IL EST DEVENU CENTRE
EN PLEINE COUPE DU MONDE DES MOINS DE 20 ANS EN JUIN DERNIER, ET À LA VEILLE D’UN RENDEZVOUS DÉCISIF CONTRE LES BABY BOKS, LE STAFF DES BLEUETS A ANNONCÉ À ROMAIN NTAMACK QU’IL ALLAIT PORTER LE NUMÉRO 12 POUR LA PREMIÈRE FOIS AU COUP D’ENVOI D’UN MATCH. R
Et si la carrière de Romain Ntamack avait connu un coup d’accélérateur le 4 juin 2018 ? Au lendemain de la victoire des moins de 20 ans français contre la Géorgie pour le compte de la deuxième journée de la Coupe du monde, le sélectionneur Sébastien Piqueronies réclamait à son protégé une entrevue. La veille, au nom du turnover imposé par une compétition qui programmait des matchs tous les quatre jours et alors qu’il avait débuté la compétition avec le numéro 10 dans le dos contre l’Irlande, le Toulousain avait été ménagé pour laisser place à Louis Carbonel. Ce dernier avait d’ailleurs été excellent à l’ouverture et se profilait, 72 heures plus tard, un rendez-vous décisif (et presque éliminatoire) contre l’Afrique du Sud. Piqueronies annonçait alors à son joueur qu’il démarrerait au centre contre les Baby Boks, poste qu’il n’avait jamais occupé au coup d’envoi dans son parcours. Un pari ? Absolument pas, à en croire le patron des Bleuets. Parce que Carbonel et Ntamack avaient déjà été associés, en fin de rencontre, contre l’Angleterre lors du Tournoi des 6 Nations précédent. « Il pleuvait et les conditions n’étaient pas idéales mais, durant ces quelques minutes, on avait apprécié leur combinaison et on l’avait gardé dans un coin de la tête », nous avouait, le matin de la finale victorieuse du Mondial contre ces mêmes Anglais, l’entraîneur des trois-quarts David Darricarrère. Piqueronies confirmait : « On savait qu’on les alignerait ensemble à un moment ou à un autre. » Restait à trouver le bon, pour surprendre les adversaires. Ce fut lors de cette semaine qui a tout changé pour Ntamack. La première du reste de sa vie.
PIQUERONIES : « RÉUNIR DEUX PASSEURS »
La perspective de ce repositonnement avait donc été mûrement réfléchie. « Dans notre idée, nous avions managé en priorité avec Romain et Louis comme ouvreurs durant la saison, et Léo Berdeu comme troisième choix, détaille aujourd’hui Piqueronies. On voulait installer les deux premiers, leur donner confiance, au vu de leur évolution et de leur talent. Très tôt, dans notre esprit, la volonté de les associer est appparue, en 10-12 ou 10-15 car Clément Laporte peut décaler à l’aile. Après la Géorgie, c’est devenu une évidence. Sans même se parler, on avait compris avec David. » Pour autant, il convenait de présenter les choses à Ntamack pour le mettre dans les meilleures conditions.
Lui fut enthousiaste, ce dont était persuadé le technicien : « Je le connais et n’avais aucun doute sur sa réaction. Elle a été extraordinaire. Je tenais à l’évoquer avec lui avant quiconque. Il m’a répondu : « Mon ambition est d’être champion du monde. Pour y parvenir, c’est le collectif
avant tout. Tant que je joue, même flanker, il n’y a pas de soucis. » Je lui ai expliqué que notre but était de réunir deux passeurs, deux preneurs de décision pour favoriser des attaques plus rapides vers les extérieurs. Ce rugby parle à Romain et il a été séduit. Il m’a dit bingo de suite et n’a jamais fait passer son projet personnel avant celui du groupe. »
MOLA : « UNE CORDE À NOTRE ARC »
Même si, au moment de l’annonce de la composition, son père Émile, soucieux de ne pas déstabiliser la progression de son fils et craignant un manque de repères, se montrait perplexe face à ce choix du côté d’ErnestWallon. Même s’il assurait aux personnes croisées qu’il était certain de la capacité d’adaptation de Romain. Dans le même temps, Ugo Mola, l’entraîneur qui a lancé le fiston dans le grand bain professionnel quelques mois auparavant et suivi de près le Mondial moins de 20 ans, certifiait qu’il comprenait la décision de Piqueronies et qu’il aurait certainement pris la même. Il faut dire que ce replacement avait aussi été
évoqué au sein du staff toulousain. « Il est encore jeune et, à l’entraînement, on le trouvait souvent plus à l’aise au centre ou à l’arrière, là où son côté instinctif s’exprimait mieux », nous avouait récemment Pierre-Henry Broncan, adjoint de Mola jusqu’en juin dernier. Confirmation éclatante face aux Sud-Africains. Les Bleuets les surclassaient (46-29) après une première mi-temps de rêve ponctuée de cinq essais, dont un de Carbonel et un de Ntamack. Duo à la base de la démonstration offensive. « J’ai regardé avec beaucoup d’attention et la prestation de Romain nous donne une corde à notre arc pour l’avenir, se réjouissait Mola le lendemain au téléphone. Surtout que Zack Holmes ou Antoine Dupont - qu’on envisage aussi d’utiliser en dix - ont des profils qui se rapprochent de celui de Carbonel. » Le petit prodige du rugby français avait encore impressionné tout le monde. À commencer peut-être par l’intéressé luimême qui reconnaissait : « Ça me fait voir un autre poste. J’appréhendais un peu lorsque le stress montait avant la rencontre. Mais Pierre-Louis Barassi (son compère au centre, N.D.L.R.) m’a aidé sur le terrain, en me donnant des conseils, en me replaçant. »
Entente prolongée avec succès contre les Baby Blacks puis les Anglais pour s’asseoir sur le toit du monde. Clairement, la réorganisation stratégique a été fondamentale dans ce titre. « Quand on a arrêté ce choix, notre premier objectif était d’être champions du monde, note Piqueronies. Il a été rempli. Mais le deuxième concernait la formation du joueur. Pour moi, il était essentiel de l’éloigner un peu de la ligne pour exploiter son immense talent à cet instant. Mais je suis convaincu qu’il reviendra en 10 plus tard. Ce n’est pas vraiment un changement de poste mais plutôt une adaptation collective. Et je vois qu’à Toulouse, Romain s’éclate encore. Il joue un rugby qui lui correspond. Lorsqu’on est heureux et qu’on a ses qualités… »
DARRICARRÈRE : « CE REPLACEMENT A ÉTÉ UN DÉCLIC CHEZ LUI »
En club, il a donc profité des départs de Fickou, Fritz et David pour s’imposer au centre de l’attaque. Revenu du sacre des Bleuets avec une assurance renforcée et remarquée, Ntamack n’a pas tardé, l’été dernier, à être perçu comme un nouveau leader de jeu par les coachs toulousains. S’il a évolué à l’ouverture pour sa première apparition en match amical à Perpignan, c’est avec le maillot frappé du numéro 12 qu’il s’est montré étincelant, une semaine plus tard, contre Pau à Gaillac. Mola avait de toute façon déjà décidé qu’il entamerait le Top 14 à ce poste… Sa satisfaction a été rapide : « En 10, Romain a parfois tendance à réciter son rugby. Au centre, il retrouve son naturel, qui lui permet de déchiffrer et de s’adapter aux situations. » Darricarrère, à l’origine de sa mutation vers ce nouveau rôle de « cinq huitième » (qu’il a tenu à douze reprises en quinze titularisations toutes compétitions confondues) et qui a suivi ses prestations en début d’exercice, observait : « Avoir un joueur comme lui au milieu du terrain crée du liant, amène de la vitesse dans les transmissions et de la lecture de jeu. Comme il est très bon techniquement, il fait jouer les autres derrière lui. Ce replacement a été un déclic chez lui. » Voilà comment en profiter pour ressortir une déclaration d’Émile Ntamack en 1999, année de naissance de son fils : « Il m’a fallu regagner ma place au Stade toulousain. J’ai suivi les conseils de Christophe Deylaud et j’ai joué centre. En sport, il faut toujours se remettre en question et prouver. » La coïncidence est belle. Darricarrère de reprendre à propos de Romain : « Sa marge de progression est encore grande, dans les duels et la perception notamment. » Il a justement travaillé l’aspect défensif, pour un épanouissement évident ces derniers mois :
« Le staff m’a transmis sa confiance, m’a permis de m’exprimer. Mes entraîneurs et mes coéquipiers me donnent de plus en plus de place et un rôle grandissant. Ce poste de 12 me convient, me donne plus de liberté et me met moins de pression. » Exemple ultime du « gagnant-gagnant ».