Midi Olympique

Cinq mesures pour sauver le rugby

- Par Léo FAURE leo.faure@midi-olympique.fr

● CONSTRUIRE PASSÉE L’ÉMOTION DU DÉCÈS DU JEUNE NICOLAS CHAUVIN, LE TROISIÈME EN SEPT MOIS SUR UN TERRAIN, LE RUGBY DOIT AVANCER ET SE RÉFORMER POUR NE PLUS S’EN REMETTRE À LA SIMPLE FATALITÉ. ● AVANCER DERRIÈRE LES DÉCLARATIO­NS DE BONNE INTENTION, IL FAUT DÉSORMAIS FRANCHIR LE PAS ET METTRE EN PLACE AU PLUS VITE DES MESURES POUR PROTÉGER LES JOUEURS ET REDONNER AU RUGBY SES ATTRIBUTS DE JEU. ● TEMPS LONG LE CHANTIER EST IMMENSE ET RÉCLAMERA DU TEMPS, POUR FAIRE ÉVOLUER LES MENTALITÉS. RAISON DE PLUS POUR LE LANCER DÈS À PRÉSENT.

Jeudi soir, Brett Gosper était de sortie, sur le plateau du Late rugby club de Canal +. Le P.-D.G. de World Rugby en personne, en mission de communicat­ion, pour tenter d’éteindre l’incendie français né d’un troisième décès en sept mois, les trois directemen­t imputables à la pratique du rugby. Gosper s’est livré à un exercice délicat, sur un fil, où il convenait de ne pas minimiser les faits dramatique­s, d’un côté. « C’est un moment très dur pour le rugby en France et pour le rugby mondial. Nous sommes sous le choc car ce ne sont pas des événements qui arrivent souvent dans notre sport. Il y en a peu. Mais je ne veux pas trop relativise­r les choses car c’est un événement très triste. » Dans l’autre sens, Gosper a tant bien que mal assuré le service après-vente du travail mené par l’institutio­n suprême. « L’intégrité des joueurs, c’est la priorité numéro un pour World Rugby. […] Je pense qu’on fait beaucoup de choses pour rendre notre sport plus sûr : autour des commotions cérébrales avec le protocole mis en place, qui a eu beaucoup de retours positifs. On fait beaucoup d’études, on passe en revue 6 000 plaquages, on fait de l’analyse vidéo… » Des études, donc, pour l’essentiel. Qui ne débouchent pas encore sur des mesures.

En voici pourtant certaines, urgentes, qui permettrai­ent de protéger les plus jeunes mais, surtout, de changer leurs habitudes de jeu. C’est bien l’enjeu majeur qui lutte, en toile de fond : faire évoluer en profondeur les moeurs des plus jeunes, leur approche d’un rugby devenu trop physique, jusqu’à les mettre en danger. Ce retour philosophi­que à un rugby d’évitement prendra du temps pour devenir évident à tous. Autant commencer tout de suite.

1. ABAISSER LA LIGNE RÉGLEMENTA­IRE DE PLAQUAGE

C’est le point le plus avancé : depuis un an, World Rugby expériment­e l’abaissemen­t réglementa­ire des plaquages pour aboutir à « ajuster la hauteur d’un plaquage dangereux de la ligne des épaules à la hauteur de la poitrine, dite « la ligne des tétons » ». En abaissant la zone d’impact, on en diminue la puissance puisque le défenseur se retrouve, alors, moins ancré sur ses appuis. La réglementa­tion permettrai­t également de protéger les points vitaux des joueurs impactés, à commencer par le coeur, les cervicales et la tête. Adrien Descrulhes, Louis Fajfrowski et Nicolas Chauvin ont tous succombé à des impacts au niveau du thorax ou, pire, de la tête. Supprimer ces impacts serait un gain sécuritair­e immense. C’est une urgence.

2. INSTAURER DES CATÉGORIES DE POIDS CHEZ LES JEUNES

Déjà en place dans certaines compétitio­ns de jeunes en Nouvelle Zélande, la pratique présente deux intérêts majeurs : chez les sujets les plus jeunes, rendus vulnérable­s par la période de croissance ostéoli gamentaire, elle nivelle les écarts physiques que créent les différents stades de la puberté. Pour faire clair : chez les jeunes, on aligne aujourd’hui, en France, des joueurs en avance sur leur puberté face à des joueurs en retard. Avec des écarts physiques parfois immenses et, sur le même terrain, des enfants opposés à des hommes. En catégorisa­nt par poids (comme le font tous les sports de combat) plutôt que par âge, cet écart et les risques engendrés disparaiss­ent. Deuxième intérêt, qui touche à la formation : gommer les écarts physiques, c’est forcer les jeunes joueurs à trouver et développer d’autres armes pour prendre le dessus sur leur adversaire. La quête de la bonne passe, au bon endroit et au bon moment, le sens des intervalle­s, la culture tactique s’en trouvent renforcés. Ce qui rejaillira chez les adultes, avec des joueurs beaucoup plus aboutis techniquem­ent et programmés pour un rugby de mouvement. Enfin.

3. ACCEPTER UN ARBITRAGE PLUS SÉVÈRE

Derrière les discours, il y a les comporteme­nts. Quand la question de la sécurité des joueurs est posée, tout le monde s’accorde sur l’urgence, la nécessité de réformer et de protéger les hommes. Quand on en vient aux actes, les discours sont souvent plus discordant­s. Faire évoluer les mentalités, c’est accepter qu’un joueur soit sanctionné d’un carton rouge pour un plaquage à la tête ou une interventi­on aérienne mal maîtrisée, même involontai­re. Même lorsqu’il s’agit de son propre joueur.

4. RÉFORMER LA FORMATION EN FAVEUR DU JEU DE PASSES

Sur ce point, la FFR a déjà avancé. Dans son programme #bienjoué lancé mi-septembre à destinatio­n des écoles de rugby, les deux premières mesures ont été les plus novatrices et, logiquemen­t, les plus commentées : « Lancement du grand test de la règle du passage en force sur les moins de 14 ans au niveau national et sur les moins de 8, 10 et 12 ans dans les ligues Occitanie et Pays de la Loire » ; « Extension de la règle du toucher 2 secondes mise en expériment­ation la saison dernière et qui viendra en complément d’autres formes de pratiques (jeu en contacts aménagés, rugby éducatif avec plaquage et rugby à5,àX et àXV) pour un rugby éducatif évolutif. » Objectif : remettre la passe au centre des pratiques chez les plus jeunes.

5. CATÉGORISE­R LES POSTES PAR POIDS

Dans ces colonnes, le professeur Chazal proposait ceci, en août dernier : « Pourquoi ne pas réglemente­r les postes selon les physiques ? Pourquoi Nemani Nadolo ne pourrait-il pas être contraint de joueur troisième ligne ? C’est une piste de réflexion. » Sans nul doute, ce serait la réforme de fond la plus révolution­naire. Et après tout, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas imposer des plafonds de poids pour chaque poste, pour équilibrer les confrontat­ions directes et protéger les joueurs les moins lourds ? Et si, demain, un trois-quarts ne pouvait plus dépasser 100 kg, un demi 90 kg, un troisième ligne 120 kg, etc. ? Tous les sports de combat y passent. En boxe, on tiendrait pour fou celui qui alignerait sur un ring un poids lourd face à un poids léger. « C’est pourtant ce que fait le rugby », concluait Chazal. Jusqu’à quand ?

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