Le maître du monde
DEPUIS QU’IL A SUCCÉDÉ À DECLAN KIDNEY EN 2013, LE NÉO-ZÉLANDAIS A RÉVOLUTIONNÉ LE RUGBY SUR L’ÎLE ÉMERAUDE. CET ANCIEN PROFESSEUR DE LITTÉRATURE, TECHNICIEN HORS-PAIR, EST AUSSI UN CHEF DE MEUTE PARTICULIÈREMENT REDOUTÉ.
Au sujet de « Big Joe », il y a ce que disent les autres. Johnny Sexton, d’abord : « C’est le meilleur entraîneur du monde. Il prendra les Lions britanniques et irlandais un jour. […] Joe est à ce point précis et pointu que lorsque je suis sur le terrain, deux voix s’imposent à moi : la mienne et la sienne, au gré des commentaires qu’il m’a répété mille fois dans la semaine. » Rory Best, ensuite : « Tout le monde croit qu’il possède un chaudron de potion magique. Mais Joe est juste le coach le plus exigeant qu’il m’ait été donné de côtoyer, un homme ne jurant que par la discipline et la répétition. L’empreinte qu’il laissera sur le rugby irlandais ne pourra jamais s’effacer. »
Assis sur un réservoir restreint de joueurs (on compte à tout casser une cinquantaine de joueurs de très haut niveau en Irlande), l’ancien adjoint de Vern Cotter à Clermont-Ferrand (2007-2010) est néanmoins parvenu à sublimer le rugby celte pour afficher aujourd’hui des statistiques ébouriffantes. Depuis 2013, date à laquelle il a succédé au Munsterman Declan Kidney, le Kiwi a donc dirigé soixante-deux rencontres, en a gagné quarantesix et détient aujourd’hui le taux de réussite le plus élevé de la planète derrière l’intouchable Steve Hansen… dont les moyens humains, vous le conviendrez, sont tout autres.
En moins de six ans, le natif de New Plymouth a ainsi fait oublier à l’Irlande que l’Île Émeraude se traîna longtemps à un piteux ratio de 40 % de victoires, incarnant des décennies durant le brave cousin que l’on acceptait à sa table, sans pour autant le prendre au sérieux…
DERRIÈRE LE SOURIRE SE CACHE UN TUEUR
À l’hiver 2019, l’Irlande talonne la Nouvelle-Zélande au classement World Rugby, reste l’un des grands favoris du Mondial japonais et, quand il parle de Schmidt, l’arrière des Diables verts Rob Kearney dit qu’il serait élu « président de la république irlandaise » s’il venait à se présenter aux prochaines élections. Adopté comme l’un des leurs par les « Paddies », Joe Schmidt le fut aussi parce qu’il a toujours entretenu un lien particulier avec l’Eire. À ce sujet, voici ce qu’il nous contait un jour : « J’y ai vécu plusieurs mois, voici vingt-cinq ans, avec mon épouse Kelly. C’était en pleine Coupe du monde de rugby. Je jouais pour le club de Mullingan, dans le sud de Dublin. À mon retour en Irlande, en juin 2010, j’ai donc passé ma première nuit au pub, à refaire le monde avec mes copains de Mulligan. Rien n’avait changé, si ce n’est les cheveux blancs sur nos têtes… »
Féru de théâtre, capable de citer des pans entiers de Julius Caesar - une pièce de Shakespeare - Joe Schmidt est aussi un amoureux de lettres, ce qui le conduisit à son arrivée à Dublin, à l’époque où il prit la tête du Leinster, à écrire des chroniques littéraires pour un quotidien irlandais. On serait fou, pourtant, de se laisser duper par la douceur que dégage le sourire de cet ancien professeur. Redouté par ses joueurs, Joe Schmidt sait aussi être un tueur. Le génial Simon Zebo, boudé par le sélectionneur pour un rugby considéré comme trop « bohème », en sait quelque chose…