pelouse dimanche à Bordeaux avec Nicolas Chauvin. Mon fils pleure, ma femme pleure et moi je suis en colère. Cette catégorie « Espoir », c’est une bouffonner­ie, une pantalonna­de. Il y a des pros, parfois, face à des gamins de 18 ou 19 ans. Cet accident est survenu sur le terrain (stade Moga) qui a fait roi Bernard Laporte. Si chacun ne prend pas ses responsabi­lités, si on n’interdit pas le plaquage au dessus du bassin, si on ne protège pas plus les joueurs, c’est la fin du rugby. » Évidemment, le temps des questions et de la réflexion viendra… Mais la colère s’entend.

HOMMAGE CE VENDREDI

Mardi, le repas de Noël des joueurs et de leurs familles a été annulé. Les Soldats roses n’avaient pas le coeur à la fête. Ni à répondre aux nombreuses interrogat­ions. À 14 h 57, un mail du service communicat­ion était adressé aux médias pour indiquer l’annulation de l’entraîneme­nt ouvert au public et aux journalist­es. Mercredi soir, dans un lieu « branché » de la capitale, s’est tenue la soirée de lancement du calendrier des Dieux du stade. Mais un peu plus tôt, un communiqué du club ne faisait qu’accroître le sentiment d’une issue tragique. « Il a été décidé avec la direction du club que le Stade français Paris ne serait pas représenté lors de la soirée « DIEVX DV STADE » qui se tient ce soir, et qu’aucun joueur ni staff ne serait présent. Nous vous remercions par ailleurs de ne pas taguer le Stade Français Paris dans les messages que vous pourriez diffuser au cours de cette soirée. » Surtout, ne pas associer l’image du club à une soirée qui se voulait festive. Logique, face au drame…

À Bordeaux, Nicolas Chauvin a reçu quelques visites mercredi : certains de ses partenaire­s jouant avec lui dans le championna­t universita­ire. Mais aussi son entraîneur à la Fac, Benoît Larousse (coach des avants de Massy). Un dernier au revoir…

20 h 15, mercredi : le Stade français, sur son site internet, annonce le décès de Nicolas Chauvin, « victime d’un traumatism­e cervical qui a occasionné un arrêt cardiaque et une anoxie cérébrale ».

Les réactions émues et attristées inondent les réseaux sociaux. Dans les rangs du Stade français, le silence s’est imposé. Total et assourdiss­ant. Aucune prise de parole officielle.Vers 22 heures, l’ensemble des joueurs, des staffs administra­tifs, sportifs et médical, a reçu un mail de la part de Laureen David, directrice marketing et communicat­ion, pour annoncer la tenue de deux réunions, jeudi.

D’abord à 11 heures pour le staff administra­tif avec Fabien Grobon, le directeur général. Ensuite, « dans la journée », pour le staff sportif avec Pascal Papé. Le courriel se termine par un message sans équivoque : aucun membre du club n’est autorisé à s’exprimer dans la presse. En silence, c’est tout un club et une famille qui pleurent la mort d’un des siens. Un hommage lui sera rendue en marge de la rencontre Stade français - Ospreys ce vendredi soir. ■

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