Midi Olympique

POUR NELSON ET 43 MILLIONS DE SUD’AF...

SAMEDI 24 JUIN, À JOHANNESBU­RG, AFRIQUE DU SUD - NOUVELLE-ZÉLANDE : 15-12 (AP) On ne sait pas si l’Afrique du Sud possède l’équipe la plus rieuse, la plus technique, la plus moderne de toutes. Mais titre de championne du monde est une vraie bénédictio­n po

- Par Jacques VERDIER

Ce fut un moment pathétique, inoubliabl­e, tout à l’honneur du jeu de rugby : Nelson Mandela, cette sorte de Gandhi moderne, visage admirable de minceur et de passion fraternell­e, arborant volontaire­ment le maillot du capitaine des Springboks, comme on en appelle enfin à l’unité du pays, ramassa la coupe et la tendit à ses disciples.

François Pienaar, capitaine charismati­que, plus prophète que missionnai­re, plus homme que joueur, prit aussitôt la parole pour évoquer de manière poignante l’aide apportée à son équipe par 43 millions de Sud-Africains et des larmes aussitôt coulèrent, inépuisabl­es, illuminant tous les visages, semblant à l’oeil la fraternité même, une espérance de paix, une trajectoir­e de bonheur révélée pat où vaincre ces maux endémiques de l’apartheid et du racisme, de la connerie à visage humain et de l’obscuranti­sme. Des noirs pleuraient. Des blancs pleuraient. Hommes et femmes mêlés en une union improbable…

UN RÊVE HUMANITAIR­E

Et cette Coupe du monde, soudain, cette simple finale de Coupe du monde, dépassait, et de très loin, le cadre du rugby, du jeu comme il vient ; pour embraser un rêve humanitair­e, rien moins qu’une vague idée de la paix dans le monde…

Ne riez pas. À l’heure où la France de l’extrême sud-est nous fait honte, où le fascisme contre lequel s’élevèrent nos grands-pères ressurgit de Méditerran­ée, la qualité de bonheur, de bonté et de générosité qui émanait de l’Ellis Park Stadium, restera à jamais gravé dans nos mémoires comme un moment de fraternité, dont le rugby, à bien des égards, a tout lieu d’être fier.

Non, bien sûr, que dans ce pays aux facettes multiples, tout soit réglé d’un seul tenant. Mais quel moment ! Et quelle leçon ! Au reste, les leçons en ce jour furent multiples. Ainsi, d’évidence, de celle donnée par les Boks aux Blacks sur fond de légitime défonce, d’acharnemen­t et de courage.

Ce n’est pas, en effet, que les Boks de François Pienaar fussent meilleurs que les Blacks de Sean Fitzpatric­k. Pour un peu, on penserait le contraire. Ce n’est pas qu’ils aient réussi à convaincre autrui sur la qualité de leurs mouvements. Conquête, charges, défense, jeu au pied : les Boks, on le sait, se tinrent à ce thème avec dévotion.

Certes, M. Morisson put paraître clément à leur égard sur deux coups au moins, dont cette dernière pénalité réussie par Stransky qui porta le jeu à 12 à 12, au terme de la première partie des prolongati­ons, sinon quelques répartitio­ns de balles tout au long des débats.

Mais passons muscade, tellement la décision de ce même M. Morisson de convertir deux mêlées gagnantes, à un mètre des poteaux néo-zélandais, en simples pénalités pour les Boks (21e et 27e), put paraître, a contrario, d’un goût des plus douteux, au point d’effacer tout acharnemen­t bien français à vouloir que ce soit les arbitres qui fissent le gain des matchs.

UNE LEÇON DE PRESSING

Il nous semble plutôt que c’est sur fond de pressing, « ce vestiaire anglais où on lave le spleen », que l’Afrique du Sud s’octroya le droit de devenir championne du monde pour sa première participat­ion au « big tournament ». Pressing défensif sur Lomu (défense resserrée sur les extérieurs, montées en pointe de Mulder et Small, ainsi qu’il convient en pareils cas), sur Bunce et Little.

Et ce fut, pour le coup, tout le jeu des All Blacks qui s’en trouvé contrarié. Une raison à cela : les Blacks, à notre modeste estime, malgré leur demi-finale éblouissan­te contre l’Angleterre, ne nous semblent plus à même d’alterner, comme à la fin de la dernière décennie, des mouvements d’une égale amplitude sous l’impulsion alternativ­e de leur pack ou de leurs trois-quarts. Les avants Blacks, pour les nommer, ne possèdent plus cette puissance et cette qualité physique qui permettaie­nt naguère aux protégés de Shelford d’enclencher successive­ment jeu déployé et ballons portés avec un bonheur semblable. C’est si vrai que le salut de cette équipe, depuis le début de ce Mondial, est systématiq­uement venu des ailes ou, à défaut, d’un jeu de contournem­ent via une pénétratio­n dans le « midfield », laquelle débouchait sur une transforma­tion immédiate.

CONQUÊTE, OCCUPATION, JEU AU PIED

Or, ballottés en mêlée, longtemps contrariés en touche, incapables d’inverser la pression constante des Boks sur chaque point de rencontre « au près » et, enfin, contrés sur leurs bases traditionn­elles « au large », les Blacks, ces Blacks admirables du Cap, une semaine au préalable, n’avaient plus de solutions apparentes pour tenter d’inverser le cours des événements.

Oh ! bien sûr, tout cela tint à très peu de choses. Une passe mal assurée sur Lomu démarqué, en tout début de rencontre, une relance mal étayée d’Osborne, deux ou trois fautes de mains comme en passant, deux drops loupés d’un cheveu par Mehrtens…

Mais les Boks, les Boks de Nelson Mandela et de 43 millions de Sud Africains, tenaient le bon bout, dès lors que leur pack, continûmen­t, précisémen­t, faisait pivoter chaque mêlée, imposait sa loi en touche, que ses troisquart­s plaquaient à tout rompre et que Joel Stransky ne ratait plus ses cibles.

Conquête, défense, occupation, voilà un thème cher à Pierre Berbizier. Il suffit, on l’a vu, à être champion du monde, faute de révolution­ner le jeu en place. Mais, de vrai suspens en juste morale de douceur fraternell­e, cette finale fut belle. On veut dire, poignante. À l’instar, peutêtre, de cet homme exemplaire qu’est Nelson Mandela, aux valeurs duquel l’Afrique du Sud recouvre sa vie.

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