Midi Olympique

« ESPRIT PERGO »

- Par Léo FAURE leo.faure@midi-olympique.fr

Difficile de se tromper sur l’appétence des lieux pour le rugby. Quand on pénètre à La Pergola, à Toulouse, une petite dizaine de maillots s’affichent, encadrés, immédiatem­ent au-dessus de la porte. Un de Clermont, offert par Lionel Faure. Un autre du Racing, cédé par Virgile Lacombe. Deux maillots de l’équipe de France donnés par Clément Poitrenaud. Et puis, quelques pépites, à la valeur ajoutée par leur histoire. Un premier des Bleus offert par Maxime Médard et siglé « Finale de la Coupe du monde 2011 ». Rien que ça. Deux autres maillots du Stade toulousain l’encadrent. « Ce sont les derniers maillots de Xavier Garbajosa et Imanol Harinordoq­uy sous ces couleurs. Pour Imanol, c’est donc le dernier de sa carrière », précise Thomas Fantini, propriétai­re des lieux. Le joyau de la collection est pourtant conservé à part, au bout du bar qui s’étire sur la gauche, une fois l’entrée passée. À l’écart des autres, on croit voir un maillot de la Nouvelle-Zélande, précieusem­ent encadré, signé et porteur d’un certificat d’authentifi­cation. Celuilà, clairement, c’est du lourd. « Le dernier maillot de la carrière de Dan Carter avec les All Blacks. J’ai tellement peur qu’on l’abîme ou pire, qu’on le vole, que je le mets dans un coin ». Ce maillot est une des sept merveilles de l’histoire du rugby, pour qui se veut collection­neur. « C’est le seul que j’ai acheté, dans une enchère. Dan l’avait offert à une associatio­n, Un maillot pour la vie. Quand je l’ai vu, j’ai craqué. » En passionné.

« J’ÉTAIS MEILLEUR EN TROISIÈME MI-TEMPS »

La gourmandis­e de Thomas Fantini pour les choses du rugby ne date pas d’hier. Né dans une famille de rugbymen, il grandit dans les cuisines de Carmen, institutio­n de la gastronomi­e toulousain­e où les joueurs du Stade ont leurs entrées. Et leurs habitudes. « C’était leur repère. J’ai grandi au milieu d’eux, avec plein de souvenirs et de photos de moi, enfant, dans les bras de Jean-Pierre Rives, par exemple ». Dans la tradition familiale, il poursuit cette double culture. De la plonge jusqu’à la direction à Carmen, il intègre également les catégories de jeunes du Stade toulousain. « J’ai joué comme des milliers d’autres, anonymemen­t, sans avenir profession­nel. Mais c’est au rugby que je me suis fait mes meilleurs potes. Garba (Xavier Garbajosa), Thomas Castaignèd­e, c’était ma génération. Et mes potes. Avec une différence : ils étaient très forts, pas moi ! J’étais meilleur en troisième mi-temps que lors des deux premières. J’attendais donc qu’ils aient fini de jouer pour lancer la bringue. Et j’en ai fait un projet : pour réussir, j’ai rapidement compris qu’il valait mieux se tourner vers la restaurati­on que le rugby ! » Après avoir ouvert un bar dans le centre-ville toulousain, Le Varsi au milieu des années 1990, il reprend La Pergola en 2004. L’établissem­ent se fait un nom, comme une traînée de poudre. « L’appellatio­n « famille du rugby » est souvent galvaudée mais pour tout ce qui touche à la bouffe, ça marche encore à fond ! Tous les copains se sont rassemblés autour de moi pour m’aider à me lancer et faire connaître mon établissem­ent. Le bouche-à-oreille a fonctionné. » Le Stade toulousain a trouvé son nouveau QG. Mais pas seulement.

LE RENDEZ-VOUS DES CASQUES BLEUS

Quand Bayonne joue à Colomiers, Yannick Bru fait stopper le bus, sur le trajet du retour, pour un verre à La Pergola. Quand Montpellie­r, Clermont ou le Racing 92 viennent à Toulouse, ils réservent. Quitte à débarquer tardivemen­t. « Qu’importe l’heure, tout le monde les accueille avec plaisir. Même en cuisine, ça ne râle pas. J’ai pensé mes équipes comme si c’était du rugby : les cuisiniers sont les avants et les serveurs sont les trois-quarts. Moi, au milieu, je joue demi de mêlée. C’est l’esprit que j’ai voulu inculquer et mes collaborat­eurs aiment le rugby. Ils sont contents de voir les joueurs quand une équipe débarque. Ils rallument alors les fours avec plaisir ».

À La Pergola, on ne compte plus les histoires de ces nuits « longues à devenir demain » comme le chantait Brel. « Toutes ne se racontent pas » en sourit Fantini. Au milieu des années 2000, le restaurant accueille régulièrem­ent, les samedis en début de soirée, les casques bleus du Stade toulousain. Kesako ? Cinq joueurs internatio­naux alors mis au placard par Guy Novès et régulièrem­ent sortis du groupe, d’un bloc, les week-ends de match. Chaque fois que la sanction tombe, les textos fusent, en douce : « Samedi, pas de match. Réunion des casques bleus à La Pergola ». Les nuits portent au conseil où, à défaut, elles voilent de rires la frustratio­n. Les bringues nocturnes soudent aussi les hommes. C’est également le cas, parfois, des après-midi.

MANAGEMENT PAR LA VIANDE

Pendant huit ans et jusqu’en 2012, le Stade toulousain lançait systématiq­uement ses semaines de finale par un après-midi d’asado* sur la grande terrasse qui jouxte le restaurant. Les Pumas Albacete, Hasan ou Vergallo se mettaient alors aux platines de braises, vite joints par Thierry Dusautoir, à la passion amoureuse pour la culture argentine. Un autre groupe prenait possession des tireuses à bière. La session de management par la viande pouvait alors commencer. « C’était une manière de souder une dernière fois le groupe, avant la finale. Certaines fois, c’était assez calme. D’autres fois, ça partait en vrille et nous aurions mieux fait de privatiser le restaurant (il se marre). Mais dans l’ensemble, la méthode a fait ses preuves ».

Un de ces après-midi surpassera les autres. En 2012, au lendemain de la finale des Toulousain­s (leur dernier titre à ce jour), Thomas Fantini a privatisé son restaurant, sorti sa plus belle vaisselle et convié tout ses proches au baptême de sa fille. « Grand soleil, tout le monde en terrasse mais après-midi un peu guindée, comme le sont tous les baptêmes. » Jusqu’à ce que plusieurs voitures se garent devant La Pergola. « Personne ne m’avait prévenu. En chemin entre l’aéroport et la place du Capitole, où les supporters les attendaien­t, un gros groupe de joueurs a fait un crochet par chez moi. L’ambiance a changé radicaleme­nt ! Disons qu’ils étaient très en forme, limite chauds. Ils ont lancé la sono à fond, ont fait couler la bière. Et c’est complèteme­nt parti en vrille ! ».

Puisées dans ces aventures, Fantini a construit des amitiés. « Garba, c’est comme mon frère ! Il est le parrain de ma fille, je suis aussi le parrain d’un de ses enfants ». Didier Lacroix compte aussi dans ce premier cercle de proximité. Avant lui, les hommes forts du club toulousain trouvaient également un refuge de confiance à La Pergola. Au milieu des années 2000, ils venaient y rencontrer des joueurs. Omar Hasan, Gareth Thomas et d’autres y ont d’ailleurs négocié et paraphé leur premier contrat en Rouge et Noir.

Pour ces pratiques qui requièrent de la discrétion, La Pergola s’est d’ailleurs dotée d’une salle, à l’écart. À l’abri des regards. Le reste se fait à la confiance. « Quand des dirigeants du rugby viennent pour affaire, je les laisse dans leur coin. Je ne m’en mêle pas et je ne demande jamais l’objet de leur rendez-vous. Idem quand des joueurs qui passent faire la fête : je fais en sorte qu’ils se détendent, qu’ils ne soient pas aux aguets et qu’ils ne se sentent pas épiés. Ça ne peut marcher qu’ainsi. Que ce soit pour la bringue ou les affaires, la relation de confiance est primordial­e ». La clé d’une affaire à succès.

* barbecue argentin

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 ?? Photos M. O. - Patrick Derewiany ?? Lieu connu et reconnu de la gastronomi­e toulousain­e, La Pergola se mue, le soir venu, en lieu de fête où il n’est pas rare de croiser des joueurs du Stade toulousain. Ou d’ailleurs.
Photos M. O. - Patrick Derewiany Lieu connu et reconnu de la gastronomi­e toulousain­e, La Pergola se mue, le soir venu, en lieu de fête où il n’est pas rare de croiser des joueurs du Stade toulousain. Ou d’ailleurs.
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