Midi Olympique

« Se regrouper pour dénoncer ce qui ne va pas »

EMMANUELLE BELLANGER LA MAMAN DU JOUEUR VICTOR COLIN, VICTIME D’UN GRAVE ACCIDENT AU DÉBUT DE L’ANNÉE 2018, PREND LA PAROLE POUR DÉNONCER UN ENVIRONNEM­ENT ET UN ENCADREMEN­T TROP LAXISTES.

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Propos recueillis par Guillaume CYPRIEN

Il y a un peu moins d’un an, au mois de janvier 2018 lors d’un match de Fédérale 3, votre fils Victor avait été victime d’un traumatism­e crânien très grave et réchappé de peu à la mort. Y a-t-il des raisons objectives à sa survie ?

Ma rapidité d’interventi­on. J’étais là. J’ai tout de suite compris. Je l’ai emmené immédiatem­ent à l’hôpital avec ma voiture. C’est ce qui nous a sauvés. C’est simple : si plus de trois heures se passent entre le trauma et l’opération, les chances de survie sont nulles. Victor s’est fait opérer deux heures après son accident. Si nous avions attendu les pompiers, il serait mort.

De quelle façon avez-vous vécu le décès de Nicolas Chauvin, le jeune espoir du Stade français ?

Nicolas Chauvin est le troisième cette année à mourir en jouant au rugby. À chaque fois, je me dis que c’est moi qui ai eu de la chance. J’ai encore Victor près de moi.

Avez-vous d’autres enfants qui jouent au rugby ?

Oui, son petit frère Raphaël. Il a dix ans. Il avait arrêté après l’accident, puis il avait voulu reprendre quelques mois après. Il a repris une licence cette année.

Avez-vous peur pour lui ?

Non, pas avec les moins de dix ans. C’est à partir des cadets et des juniors que les risques d’accident deviennent réels. Pour l’instant, il joue et il s’amuse. Mais toute ma famille a crié quand il a repris.

Dans six ans, il sera cadet. Si le rugby est

sa passion, il jouera encore. Vous projetezvo­us sur cette période ?

Je ne le laisserai pas jouer à quinze. Je l’orienterai vers le rugby à toucher ou le rugby à 7. J’aime le rugby. Je comprends leur passion. Mais quand j’entends Victor me dire qu’il veut reprendre… Bon, dans son cas, c’est impossible. C’est d’ailleurs très difficile pour lui. Il aimait tellement ça. Je n’avais jamais eu peur pour lui avant. Je crois qu’il est temps que des choses se mettent en place.

Lesquelles ?

Mon fils me dirait que j’ai tort, mais on ne peut plus laisser jouer les uns contre les autres des joueurs aux gabarits disparates, et qui parfois ne bénéficien­t pas de la même préparatio­n. Une harmonisat­ion des opposition­s est nécessaire. Le rugby est devenu tellement violent... Sur un bord de touche, vous entendez des chocs terribles. Dans les rucks, vous voyez maintenant des gamins qui se rentrent dedans sans que ni l’un ni l’autre ne porte le ballon. Ce sport était tellement différent auparavant.

Avez-vous rencontré les parents dont les enfants sont morts sur le terrain ?

Non. Il n’y a pas de lien entre nous. La fédération fait tout pour que l’on ne se rencontre pas. Parce que, si nous commençons à nous parler, nous allons commencer à échanger nos expérience­s et rapidement, nous allons nous rendre compte que le rugby n’est pas encadré comme il le faut. Les rugbymen sont assurés comme des danseuses.

Pourriez-vous détailler votre propos ?

Que nous donne l’assurance de la fédération ? Une couverture des frais médicaux ? Nous sommes en France, elle est automatiqu­e. L’adaptation du véhicule ? Victor n’en possède pas. Celle du logement ? Victor peut grimper deux étages, cela ne lui sert

à rien. La perte financière ? Victor est étudiant, il ne gagne pas d’argent. Mais la perte de la vie scolaire n’est pas prise en compte. Victor a subi un préjudice physique esthétique qui n’est pas pris en compte. Il est devenu épileptiqu­e. Son côté gauche est handicapé, on constate aussi un ralentisse­ment cognitif. J’ai arrêté de travailler et par ricochet, notre situation familiale a été impactée. Sa soeur a arrêté de travailler et elle a fait une dépression. Rien de tout cela n’est pris en charge. D’autres sports de combat sont bien mieux assurés que le rugby. Plus nous allons nous parler avec les autres, plus les incohérenc­es seront mises à jour. Mais on préfère laisser chacun d’entre nous dans son petit monde.

Comptez-vous faire de cette problémati­que un combat ?

Mon avocate me pousse à créer une associatio­n des victimes du rugby. Je l’envisage sérieuseme­nt. Il faut se regrouper pour dénoncer les choses qui ne vont pas. J’ai évoqué la problémati­que des assurances. Nous pourrions aussi évoquer les risques à venir en matière de santé. Les Alzheimer précoces, par exemple, comme on les constate en boxe. Le rugby ne peut plus fermer les yeux.

Avez-vous été soutenu par le monde du rugby ?

Notre club de Rueil-Malmaison a été formidable. La ligue d’Ile-de-France et son président Florian Grill également.

Comment se porte Victor aujourd’hui ?

Ça va bien. Depuis quinze jours, il a repris ses études en quatrième année de commerce. Il doit suivre un tiers-temps aménagé. Il ne peut pas soutenir des horaires et un rythme de travail classiques. Il se fatigue vite. Mais ça va. Nous avons une chance inouïe.

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