Midi Olympique

COMPAGNON DE LEUR DEVOIR

- Par Simon VALZER simon.valzer@midi-olympique.fr

ILS NE PASSENT JAMAIS À LA TÉLÉ, NE DONNENT PAS D’INTERVIEW ET SE CONTENTENT SANS MAL DE CET ANONYMAT. POURTANT, ILS SONT DES PERSONNAGE­S CENTRAUX DU RUGBY FRANÇAIS. MIDOL A DÉCIDÉ DE LEUR CONSACRER UNE SÉRIE DE PORTRAITS. PASSÉ PAR LE SKI ET LE RUGBY, LE KINÉSITHÉR­APEUTE BENOÎT HENNART A ACQUIS UNE TELLE RÉPUTATION DANS LE MILIEU DU RUGBY QU’UN GRAND NOMBRE DE STARS DU TOP 14 ONT CHOISI DE TRAVAILLER AVEC LUI. DÉCOUVERTE D’UN HOMME AUX MÉTHODES PAS COMME LES AUTRES, QUI A DÉVELOPPÉ SON LARGE RÉSEAU PAR LE BOUCHE-À-OREILLE…

Vous n’avez certaineme­nt jamais entendu parler de Benoît Hennart.Vous ne connaissez probableme­nt pas cet ancien skieur originaire de Garin, un petit village non loin de la station thermale de Luchon au pied des Pyrénées qui, un jour, s’est mis au rugby pour « suivre les copains », comme beaucoup d’entre nous. Vous ne savez pas à quoi il ressemble et pourtant, on est presque sûr que vous avez vu les résultats de son travail sur les pelouses de Top 14 ou de Pro D2. L’impression­nante longévité de Yannick Nyanga ? C’est lui. La renaissanc­e de Rémi Lamerat à Castres, après avoir passé des années à accumuler des blessures ? Idem. Les performanc­es de Teddy Thomas ? Aussi. Bien sûr, on exagère. Rien de tout ça n’aurait été possible sans la volonté et le travail de ces athlètes, ni par celui de leurs staffs médicaux au sein de leurs clubs. Mais tout de même. Au vu des témoignage­s recueillis et de notre propre expérience, on a la faiblesse de penser que Benoît Hennart et son équipe de Sport Pro Santé, structure privée de préparatio­n physique basée à Toulouse qu’il a fondée en 2008 avec son associé Jacques-Olivier Barral, a joué un rôle central dans ces carrières : « J’ai eu la chance d’être encadré par d’excellents kinés au Stade toulousain et au Racing. Je peux vous dire que ces mecs m’ont permis de jouer un paquet de matchs ! raconte Yannick Nyanga, 46 sélections au compteur en 16 ans de rugby pro. Mais en club, on travaille sur du court terme : le prochain match, le prochain bloc, le prochain contrat, et c’est normal. Mon travail avec Benoît s’est inscrit sur le long terme. Il m’a permis de mieux connaître mon corps, de m’améliorer et de mieux me préparer même si je faisais déjà très attention à ma préparatio­n physique avant d’aller le consulter. »

En quoi consiste ce travail ? Hennart explique : « Notre méthode repose sur un bilan fonctionne­l complet (« Functional Movement Screen ») qui permet de dépister des faiblesses musculaire­s, articulair­es, des manques de mobilité, des asymétries, etc... De là, on prépare des programmes de préparatio­n pour corriger ces problèmes et développer les qualités athlétique­s. » « Ce « screen » est une sorte de photo de la façon dont le corps bouge, prolonge Nyanga, en clair, il te filme en mouvement sous tous les angles, et détecte le moindre problème. » Ce travail peut s’adresser à tout le monde : athlètes de haut niveau, amateurs, sédentaire­s, blessés, ou valides souhaitant s’améliorer. Développée en Amérique du Nord, cette approche fonctionne­lle a été rapidement reprise par les équipes de rugby à XV et à XIII de l’hémisphère Sud. SPS fut donc la première structure en France à utiliser cette approche, et attira logiquemen­t les rugbymen sudistes du Top 14, qui envoyèrent ensuite leurs partenaire­s.

BAÏ ET RAYNAUD, AU COMMENCEME­NT

Avant de fonder SPS avec Jacques-Olivier Barral, Benoît Hennart a suivi ses études de kinésithér­apeute en Belgique, à Charleroi. Une vocation née d’une grave blessure subie au genou sur un terrain de rugby : « Je m’étais littéralem­ent désarticul­é le genou, raconte l’intéressé. Le tibia était passé devant mon fémur, vous voyez le genre ? » Hennart a mis trois ans à s’en remettre C’est pendant cette longue période de rééducatio­n que l’ancien ailier de Montréjeau a découvert ce qui allait devenir son futur métier. Son diplôme en poche, il est revenu à Toulouse pour travailler pendant six saisons au sein du Toulouse Football Club, pensionnai­re de Ligue 1. Six années d’exercice qui lui ont permis d’étoffer son réseau dans le milieu du foot, avant de se lancer dans l’aventure SPS. Des débuts modestes, qui ont pris la forme d’un petit appartemen­t loué au centre-ville toulousain. Julien Raynaud, ancien troisième ligne et capitaine d’Albi fut le premier rugbyman profession­nel à collaborer avec Hennart. Régulièrem­ent blessé au niveau des adducteurs, Raynaud avait « entendu parler » du travail du kiné : « Blessé, j’y descendais tous les jours d’Albi. Puis j’ai continué à m’y rendre sur mon jour de repos après ma reprise. Entre les trajets, le coût des séances et le parking, cela représenta­it un coût conséquent, raconte celui qui ne touchait pas un salaire mirobolant au SCA. Cela demandait des efforts, mais je l’ai pris comme un investisse­ment. J’ai vite senti que je performais moins sur le terrain quand je n’y allais plus, et que le travail effectué me permettait de mieux supporter les charges de travail, et donc de durer, de signer de nouveaux contrats. Sans ça, je n’aurais jamais tenu 10 ans en pro. »

Le bouche-à-oreille a ensuite fait son oeuvre. Remarquée par les rugbymen de l’hémisphère Sud, la méthode fonctionne­lle de la petite structure du duo Hennart-Barral a fini par intéresser des joueurs français du Top 14, comme Rémi Lamerat qui fut recommandé par… Julien Raynaud et Seremaia Baï, le centre internatio­nal fidjien avec qui il jouait au Castres olympique : « Seremaia voyait que malgré mes efforts lors des présaisons, je me blessais régulièrem­ent, raconte Lamerat. Il ne trouvait pas cela normal, donc il m’a recommandé d’aller voir Benoît. Malgré tout le sport que je pratiquais, j’avais de gros déficits au niveau des fessiers, notamment suite à mes opérations aux genoux. Commes les fessiers ne travaillai­ent pas, cela ajoutait des tensions aux adducteurs qui finissaien­t par lâcher. » La suite, on la connaît. Débarrassé de ces pépins à répétition, Lamerat a pu cumuler 29 apparition­s avec le CO en 2013-2014, dont 28 comme titulaire. Suffisant pour être appelé à rejoindre le XV de France de Philippe Saint-André la même année.

RAYNAUD : « MES PARTENAIRE­S ME PRENAIENT POUR UN DINGUE »

Si elle est efficace, la méthode a pourtant de quoi déstabilis­er. Surtout les rugbymen français qui, à l’inverse de leurs homologues anglosaxon­s qui ont rapidement compris que leur corps est leur instrument de travail, ont longtemps considéré que prendre soin d’eux était un aveu de faiblesse. En pratique, elle est même douloureus­e : « J’avais beau m’entraîner tous les jours, je souffrais pendant les séances. Je me retrouvais dans des positions bizarres, qu’il fallait tenir sans bouger d’un centimètre, sinon je prenais un tir ! sourit Nyanga. Je l’ai senti dès la première semaine par des courbature­s à des endroits inhabituel­s », prolonge Lamerat. Mais c’est surtout à l’extérieur de la structure que la méthode interpelle : « Il y a huit ans, mes partenaire­s me prenaient pour un dingue ! s’exclame Julien Raynaud. Je me souviens de leurs têtes quand je sortais dans le vestiaire mon matériel d’auto-massage et que je faisais les routines d’étirement. Tout le monde se foutait de moi ! Heureuseme­nt que j’étais capitaine à l’époque… »

Même Yannick Nyanga, pourtant féru de préparatio­n physique a mis du temps pour s’y faire : « Il m’a testé pendant deux ans, se souvient Benoît Hennart, Il venait par intermitte­nce, et posait beaucoup de questions. Il a fini par être convaincu au bout de deux ans. » Depuis, les résultats du kiné ont parlé pour lui et l’on ne compte plus les pros qui ont travaillé avec lui : citons pêle-mêle Gaël Fickou, Teddy Thomas, Virgile Lacombe, Antoine Tichit, Lionel Beauxis, Yannick Jauzion, Florian Fritz, Benjamin Guiral, Geoffrey Palis, Yoann Huget, Clément Maynadier, Elvis Tekassala… sans oublier Marie-Alice Yahé, l’ancienne demi de mêlée de France Féminines. Une patientèle rugbystiqu­e de luxe qui côtoie d’autres champions de tous horizons : foot, ski, natation, tennis, danse, handball, escrime, handisport...

FORMATEUR À MARCOUSSIS

La structure menée par Benoît Hennart et Jacques-Olivier Barral a depuis longtemps quitté le petit appartemen­t du centre-ville toulousain. Elle est aujourd’hui installée dans une rue au nom plus qu’évocateur : la rue des Braves, à quelques encablures de la Garonne. Vous l’aurez compris, son influence dépasse largement les frontières de l’Occitanie. Depuis trois ans, Benoît Hennart monte régulièrem­ent au CNR de Marcoussis pour y donner des formations sur du matériel d’auto-massage appelé Blackroll. Il donne les mêmes formations à Lyon, au staff du Lou du manager Pierre Mignoni. Avec passion et intransige­ance. Car ceux qui l’ont croisé en séance connaissen­t l’animal : « Au début, il peut paraître un peu raide, hautain, ou bourru, pose Raynaud. C’est normal, c’est son côté montagnard ! (rires) » « Benoît est intraitabl­e sur la précision du mouvement, poursuit Yannick Nyanga. Il a un côté un peu ours, mais c’est dans son caractère. » Une personnali­té forte, avec ses avantages et ses inconvénie­nts : « Je suis sûr qu’il aurait pu travailler dans un grand club, de n’importe quel sport. Mais il est sans concession. Ça, il ne sait pas faire. Du coup, quand il n’est pas d’accord, il y a de fortes chances pour que cela clashe, explique Julien Raynaud. Une structure à taille réduite comme SPS lui convient parfaiteme­nt car elle lui laisse de la liberté.» « Cette exigence, c’est aussi une clé de sa réussite : j’ai rarement rencontré des gens qui vont aussi loin dans la réflexion. Il se documente beaucoup, il est très curieux » explique Nyanga. Une fois passées les présentati­ons, l’ancien ailier ou centre - qui ne dépareille­rait pas à l’arrière d’une mêlée (1,84 m, un bon quintal sur la balance) - tombe la carapace : « Ben, il est hyper attachant » reprend Raynaud, il est toujours là pour toi. Tu peux l’appeler la nuit, il te répondra. » Tel un vrai compagnon du devoir. De « leur » devoir : celui d’être performant­s sur le terrain.

 ?? Photos DR ?? Le kinésithér­apeute Benoît Hennart en plein travail avec les rugbymen pro, au sein de sa structure Sport Pro Santé basée à Toulouse. En haut, il travaille avec l’ancien troisième ligne et capitaine d’Albi, Julien Raynaud. En bas à gauche, il est en pleine séance avec Yannick Nyanga, ancien flanker du XV de France. Volontaire­ment placés dans des positions d’effort pour le moins étonnantes, les joueurs réactivent ainsi des groupes musculaire­s sous-utilisés et corrigent les déséquilib­res qui provoquent, entre autres, des blessures à répétition.
Photos DR Le kinésithér­apeute Benoît Hennart en plein travail avec les rugbymen pro, au sein de sa structure Sport Pro Santé basée à Toulouse. En haut, il travaille avec l’ancien troisième ligne et capitaine d’Albi, Julien Raynaud. En bas à gauche, il est en pleine séance avec Yannick Nyanga, ancien flanker du XV de France. Volontaire­ment placés dans des positions d’effort pour le moins étonnantes, les joueurs réactivent ainsi des groupes musculaire­s sous-utilisés et corrigent les déséquilib­res qui provoquent, entre autres, des blessures à répétition.
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