Midi Olympique

L’arbitre de la polémique

EN 2017, L’ARBITRE ANGLAIS, WAYNE BARNES, FUT L’ACTEUR D’UNE FIN DE MATCH AHURISSANT­E, VINGT MINUTES D’ARRÊTS DE JEU POUR ACCORDER L’ESSAI DE LA VICTOIRE DES BLEUS. DEUX ANS APRÈS, IL ASSUME SANS PROBLÈME CET ÉPISODE DICTÉ UNIQUEMENT PAR SA CONSCIENCE D’A

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Deux ans après, il va retrouver son affiche maudite. Wayne Barnes avait arbitré le terrible France - Galles 2017, le match le plus long de l’histoire du Tournoi : vingt minutes d’arrêts de jeu, vingt minutes passées sur la ligne galloise à faire douze mêlées. Devant 78 000 personnes qui demandent un essai de pénalité et l’arbitre qui, imperturba­ble, s’en tient à la règle stricto sensu. Onze pénalités que les Français obstinémen­t transforme­nt en mêlées pour obtenir une récompense. Ce fut un vrai capharnaüm avec des bisbilles, des énervement­s, des trépigneme­nts. Barnes dut aussi superviser le carton jaune au pilier Samson Lee, son retour, la sortie provisoire de Halfpenny pour compenser l’arrivée d’un nouveau pilier ; puis le remplaceme­nt « classique » de deux piliers (Rob Evans et Uli Atonio) pour des blessures contestées par l’adversaire. Jamais un arbitre n’a eu autant de choses à surveiller dans une ambiance aussi électrique. La scène avait quelque chose de pathétique, elle témoignait aussi d’une obsession très française de la mêlée. Finalement, Damien Chouly marqua en bonne et due forme — en aplatissan­t — et la France s’imposa 20-18 dans un Stade de France transformé en cocotte-minute. On oublia même qu’il restait une transforma­tion à tenter pour Camille

Lopez.

EN 2007, ON LE VOYAIT DÉJÀ PRO FRANÇAIS

Guy Novès ne savait pas qu’il venait de vivre son dernier match dans le Tournoi. Wayne Barnes regagna les vestiaires avec la certitude que son nom serait mis à toutes les sauces. En effet, Yohann Maestri se lâcha sur lui (il recevra 15 000 € d’amende), tandis que les Gallois préféraien­t accuser les Français d’avoir inventé une commotion à Atonio pour faire entrer Slimani. On se souvient aussi des propos très élégants de Yannick Bru : « On voit qu’on parle d’un grand arbitre… Il ne voulait pas décider du match sur une mêlée. Sur cette fin de match, je lui trouve un profession­nalisme et une rigueur immenses. Il était serein, cohérent. Tout ce qu’il y avait autour des mêlées, il l’a très bien géré, malgré l’ambiance tendue. » Cet épilogue inimaginab­le,Wayne Barnes en parle sans problème deux ans après, dans les coulisses de Twickenham, en novembre à la veille de Nouvelle-Zélande — Angleterre : « Je savais que je ferais les gros titres, mais en 2017, j’avais déjà dix ans d’expérience. Je savais déjà vivre avec ça. J’ai dit aux Français que je devais être certain que l’essai soit marqué. Je suis heureux de ne pas avoir accordé un essai sous la pression, contre mon jugement. J’étais préparé à vivre ce genre de situation, mais je le reconnais, je ne pensais pas que je vivrais toutes ces choses en un seul match, je veux dire, les mêlées à refaire, les remplaceme­nts contestés à gérer, un carton jaune et ne l’oubliez pas, l’histoire de la morsure. » Au cours de ces arrêts de jeu infernaux, George North se plaignit aussi d’avoir été mordu par un adversaire, d’où un recours à la vidéo à assumer.

Calme, souriant, amical même, Wayne Barnes dissuadera­it par son sourire le plus acharné des supporters bas de plafond. Les critiques, il les endure depuis des lustres avec le flegme indispensa­ble à sa fonction. En 2007, déjà, il avait ulcéré les All Blacks battus par les Français en Coupe du monde à Cardiff. Graham Henry avait organisé toute sa défense pour garder son poste en pointant ses supposées erreurs. À l’époque, on le voyait comme pro-Français : « Quand un arbitre fait les gros titres, c’est toujours triste. J’étais très jeune à l’époque, c’était mon six ou septième match internatio­nal. Mais je suis revenu avec la déterminat­ion de devenir encore plus fort, plus lucide, mieux préparé physiqueme­nt. » Avec la France, il ne cache pas un lien particulie­r : « J’ai arbitré des matchs en Top 14, en Pro D2 et même en Fédérale 1 vous savez ? Et j’ai adoré me confronter aux fameuses mêlées françaises. Mais je crois que les arbitres français, les Poite, Garcès sont les meilleurs pour juger ce secteur. »

IL N’A PAS DÉCIDÉ D’ARRÊTER

Wayne Barnes qui compte désormais plus de 80 tests à son actif n’a pas décidé d’arrêter sa carrière après le prochain Mondial, contrairem­ent à une informatio­n qui a circulé à l’automne. Il continue à venir à Twickenham en voisin pour souffrir dans le gymnase dédié aux arbitres. Le reste du temps, il file vers la City de Londres. Un bureau l’attend dans un immense building : « The Shard », flèche de verre, de 300 mètres de haut : « J’ai fait des études de droit, et je travaille dans un cabinet d’avocats. » En costume cravate, avec la Tamise à ses pieds, il participe ces tempsci à la défense des grandes entreprise­s accusées de diverses turpitudes, corruption par exemple par le Special Fraud Office : « J’ai participé à la défense de Alstom, une entreprise française. Le métier d’avocat présente certaines similarité­s avec celui d’arbitre. Il faut savoir utiliser sa voix, user d’un vocabulair­e précis et exprimer clairement ses idées. Nous avons aussi des bureaux à Saint-Ouen, mais aussi à Levallois, une ville dans laquelle je séjourne aussi en tant qu’arbitre avant les matchs du Tournoi. Évidemment, l’arbitrage m’a fait manquer des opportunit­és, sans ça j’aurais progressé plus vite dans ma carrière d’avocat. »

AVOCAT DANS LE CIVIL

Conduire une stratégie de défense dans des dossiers de business de haut niveau forcément sulfureux n’est sûrement pas facile, mais on se demande s’ils génèrent la même pression que ses décisions sifflet en main. Car il a connu bien d’autres moments chauds à gérer dans sa carrière, comme en 2013, quand il infligea un carton rouge à Dylan Hartley lors de la finale du championna­t 2013. Décision lourde de conséquenc­e puisqu’elle aboutit à la non-sélection du talonneur pour la tournée des Lions en Australie. « Compte tenu ce qui s’est passé, de son manquement aux valeurs de notre sport, ce fut une décision facile à prendre. » Le futur capitaine de l’Angleterre l’avait traité de «… king Cheat », « enc… de tricheur » en français. Les deux hommes se sont retrouvés lors des sessions d’entraîneme­nt de l’Angleterre… sans chaleur assurément mais sans incident majeur. Wayne Barnes évoque ça avec cette pointe de détachemen­t, le fameux « understate­ment » si britanniqu­e. « Je ne lis pas ce que dit la presse à mon sujet. Je ne tape pas mon nom sur Google. Mais mes proches souffrent parfois, c’est vrai… Ce qui compte pour moi, c’est l’avis de quelques responsabl­es arbitraux, dont Chris White, mon mentor et Joël Jutge aussi. Je ne vais pas me laisser déstabilis­er par un article écrit sur moi en Afrique du Sud ou en Australie. »

C’est le destin d’un arbitre, où qu’il soit, d’être réduit à ses moments de difficulté. Ses moments les plus forts, sont forcément plus intimes : « Les gens ne se rendent pas compte à quel point nous, les arbitres internatio­naux, formons une communauté. Dans un Mondial, nous ne sommes pas plus de dix ou douze. En 2015 en Angleterre, nous nous réunission­s souvent le soir, chez moi, ici près de Twickenham. Finalement, ce sont là mes meilleurs souvenirs. »

« Je suis heureux de ne pas avoir accordé un essai sous la pression, contre mon jugement. » Wayne BARNES Arbitre internatio­nal

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