Midi Olympique

LE CAVALIER ARGENTIN

- Par Olivier MARGOT

En cette semaine de deuil et de chaos, je me suis rappelé ce beau texte de Charles Péguy lu aux obsèques de Robert Paparembor­de le 21 avril 2001, et particuliè­rement cette forte propositio­n : « Ne prenez pas un air solennel et triste/Continuez de rire de ce qui nous faisait rire ensemble ». En cette période mortifère pour le rugby, il m’a paru salvateur d’appeler à la rescousse ce qui fait la grandeur du « noble jeu », et d’abord l’intelligen­ce en mouvement, que celle-ci soit individuel­le ou collective.

Il existe dans le rugby français un joueur éblouissan­t et discret, un ailier de grande race, venu de loin tel un pilote de l’Aéropostal­e, l’Argentin du Racing Juan Imhoff. Je me suis concentré sur son jeu il y a huit jours, lors de l’étourdissa­nt Racing- Leicester (36-26). J’ai vu le plaisir d’entreprend­re, l’intelligen­ce des situations, la vitesse du corps et de l’esprit. Même cette faute de goût, lorsqu’il a feint d’avoir marqué, m’a rassuré : cet homme n’est pas parfait.

Depuis la fin des années cinquante, j’ai vu bien des ailiers, très différents dans l’expression, de Dupuy à Gourdon, de Gachassin à Clerc, de Darrouy à Lagisquet, de Duprat à Saint-André, d’Averous à Bernat-Salles, de Bonneval à Ntamack, de Campaes à Dominici, de Gerald Davies à John Kirwan, Jonah Lomu étant hors-concours. Et Juan Imhoff est décidément l’un de mes préférés.

Pierre Berbizier, qui l’a fait venir au Racing, se souvient : « J’ai d’abord connu le père, José Luis, lors de la tournée de l’équipe de France en Argentine, en 1992. Il était l’entraîneur des Pumas et il fonctionna­it sur la rigueur et l’exigence. Ces deux maîtres mots, son fils Juan les a faits siens, assez loin de la réputation fantasque souvent accolée aux ailiers ». L’intelligen­ce de Juan Imhoff éclate dans sa capacité à lire le jeu, d’ailleurs il intercepte souvent ; dans les lancements, les « breaks », la défense ; dans sa faculté d’adaptation aussi : rappelons-nous son passage à la mêlée lors de la finale du championna­t 2016 à Barcelone ; dans sa technique également, qui est une science du rugby : surgissant à l’intérieur de son ouvreur Rémy Talès, en demi-finale contre Castres la saison dernière, il avait percé plein coeur et, au bout de sa chevauchée, était ressorti sur l’extérieur, la meilleure mais la plus difficile des solutions. Essai mémorable.

À la différence de bien des ailiers dits « physiques » d’aujourd’hui, Juan Imhoff est un ailier-athlète. Il possède la capacité d’accélérer à l’approche du contact et même au contact, là où tant d’autres décélèrent, qu’il soit en duel ou en plein trafic. Cette maîtrise le rend difficile à freiner. Et quelle allure, quelle élégance ! Son port altier impression­ne, dans l’alliance de l’esthétique et de l’efficacité. Pierre Berbizier ajoute : « Tout ce que fait ou entreprend Juan est utile. Il a toujours été un gros travailleu­r, toutefois je l’ai connu un peu « chien fou ». Aujourd’hui sa maturité l’aide à faire la différence. Il me rappelle David Campese, l’ailier ou arrière australien, à la fois finisseur et créateur. Juan Imhoff a ce côté électrique qui était la marque de Campese ».

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