ZONES DE MARQUE :
COMMENT « TOUCHER » LES AILIERS ?
C’est l’une des situations les plus frustrantes, et les plus génératrices d’incompréhension du rugby moderne. On parle bien entendu de ces phases de possession de balle à quelques encablures de l’en-but adverse, cette fameuse « zone de marque » dont la maîtrise fait la différence entre les bonnes et les petites équipes. En effet, ces situations où la première urgence consiste à se montrer patient et ne surtout pas perdre le ballon peuvent susciter l’étonnement du haut des tribunes, où les profanes peinent à comprendre l’intérêt de ces séquences de cache-ballon, alors que certains joueurs peuvent apparaître totalement décalés en bout de ligne. « Décalés, ils ne le sont souvent qu’en apparence, nous confiait en début de saison l’entraîneur lyonnais Pierre Mignoni. Dans ces situations proches des lignes, comme elle n’a plus le champ profond à couvrir, la défense n’est plus que sur un seul rideau. Cela lui permet de monter beaucoup plus vite que sur n’importe quelle autre partie du terrain, ce qui diminue de beaucoup l’espace-temps pour les attaquants et diminue d’autant les possibilités de se transmettre le ballon vers l’extérieur. Et ce phénomène est encore accentué par le fait que, plus on se rapproche de l’en-but, moins les hors-jeu sont sanctionnés, hormis les très visibles… »
Autrement dit ? Pour « toucher » ces ailiers qui sont bel et bien démarqués à défaut d’être réellement décalés, il faut ruser. « Ce qu’on observe dans la construction des actions, c’est que les équipes ont généralement tendance à se rapprocher des poteaux. Cela afin de pouvoir directement marquer contre la protection, ou du moins de s’ouvrir les deux côtés d’attaque. Comme les passes à réaliser sont moins longues, les coups à la main sont un peu plus faciles à jouer, et on peut à ce moment se permettre de sortir de la routine des pick and go et des blocs de trois joueurs. » À condition, toutefois, de se montrer irréprochable dans l’exécution technique et la gestion du surnombre. Les All Blacks en sont évidemment les grands spécialistes au niveau mondial, ainsi que les Irlandais, et il est permis de voir dans cette efficacité proche de la ligne d’en-but une des meilleures raisons de la domination de ces nations sur l’échiquier international. Mais ils n’en sont évidemment pas les seuls dépositaires : à ce titre, on a par exemple beaucoup apprécié l’essai inscrit par Yoann Huget contre Toulon voilà huit jours, parfaitement amené par Ramos et Ntamack.
LA DIAGONALE AU PIED, OPTION OUVERTE
Toutefois, dans le cas de figure de rucks situés plus proches des lignes de touche, il demeure d’autres solutions, plus directes. On parle bien entendu ici de l’option de la passe au pied en diagonale, meilleure des solutions pour aller chercher l’ailier démarqué en bout de ligne, côté ouvert. « C’est la pratique la plus courante, mais elle reste efficace. Lorsqu’elle défend près de la ligne d’en-but, la défense a tendance à se resserrer autour des rucks, pour ne pas se faire prendre sur les bordures. Logiquement, les ailiers sont démarqués mais c’est assez dur de leur faire parvenir le ballon par un jeu de passes classique, car celuici peut offrir à la défense le temps de glisser, voir une occasion d’interception. C’est pour cela que la passe ai pied est une super option, car elle permet de gagner du temps. C’est généralement l’ouvreur qui en prend la responsabilité, mais le demi de mêlée le peut aussi. La seule petite réserve, c’est que ce geste technique est assez dur à réaliser, car il implique une grande précision. C’est pour cela que cette solution est souvent utilisée sur les situations d’avantage, car les joueurs savent qu’ils auront au moins une pénalité si l’action rate. »
LA CONNEXION « NEUF-AILIER », L’ATOUT CÔTÉ FERMÉ
Voilà pour l’option « grand côté ». Car une autre solution existe, particulièrement à la mode ces derniers temps : le jeu « côté fermé ». Une option que le demi de mêlée néo-zélandais Aaron Smith et le sudafricain Faf De Klerk ont énormément utilisée dans le dernier Rugby Championship, qui consiste en une grande passe sautée directement pour leur ailier côté fermé. « Les Montpelliérains le font aussi beaucoup, notamment grâce à la bonne connexion entre Ruan Pienaar et Nemani Nadolo, qui est inarrêtable dans ce genre de situation, nous confiait récemment un international tricolore. Le but pour l’ailier, c’est de se laisser volontairement oublier en bord de touche, pour avoir ne serait-ce que cinq mètres de couloir. S’il n’y a pas de surnombre, ce n’est pas grave : le simple fait d’être légèrement démarqué laisse l’espace suffisant pour aplatir. Cela à une seule condition : que la passe du demi de mêlée soit assez rapide et arrive dans de bonnes conditions, car le risque dans ce genre de situation consiste à se faire intercepter… » Voilà pourquoi ces grandes passes sont généralement réalisées sur les situations d’avantage, à l’instar des passes au pied.