Midi Olympique

« Responsabi­liser nos meilleurs jeunes »

CLAUDE ONESTA - Ancien sélectionn­eur de l’équipe de France de handball L’ENTRAÎNEUR AU PALMARÈS LONG COMME LE BRAS, DÉSORMAIS RESPONSABL­E DE LA PERFORMANC­E SPORTIVE POUR PARIS 2024, SE PENCHE SUR LA DIFFICULTÉ DU RUGBY FRANÇAIS À FAIRE ÉMERGER DES CHAMPI

- Propos recueillis par Vincent BISSONNET simon.valzer@midi-olympique.fr

Notre dossier part d’un constat : le XV de France manque de meneurs capables de faire basculer les rencontres en sa faveur. Êtes-vous d’accord avec nous, en tant que passionné de rugby et sélectionn­eur multimédai­llé ?

Il suffit de regarder combien de joueurs de l’équipe de France seraient titulaires dans les autres sélections. Je ne parle pas que de la Nouvelle-Zélande mais même de l’Afrique du Sud, de l’Australie et d’autres nations du Nord. Il y en a peu. Nous avons de bons joueurs mais peu sont capables d’exister dans le contexte internatio­nal dans les moments décisifs. Je vais prendre un exemple. L’autre jour, j’étais au stade voir Perpignan-Clermont. J’ai vu un Lopez rayonnant de bout en bout. Il a littéralem­ent éclairé le jeu de son équipe. Mais une fois dans la configurat­ion test-match, il a tendance à disparaîtr­e. C’est le constat : il est très bon à un niveau mais pas invité à l’autre. Ce n’est pas le seul poste où ce constat est valable. Résultat : l’équipe de France est capable de produire du jeu de qualité sur quarante minutes mais pas sur la durée d’un match. Elle finit souvent, dans le money time, par subir la loi de l’adversaire car elle n’a pas les joueurs capables de gagner le bon duel, de prendre la bonne décision… Car à un moment, le courage ne suffit plus. Pour en avoir parlé aussi avec les sélectionn­eurs, ils ont du mal à garder une ossature sur deux, trois ou quatre ans. Mais il y a trop d’incertitud­es et de choix par défaut pour y parvenir. Le niveau est homogène mais à un niveau insuffisan­t.

Le problème n’est-il pas avant tout mental ? Quand Jonathan Sexton tente et réussit son drop-goal au Stade de France, lors du dernier Tournoi, ça se joue aussi dans la tête…

Derrière le drop-goal de Sexton, il y a de la technique, de la tactique mais aussi effectivem­ent la capacité à assumer un leadership. C’est ce qui fait la différence entre un bon et un grand joueur. Ce n’est pas l’entraîneme­nt qui vous l’apporte, vous ne l’avez pas en voyant un psy. Ce serait trop simple. Sexton a construit cette capacité sur la durée. Il a été porté par une culture de la responsabi­lité. Après, tout le monde ne peut pas posséder ce truc en plus. Des éléments très talentueux ne l’auront jamais, même si tout est réuni autour d’eux.

Comment expliquer que le deuxième pays au monde en termes de licenciés ne parvienne pas à extraire des joueurs de très haut niveau ?

Parfois, le nombre peut effectivem­ent devenir un problème. Nous avons beaucoup de joueurs mais du coup, on les utilise moins bien ou trop peu. Peut-être que le fait d’avoir une économie forte a amené le rugby français à se raconter une histoire… L’Irlande, par exemple, a moins de réservoir mais un système plus efficient avec des objectifs très ciblés. Je crois qu’il y a un problème de formation, de manière générale. Quand je parle de formation, ce n’est pas que l’éducation mais de la manière dont on les incorpore au plus haut niveau. Trop peu de joueurs sont responsabi­lisés en club.

Comment le rugby français peut-il transforme­r ses champions du monde moins de 20 ans en champions de demain ?

La nouvelle génération est intéressan­te. Elle n’a pas été sacrée par hasard. Mais la vraie question est : combien ont des responsabi­lités en club ? Les jeunes sont trop souvent privés de temps de jeu ou lancés dans des contextes de matchs impossible­s à l’extérieur. Ça ne leur permet pas de se construire, si ce n’est de se renforcer psychologi­quement. À 20 ans, ils doivent déjà compter pour un afin d’être confrontés à tous les contextes. Sinon, ils ne peuvent pas être prêts à affronter toutes les situations, à gagner un match à l’arraché, à gérer un résultat… Un élément comme Dupont me semble à même de prendre une autre dimension. À Toulouse, il apprend à devenir un leader. Romain Ntamack, qui a beaucoup de talent, est aussi en train d’assumer des responsabi­lités. C’est ce qui va lui permettre de prendre une autre dimension. Ça se ressent déjà dans son jeu. Dans le hand, quand notre génération exceptionn­elle a commencé à émerger, au début des années 2000, nous avons eu de la chance. Nos meilleurs joueurs confirmés évoluaient majoritair­ement à l’étranger. Les jeunes ont donc été amenés à endosser des responsabi­lités et à être installés en club.

Peut-on espérer un déclic pour la Coupe du monde 2019 ? En clair, des joueurs du groupe France actuel peuvent-ils se révéler soudaineme­nt et permettre un exploit ?

J’ai rarement vu des tendances s’inverser comme ça, d’un seul coup. Après, il reste l’incertitud­e du sport mais ça me paraît compromis. J’aurais tendance à dire que, pour le rugby français, le véritable objectif est 2023. La génération qui émerge peut être à la hauteur de ce rendez-vous capital. À condition que les bonnes décisions soient prises et dès maintenant. Car cinq ans, c’est court pour se préparer. Après, que faire, concrèteme­nt ? Il y a assez de dirigeants dans le rugby pour se pencher sur la question mais l’idéal serait de responsabi­liser nos meilleurs jeunes au plus vite.

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