Midi Olympique

Le rugby lui dit au revoir

PENDANT HUIT ANNÉES (1989-1997), HENRI NAYROU A ÉTÉ LE RÉDACTEUR EN CHEF DE JACQUES VERDIER, ALORS JOURNALIST­E PUIS GRAND REPORTER. IL LE RACONTE AUJOURD’HUI COMME ON OUVRE LE LIVRE DE SES HISTOIRES : PUDIQUEMEN­T ET POURTANT SI BIENVEILLA­NT.

- Par Henri NAYROU

15 h 44, ce samedi de grisaille, de jaune, de noir et de tristesse. De l’autre côté du portable, la voix chevrotant­e entrecoupé­e de silences d’Emmanuel Massicard, le boss du Midol depuis presque un an : « C’est Jacques… Il aurait fait un infarctus à Rouede. » 15 h 46, re-Manu :

« Il est décédé, Jacques… »

La sentence est d’une brutalité inouïe, les images défilent. Celles d’un grand garçon portant beau arrivant au Midol au tout début des années 80 avec ses lettres de noblesse. Présenté autrement, ça dit ceci : troisième ligne de SaintGaude­ns, un bon d’entrée judicieux vis-à-vis du Commingeoi­s Raymond Sautet, le boss de l’époque (et mon boss tout court) ; ami avec nombre de mes amis ; tous pour l’attaque à la sortie des vestiaires, pour le rugby-champagne mais à condition qu’il y ait du champagne ; pour les lettres plus que les chiffres ; pour les nobles sentiments et les mots ciselés mais tout cela, on l’a su après de manière flamboyant­e. Aujourd’hui, c’est si loin et tellement dérisoire. Le Midol avait fasciné Jacques et Verdier a marqué le Midol. On avait très vite admiré sa plume brillante, toujours marquée de coups de coeur qui équivalaie­nt à des coups de gueule pour ne pas dire des coups de sang, ce qui lui avait valu de ferrailler dur avec nombre de joueurs et non des moindres. J’avais été forcément un témoin concerné par ces chicayas puisque j’en avais moi aussi connu les affres et mesuré les limites, avec, je le concède, un peu plus de diplomatie que Jacques, plus porté sur l’affect. Pour tout vous dire, le jeune Verdier, flamberge au vent, n’était pas du genre à dire « Passez moi la rhubarbe, je vous passerai le séné. »

C’était le temps où, grand reporter faisant joliment chanter les mots pour enchanter le lecteur, la salle des machines du Midol - celle qu’aucun lecteur n’a jamais vue - ne faisait point flipper Jacques. Comme j’étais moi aussi passé par ces chemins-là avant de prendre d’autres responsabi­lités, je m’étais évertué à lui dire que la constructi­on du journal pouvait être une au-

tre facette valorisant­e de notre métier. Jacques avait mis du temps à l’admettre mais, commingeoi­s contre ariégeois, il avait fini par le comprendre. Bref, quand début mai 1997, je suis parti du Midol pour le Palais-Bourbon, Monsieur Jacques Verdier était prêt, gaillard pour piloter une rédaction, insuffler une autre forme de dynamisme, imprimer sa patte par sa plume et sa vision. Surtout, pour préparer le Midi Olympique du futur.

Comme Jean-Michel Baylet m’avait demandé de rester jusqu’en 2002 dans le sérail non opérationn­el du journal, j’ai alors découvert alors un tout autre Jacques Verdier que celui qui y avait débarqué dixsept ans auparavant. Non seulement, il était reconnu par la rédaction pour son pur talent et ses fermes conviction­s, mais il excellait aussi dans la farandole qui n’est jamais citée dans le viatique d’un chef mais qui vous soude une équipe sans dire un mot.

Rédacteur en chef, puis directeur délégué de plain pied au coeur du Groupe Dépêche, il m’avait alors bluffé par sa vision, son entregent, son autorité et, par-dessus tout, sa vue panoramiqu­e du business, loin, très loin du chien fou des années 80.

Le dimanche 9 décembre précédant ce footing de malheur, nous avions déjeuné côte-àcôte au club-house du stade de Saint-Gaudens, pour des retrouvail­les d’anciens avant un match toujours chargé de soufre, Saint-Gaudens — SaintGiron­s, en Fédérale 3. Je l’avais questionné sur ce que j’ai connu, la vie d’après-Midol. Jacques, rayonnant de sérénité et rigolard en évoquant les frasques de Jean-Etienne ou de Descouens, me disait qu’il était parfaiteme­nt heureux de publier ses rubriques dans La Dépêche et le Midol, de caler les dernières feuilles de son dernier roman et d’attaquer un nouveau projet, un bouquin sur le rugby. Ce samedi hélas, la camarde, cette salope, l’a fauché en plein footing dans son havre de paix de Rouede, village du Comminges entre « Saint-Gau » et « Saint-Gi ». Nous pensons à Caroline, à Guillaume que j’ai fait sauter sur mes genoux, à François qui était en Argentine, à Théo, à tous ceux qui aimaient Jacques et aussi à ceux qui ne l’aimaient pas mais qui le respectaie­nt. Nous pensons à ses passions joyeuses et à sa brisure d’un père parti trop tôt. Nous pensons à sa prestance, à sa plume, à son affect, à sa trace sur le papier jaune, à sa vie intense et à sa mort injuste. Tchao Jacques. Quelqu’un a dit un jour que la mort n’est qu’un mot posé sur une absence. Làhaut ou je ne sais où, tu vas probableme­nt refaire le monde égrillard avec tes compagnons de rêves fous, les Rozès, Blondin, Haedens et tous les monstres que tu as adorés. Peutêtre seras-tu heureux. Et nous, en cette basse terre, nous sommes malheureux.

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