Midi Olympique

ZONES DE MARQUE :

COMMENT « TOUCHER » LES AILIERS ?

- Par Nicolas ZANARDI nicolas.zanardi@midi-olympique.fr

C’est l’une des situations les plus frustrante­s, et les plus génératric­es d’incompréhe­nsion du rugby moderne. On parle bien entendu de ces phases de possession de balle à quelques encablures de l’en-but adverse, cette fameuse « zone de marque » dont la maîtrise fait la différence entre les bonnes et les petites équipes. En effet, ces situations où la première urgence consiste à se montrer patient et ne surtout pas perdre le ballon peuvent susciter l’étonnement du haut des tribunes, où les profanes peinent à comprendre l’intérêt de ces séquences de cache-ballon, alors que certains joueurs peuvent apparaître totalement décalés en bout de ligne. « Décalés, ils ne le sont souvent qu’en apparence, nous confiait en début de saison l’entraîneur lyonnais Pierre Mignoni. Dans ces situations proches des lignes, comme elle n’a plus le champ profond à couvrir, la défense n’est plus que sur un seul rideau. Cela lui permet de monter beaucoup plus vite que sur n’importe quelle autre partie du terrain, ce qui diminue de beaucoup l’espace-temps pour les attaquants et diminue d’autant les possibilit­és de se transmettr­e le ballon vers l’extérieur. Et ce phénomène est encore accentué par le fait que, plus on se rapproche de l’en-but, moins les hors-jeu sont sanctionné­s, hormis les très visibles… »

Autrement dit ? Pour « toucher » ces ailiers qui sont bel et bien démarqués à défaut d’être réellement décalés, il faut ruser. « Ce qu’on observe dans la constructi­on des actions, c’est que les équipes ont généraleme­nt tendance à se rapprocher des poteaux. Cela afin de pouvoir directemen­t marquer contre la protection, ou du moins de s’ouvrir les deux côtés d’attaque. Comme les passes à réaliser sont moins longues, les coups à la main sont un peu plus faciles à jouer, et on peut à ce moment se permettre de sortir de la routine des pick and go et des blocs de trois joueurs. » À condition, toutefois, de se montrer irréprocha­ble dans l’exécution technique et la gestion du surnombre. Les All Blacks en sont évidemment les grands spécialist­es au niveau mondial, ainsi que les Irlandais, et il est permis de voir dans cette efficacité proche de la ligne d’en-but une des meilleures raisons de la domination de ces nations sur l’échiquier internatio­nal. Mais ils n’en sont évidemment pas les seuls dépositair­es : à ce titre, on a par exemple beaucoup apprécié l’essai inscrit par Yoann Huget contre Toulon voilà huit jours, parfaiteme­nt amené par Ramos et Ntamack.

LA DIAGONALE AU PIED, OPTION OUVERTE

Toutefois, dans le cas de figure de rucks situés plus proches des lignes de touche, il demeure d’autres solutions, plus directes. On parle bien entendu ici de l’option de la passe au pied en diagonale, meilleure des solutions pour aller chercher l’ailier démarqué en bout de ligne, côté ouvert. « C’est la pratique la plus courante, mais elle reste efficace. Lorsqu’elle défend près de la ligne d’en-but, la défense a tendance à se resserrer autour des rucks, pour ne pas se faire prendre sur les bordures. Logiquemen­t, les ailiers sont démarqués mais c’est assez dur de leur faire parvenir le ballon par un jeu de passes classique, car celuici peut offrir à la défense le temps de glisser, voir une occasion d’intercepti­on. C’est pour cela que la passe ai pied est une super option, car elle permet de gagner du temps. C’est généraleme­nt l’ouvreur qui en prend la responsabi­lité, mais le demi de mêlée le peut aussi. La seule petite réserve, c’est que ce geste technique est assez dur à réaliser, car il implique une grande précision. C’est pour cela que cette solution est souvent utilisée sur les situations d’avantage, car les joueurs savent qu’ils auront au moins une pénalité si l’action rate. »

LA CONNEXION « NEUF-AILIER », L’ATOUT CÔTÉ FERMÉ

Voilà pour l’option « grand côté ». Car une autre solution existe, particuliè­rement à la mode ces derniers temps : le jeu « côté fermé ». Une option que le demi de mêlée néo-zélandais Aaron Smith et le sudafricai­n Faf De Klerk ont énormément utilisée dans le dernier Rugby Championsh­ip, qui consiste en une grande passe sautée directemen­t pour leur ailier côté fermé. « Les Montpellié­rains le font aussi beaucoup, notamment grâce à la bonne connexion entre Ruan Pienaar et Nemani Nadolo, qui est inarrêtabl­e dans ce genre de situation, nous confiait récemment un internatio­nal tricolore. Le but pour l’ailier, c’est de se laisser volontaire­ment oublier en bord de touche, pour avoir ne serait-ce que cinq mètres de couloir. S’il n’y a pas de surnombre, ce n’est pas grave : le simple fait d’être légèrement démarqué laisse l’espace suffisant pour aplatir. Cela à une seule condition : que la passe du demi de mêlée soit assez rapide et arrive dans de bonnes conditions, car le risque dans ce genre de situation consiste à se faire intercepte­r… » Voilà pourquoi ces grandes passes sont généraleme­nt réalisées sur les situations d’avantage, à l’instar des passes au pied.

 ??  ?? ● 1. Sur une situation de pilonnage aux abords de l’en-but lyonnais, la situation n’est pas gagnée d’avance pour le RCT. Bien replacée, la défense du Lou est même à égalité numérique des deux côtés du ruck, avec trois défenseurs (cercles jaunes) dans le côté fermé. Le demi de mêlée toulonnais Rhys Webb (cercle blanc) semble alors, à ce moment, avoir tout intérêt à prolonger le travail de ses avants, qui reforment une cellule de trois dans le sens du jeu. ● 2. Mais à cet instant, en demi de mêlée expériment­ée, le Gallois jette tout de même un oeil dans le côté fermé (flèche blanche). Pour s’apercevoir que, même s’il y a autant d’attaquants toulonnais que de défenseurs lyonnais, ces derniers sont obligés de rester serrés sur la bordure, tandis que son ailier Nakosi est décalé, collé à la ligne de touche. ● 3. Webb n’hésite alors pas une seconde, et lâche une grande passe (flèche blanche) à son ailier (cercle jaune) en sautant deux joueurs. De quoi offrir à Nakosi le micro-espace nécessaire pour déborder dans son couloir, et marquer en coin….
● 1. Sur une situation de pilonnage aux abords de l’en-but lyonnais, la situation n’est pas gagnée d’avance pour le RCT. Bien replacée, la défense du Lou est même à égalité numérique des deux côtés du ruck, avec trois défenseurs (cercles jaunes) dans le côté fermé. Le demi de mêlée toulonnais Rhys Webb (cercle blanc) semble alors, à ce moment, avoir tout intérêt à prolonger le travail de ses avants, qui reforment une cellule de trois dans le sens du jeu. ● 2. Mais à cet instant, en demi de mêlée expériment­ée, le Gallois jette tout de même un oeil dans le côté fermé (flèche blanche). Pour s’apercevoir que, même s’il y a autant d’attaquants toulonnais que de défenseurs lyonnais, ces derniers sont obligés de rester serrés sur la bordure, tandis que son ailier Nakosi est décalé, collé à la ligne de touche. ● 3. Webb n’hésite alors pas une seconde, et lâche une grande passe (flèche blanche) à son ailier (cercle jaune) en sautant deux joueurs. De quoi offrir à Nakosi le micro-espace nécessaire pour déborder dans son couloir, et marquer en coin….
 ??  ?? ● 1. L’exemple ci-dessus est tiré de Pro D2 et du derby de l’Ain, entre Bourg-en-Bresse et Oyonnax. À une dizaine de mètres de l’en-but adverse, les Violets bressans insistent par leurs avants, au point de voir leur demi de mêlée pris dans le ruck. Arrivé pour le suppléer, l’arrière Hugo Dupont a à ce moment la lucidité de lever les yeux vers le côté ouvert, où ses partenaire­s l’ont manifestem­ent appelé. ● 2. La communicat­ion ayant bien fonctionné, Dupont (cercle jaune) prend tout juste le temps de l’informatio­n et adresse directemen­t une diagonale au pied, sans même passer par son ouvreur en train de se replacer dans le dos de son bloc d’avants..● 3. Distillée à la perfection dans le couloir des cinq mètres opposé, la passe au pied de Dupont (flèche rouge) atterrit directemen­t dans les bras de son ailier Andrzej Charlat, décalé au bord de la ligne de touche. Ce dernier ayant toute latitude de saisir le ballon en l’air pour un essai imparable, face à un adversaire en retard (parce qu’obligé de rester connecté à ses partenaire­s près de l’en-but) et obligé de défendre en reculant.
● 1. L’exemple ci-dessus est tiré de Pro D2 et du derby de l’Ain, entre Bourg-en-Bresse et Oyonnax. À une dizaine de mètres de l’en-but adverse, les Violets bressans insistent par leurs avants, au point de voir leur demi de mêlée pris dans le ruck. Arrivé pour le suppléer, l’arrière Hugo Dupont a à ce moment la lucidité de lever les yeux vers le côté ouvert, où ses partenaire­s l’ont manifestem­ent appelé. ● 2. La communicat­ion ayant bien fonctionné, Dupont (cercle jaune) prend tout juste le temps de l’informatio­n et adresse directemen­t une diagonale au pied, sans même passer par son ouvreur en train de se replacer dans le dos de son bloc d’avants..● 3. Distillée à la perfection dans le couloir des cinq mètres opposé, la passe au pied de Dupont (flèche rouge) atterrit directemen­t dans les bras de son ailier Andrzej Charlat, décalé au bord de la ligne de touche. Ce dernier ayant toute latitude de saisir le ballon en l’air pour un essai imparable, face à un adversaire en retard (parce qu’obligé de rester connecté à ses partenaire­s près de l’en-but) et obligé de défendre en reculant.
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