Midi Olympique

BONI et l’esprit du jeu

En hommage à Jacques Verdier, nous avons décidé de faire paraître quelques-unes de ses dernières chroniques. Pour débuter cette semaine, voyage sur les traces d’André Boniface, ce prince de l’attaque que Jacques admirait.

- Par Jacques VERDIER

Dans la somme de romans, de biographie­s, d’essais, que je reçois désormais pour nourrir une chronique littéraire, le dimanche, dans les colonnes de La Dépêche du Midi, m’est apparu, l’autre jour, un livre consacré à André Boniface. Encore un !, me dis-je. D’où vient cette frénésie ? « Du temps des Boni » de notre ami Denis Lalanne, à ce « Boni 70 », on ne dénombre pas moins de cinq livres, en effet, parus ces dernières années et dévolus à ce prince de l’attaque, qui a pourtant arrêté de jouer il y a quarantese­pt ans. Cinq livres et même un film ! Qui dit mieux ? Je pensais à ça, l’autre jour, en lisant dans nos colonnes cet aveu de Laurent Travers, selon lequel il n’y aurait pas d’autres finalités pour un sportif que la victoire à tout prix. Nul, bien évidemment, ne saurait contredire Laurent sur le fond. On joue toujours pour gagner. Mais élever la victoire au rang de finalité absolue, m’est toujours apparu à tout le moins réducteur. Je veux bien nourrir pour mes vieilles musiques -les écoles de jeu, le style d’une équipe, sa capacité à ne pas déroger à certains grands principes- un goût crépuscula­ire, que les All Blacks, heureuseme­nt, remettent inlassable­ment au goût du jour, je n’éprouve aucun plaisir particulie­r à voir certaines équipes triompher, si ce triomphe ne s’accompagne pas de cet élancement, joie et stupeur mêlées, où nous conduit l’émotion. Un supporter s’accommoder­a toujours d’une victoire petit bras. Mais les vrais amoureux de ce jeu ? Guigner le contenu, s’asseoir sur la méthode, négliger l’impact du beau, sous le couvert délicieux du pragmatism­e et de l’impérative victoire, c’est mésestimer la part de rêve, ignorer le poids du temps et ses nuées de mémoire ? C’est aussi, d’une certaine façon, se mentir à soi-même. Parce qu’enfin quel joueur, quel entraîneur, n’aspire pas à marquer son époque, à l’estampille­r au sceau de sa réussite, de sa réflexion ? Rien de plus légitime, il me semble, pour qui se pique de sport de haut niveau. Or, la victoire, si elle n’est pas accompagné­e, prolongée, par ce coefficien­t de panache, est appelée à tomber très vite aux oubliettes. S’en défendre, c’est s’avouer vaincu. Je n’explique pas autrement l’engouement que continue de dispenser André Boniface, tant d’années après. On sourira peut-être à ce « printemps de rugby » que nous conte Olivier de Baillenx, lié à ces années 1970 où André accepta, deux ans après la mort de Guy, de sortir de sa réserve pour prendre l’entraîneme­nt du Stade Montois. La rigueur et l’incroyable exigence de «Boni», n’en excluaient pas, on le redécouvri­ra, la haute idée qu’il se faisait du jeu lui-même. Ni d’ailleurs sa modernité, sur fond de rythme, de passes parfaites, de fraîcheur physique. C’est une autre époque certes qui défile sous nos yeux, celle des hommes libres et du rugby comme il vient. La question n’est évidemment pas de savoir si c’était mieux ou plus mal. L’essentiel est ailleurs qui nous renvoie à l’essence de ce sport, à son parfum originel. Le livre s’ouvre sur l’image d’un huitième de finale disputé contre Castres. Mont-deMarsan mène d’un petit point et il reste quelques secondes à jouer. André hérite d’un ballon dans ses 22 mètres.Tout voudrait qu’il tape en touche. Mais non, bien sûr. « Boni » attaque, sabre au clair, Patrick Nadal à ses côtés... Quarante-sept ans après, il arrive qu’on s’en souvienne. (Boni 70, par Olivier de Baillenx, Atlantica, 22 €)

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