Tournoi, mon beau Tournoi
On se souvient, tous, de notre première rencontre avec le Tournoi. De ce premier amour qui ne nous quittera jamais. C’est personnel, presque intime. La mienne n’est évidemment pas ancestrale, âge oblige, bien qu’assez vieille pour se vivre encore au Parc des Princes. Le dernier match, en fait, de ces Bleus d’or sur cette pelouse de rois. C’était l’Écosse, Olivier Magne manches courtes et tête haute qui sublimait la croyance en un rugby total, et ce stade, merveilleux de chaleur et si grand à mes yeux de môme.
Pour un gamin du Cantal, sûr de la gloire de son Stade aurillacois et élevé aux préceptes fondateurs son école de rugby, voir Magne pointer si haut dans le ciel n’avait rien de banal. Mais l’éveil aux émotions d’un Tournoi reste un souvenir plus fort encore.
C’était un cadeau d’anniversaire de mes parents. Le Tournoi se mérite, surtout pour un mec de province. Mais j’étais donc là en 1998 pour ce France - Écosse, quand le carré des musiciens à képi lança les hymnes.
Je connaissais La Marseillaise, comme tout le stade. Je connaissais aussi le Flower of Scotland. Tout du moins, je le croyais. Mon père l’avait sur un CD « Les chants du rugby » qui tournait en boucle, dans la voiture, les jours de départ en vacances. J’en connaissais donc l’air et, de manière plus aléatoire, les paroles, en phonétique. Quand les premières notes de cornemuse ont retenti dans la sono grésillante du Parc, je me suis lancé. À ma droite, un vieil Écossais à casquette, tout droit sorti d’une planche de Tintin « L’île noire », m’a souri. Puis il a chanté avec moi. Plus que les matchs, je garde ceci du Tournoi. Les hymnes, aujourd’hui encore. Font-ils la première partie d’un spectacle plus grand qu’eux ? J’en doute. Le Tournoi, ce sont d’abord les hymnes et, accessoirement, un match qui suit. Il y a tout dans ces moments de chants, patriotiques sans jamais s’imbiber du mauvais nationalisme. Il y a le respect de l’autre qui ne gâche en rien la fierté de soi. Il y a la communion, toujours, et la joie, surtout, de voir revenir ce premier week-end de février tant attendu.
Il est là, justement. Une fois de plus et depuis 137 ans. À quatre, cinq puis six nations. Qu’importe. L’histoire est là, immense. Elle ne vous contemple pas, elle vous oblige. Le Tournoi ne sera jamais un laboratoire de mi-mandat ou une préparation à une Coupe du monde. Il est grand, beau et se suffit à lui-même.
Le Japon attendra. On n’insulte pas le Tournoi. Pour avoir trop souvent commis ce crime, les Français ne participent plus à ses podiums, sa gloire et son histoire. Par bonheur, chaque année offre une nouvelle chance. Celle de 2019 arrive ce vendredi, qui peut tout effacer et faire naître enfin la joie. C’est tellement mieux que l’espoir...